Laissez-moi vous «pitcher» la meilleure comédie marocaine du moment. C’est l’histoire d’un jeune homme, 25-30 ans, qui vend des poissons à Marrakech. Personne ne le connaît, jusqu’au jour où il s’est mis à écouler des sardines à 5 dirhams le kilo, soit quatre fois moins cher que le marché.
Notre jeune homme rencontre un succès fou. En plus, il se filme et publie le tout sur les réseaux sociaux, où son compte cartonne aussi.
Il faut le voir devant son peuple, pardon devant ses clients. C’est un poisson dans l’eau. Avec son air d’adolescent, son verbe haut, son accent marrakchi qui se prête si bien aux joutes oratoires, ses lunettes qui avalent son visage et lui donnent un air de matheux. Le jeune garçon bat le pavé devant une foule nombreuse, passionnée, enflammée.
Il faut voir la foule portant le jeune homme en triomphe, criant son nom (il s’appelle Abdelilah, ce qui fait de lui le «Abdelilah» le plus célèbre depuis ce bon vieux Benkirane). Et il faut le voir lui, drapé d’une écharpe aux couleurs nationales, criant à qui veut l’entendre: «Je veux que les pauvres puissent faire le plein de poissons!».
Abdelilah ne manque pas d’humour. Il a baptisé son commerce «Le port de Marrakech», comme pour narguer son monde et signifier que lui est capable de faire de cette ville sans mer la plus poissonnière du Maroc. Devant la foule qui l’acclame et le porte aux nues, il s’exclame, jubilatoire: «Allez, on va bientôt faire les sardines à 50 centimes!».
Ce jeune homme est un phénomène. Comme les prophètes, on ne sait pas grand-chose de lui, de son passé, on ne connaît pas son «secret». Et comme les prophètes, il fait des miracles. Il bouscule la hiérarchie, l’ordre établi, il déplaît aux gros poissons qui dominent le marché. Et il se fait des ennemis. C’est un Robin des bois version marocaine.
«La question la plus importante est: si le business plan du jeune “prophète” est viable, pourquoi ne pas le dupliquer? Pourquoi ne pas l’étendre à d’autres secteurs?»
Les autorités de Marrakech ont fermé son commerce, avant de le rouvrir. Parce qu’il n’a rien à se reprocher et, sans doute aussi, par crainte d’une réaction de la rue. C’est en héros et en ami des pauvres et du petit peuple qu’il a effectué son retour.
Moi, explique-t-il en gros, j’achète à 4 dirhams et je vends à 5. Parce que je fais tout moi-même et je court-circuite les intermédiaires. Et si je ne gagne pas assez avec les sardines, je compense avec «lanchouba» (anchois). Je gagne de l’argent, mais pas aux dépens des consommateurs.
Bien sûr, notre Abdelilah a suscité un vif débat (évitons le mot «polémique» pour le moment). Et pas seulement au sein de la petite communauté de la pêche maritime et de la commercialisation des poissons et fruits de mer. Ça va beaucoup plus loin.
Sans rentrer dans les détails techniques, la question la plus importante est: si le business plan du jeune «prophète» est viable, pourquoi ne pas le dupliquer? Pourquoi ne pas l’étendre à d’autres secteurs? À d’autres types d’activité?
Ce jeune harangueur des foules, à sa manière, est en train de démontrer qu’il est possible de gagner sans appauvrir les masses, en se contentant d’une marge honnête. N’est-ce pas, à la base, la philosophie censée guider tout gouvernement?
Voilà, mes amis. Fin de l’épisode 1 de la série «moul l’hout» (le vendeur de poisson), une comédie avec des rires et des larmes (de joie pour les uns, de crocodile pour les autres). À la marocaine, comme on aime. Vivement la suite!
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