Rallye Aïcha des gazelles: immersion au coeur d’un succès qui ne se dément pas

Le véhicule de l'équipage 167 en dévers sur la crête d'une dune, lors de l'étape des dunes du Rallye Aïcha des gazelles. (K.Sabbar/Le360)

Le 23/04/2025 à 14h07

VidéoDu 11 au 26 avril 2025, le désert marocain accueille le Rallye Aïcha des gazelles, une compétition féminine unique alliant navigation extrême, dépassement de soi et solidarité. Plongée au coeur d’une aventure où performance et émotion se rencontrent.

Sous un soleil de plomb, dans l’immensité dorée de l’erg Chebbi, des 4x4, des Crossover et des SUV progressent lentement entre les dunes. Pas de moteurs rugissants, pas de chronomètre impitoyable: ici, l’objectif est de parcourir la distance la plus courte possible entre des balises, en naviguant à l’ancienne, avec une boussole et une carte. Bienvenue au Rallye Aïcha des gazelles, une épreuve où la stratégie prime sur la vitesse et où l’entraide compte autant que la performance.

L’idée du Rallye Aïcha des gazelles a germé il y a 35 ans dans l’esprit de Dominique Serra, fondatrice et directrice générale de l’événement, à l’époque encore salariée de l’Union patronale de Haute-Marne (une Medef locale). Chargée de réfléchir à la valorisation des femmes en entreprise, elle se voit confier une mission: trouver un projet fédérateur qui allie visibilité et levée de fonds. Peu après, lors d’une soirée dédiée au Dakar, un déclic se produit. En visionnant un film sur la célèbre course, elle remarque l’absence criante de femmes, à l’exception de Martine de Cortanze, une pionnière motocycliste. «Je me suis dit: pourquoi ne pas créer un rallye-raid 100% féminin?», raconte-t-elle. Son idée séduit immédiatement neuf entreprises de Haute-Marne, qui engagent des équipages. Ainsi, en 1990, le premier Rallye des Gazelles voit le jour avec seulement neuf participantes.

Pendant des années, l’événement reste confidentiel, progressant grâce au réseau des anciennes participantes. «C’était du bouche-à-oreille, je n’avais pas les moyens de faire de la pub», explique Dominique Serra. Le rallye passe de 25 équipages dans les années 1990 à une centaine dans les années 2000, mais c’est le boom d’internet, il y a quinze ans, qui change la donne. Les réseaux sociaux permettent une diffusion massive, attirant des candidates du monde entier. Aujourd’hui, le Rallye des gazelles est devenu une référence, mais son ADN reste intact: un défi sportif exigeant, une aventure humaine unique, et surtout, une tribune pour les femmes qui veulent briser les préjugés – au volant comme dans la vie.

Une aventure hors norme

Contrairement aux courses traditionnels, le Rallye des gazelles ne se gagne pas en fonçant à toute allure. «Le temps n’est pas un facteur, sauf que tu as des contrôles de passage qui ferment à certaines heures, ça t’oblige à tracer ta route efficacement», explique Dominique Serra.

Les concurrentes doivent relier des points de passage en parcourant le moins de kilomètres possible. Une épreuve de précision, où la moindre erreur de navigation peut coûter des heures de détour. «C’est une vraie compétition sportive», insiste la fondatrice. «Certains pensent que c’est juste un challenge. Une année, j’ai invité des professionnels comme David Casteu (Dakar) et Éric Loizeau (Vendée Globe), qui ont été surpris par la difficulté. Ils sont revenus une deuxième année sans pour autant gagner.»

Les véhicules sont variés: 4x4, quads, SUV, et même des modèles électriques. «Je ne veux plus accepter de motos, c’est trop compliqué de naviguer avec», précise-t-elle. Mais quelle que soit la catégorie, le défi reste le même: maîtriser son itinéraire dans un environnement hostile.

L’étape des dunes

Parmi les équipages que Le360 a suivis, l’un capte particulièrement l’attention: le numéro 167, formé de Dounia Bennani Mazhar, créatrice de mode de 55 ans et véritable légende du rallye avec 19 participations à son actif, et de sa fille Jawhara Bennani, opticienne de 32 ans.

Dans le décor majestueux de l’erg Chebbi, près de Merzouga, où se dressent les dunes les plus hautes du Maroc, le duo mère-fille livre une performance remarquable. «Leur navigation frôle la perfection», commente Philippe Legat, organisateur bénévole. «L’épreuve consiste à franchir sept balises en évitant les ensablements - un vrai parcours du combattant dans ce terrain mouvant.»

Ce qui frappe, au-delà de leur technique impeccable, c’est la complicité palpable entre les deux femmes. Dounia, doyenne expérimentée, partage son savoir avec Jawhara qui, à son tour, apporte sa jeunesse et sa détermination. Ensemble, elles écrivent une page émouvante de cette aventure, prouvant que le Rallye Aïcha des gazelles est aussi une affaire de famille où se tissent des liens encore plus forts que le sable n’est profond.

Dès l’arrivée dans l’erg, les concurrentes dégonflent leurs pneus pour une meilleure adhérence. Puis commence un lent ballet entre les dunes. «Elles doivent négocier chaque montée, chaque descente, sous peine de rester bloquées», poursuit Legat. L’équipage 167 a brillé, mais même les meilleures connaissent des moments critiques: «À un moment, leur véhicule s’est mis en dévers. Elles ont dû sortir les pelles et les plaques pour se dégager.» La chaleur ajoute une difficulté supplémentaire. «Vers midi, le sable devient plus mou à cause de l’évaporation de l’eau», note Legat. Les novices peinent, tandis que les expérimentées gèrent leur fatigue pour éviter les erreurs.

«Il n’y a pas qu’une remise en question, il y a un apprentissage», souligne Dominique Serra. «Ça permet de casser des codes et de toucher du doigt le sport automobile, ce qui n’est pas toujours permis aux femmes.» Certaines participantes, après le Rallye, se lancent dans le Dakar. D’autres repartent transformées. «Des Gazelles ont été embauchées parce qu’elles avaient mis cette expérience dans leur CV», raconte-t-elle. «Si tu fais ce rallye, tu es capable de beaucoup de choses: endurance, autonomie…».

L’esprit d’entraide est inscrit dans le règlement: «Vous n’avez pas le droit d’être aidées par le staff, seulement par une autre Gazelle», explique la directrice générale. Des scènes incroyables en découlent, comme cet équipage classé premier qui, en panne, a refusé l’aide de sa poursuivante en lui disant: «Non, tu as une course à gagner, alors tu y vas!»

Un melting-pot de profils

Le Rallye Aïcha des gazelles rassemble une diversité impressionnante de participantes, tant par leur âge que par leur parcours. Avec une moyenne d’âge de 43 ans, la plus jeune concurrente a 22 ans et la plus expérimentée, 71 ans, prouvant que l’aventure n’a pas de limite générationnelle. Mais ce qui frappe surtout, c’est l’extraordinaire variété des profils socio-professionnels: on y croise des cheffes d’entreprise, des infirmières, des agricultrices, des artistes, des ingénieures, pas moins de 256 métiers différents sont représentés. Toutes partagent cependant des traits communs: une énergie et une ténacité à toute épreuve et cette volonté farouche de se dépasser. «Elles sont battantes, dynamiques, accrocheuses. Et surtout, elles veulent y arriver», résume Dominique Serra.

Au-delà de la performance sportive, ce qui distingue les Gazelles, c’est leur profonde humanité. Nombreuses sont celles qui courent pour porter une cause: cette année, plus de 52 équipages sur les 172 engagés défendent une association, qu’il s’agisse de soutien aux femmes victimes de violences, d’aide à l’enfance défavorisée ou de protection de l’environnement. Pour amplifier cet impact, l’organisation a mis en place un dispositif unique: parmi 15 associations sélectionnées, un vote du comité RSE désignera celles qui se partageront une dotation de 10.000 euros. Une manière de concrétiser l’esprit d’entraide qui règne sur le rallye, où chaque kilomètre parcouru prend aussi la dimension d’un engagement citoyen. Comme le souligne Dominique Serra: «La plus belle chose, c’est cette empathie qui les anime toutes. Elles ne courent pas juste pour elles, mais pour les autres.»

Avec un budget annuel de 4 millions d’euros, le Rallye Aïcha des gazelles navigue cette année sur la ligne de flottaison: «Nous ne sommes pas en déficit, mais le résultat sera nul. Si nous dégageons 40.000 euros après impôts, ce sera déjà bien», confie Dominique Serra. Cette situation s’explique par l’absence de 25 équipages, représentant un manque à gagner de 700.000 euros. Pourtant, l’année précédente avait été plus favorable, avec un excédent de 10%, soit 400.000 euros de bénéfice net, réinvesti dans l’amélioration de l’événement, l’embauche de nouveaux talents et le renforcement des équipes. Malgré les difficultés, la fondatrice refuse de rogner sur la qualité. «Mes équipes me disent: on sait faire les choses à moitié, nous? Non. Alors, on trouve des solutions.»

L’impact local est considérable: sur les 4 millions d’euros de budget, 3 millions d’euros sont directement injectés dans l’économie marocaine, tandis que le reste couvre les frais de l’agence Maïenga, organisatrice de l’événement et les salaires de ses 25 employés permanents. Le rallye-raid génère également une importante activité saisonnière, mobilisant 280 travailleurs locaux aux côtés de 253 professionnels français.

Après trois dizaines d’années, le Rallye Aïcha des gazelles s’impose comme étant bien plus qu’une compétition automobile. C’est une école de courage, de sororité et de persévérance. Dans le désert, loin du quotidien, des femmes de tous âges et de tous milieux repoussent leurs limites. Comme le dit Dominique Serra: «Quand une Gazelle me dit qu’elle n’y arrive pas, je lui réponds: moi non plus, mais on va y arriver ensemble.»

Par Camilia Serraj et Khadija Sabbar
Le 23/04/2025 à 14h07