La Salon international du livre et de l’édition a ouvert ses portes à Rabat quelques jours après la disparition de l’homme qui a passé toute sa vie au service du livre et de la lecture. Il a fait œuvre utile, et on rêve d’un Pivot marocain, bilingue, qui donnerait à nos citoyens l’amour de plonger dans des livres, de lire ou relire afin de ne pas «mourir idiot», comme disait une publicité des années quatre-vingt. Face à Pivot, notre intelligence et notre curiosité s’éveillaient avec bonheur. C’était son talent, sa force, son tempérament.
Ses émissions étaient suivies au Maroc, certes par une élite, mais qui avait attrapé ce «vice impuni» qu’est la lecture. Nous espérons aujourd’hui voir surgir des coulisses de nos radios et télévisions un homme ou une femme qui inciterait les jeunes à lire, car nous sommes une des nations qui lit le moins.
La mort de Bernard Pivot a été un événement énorme. Toutes les télévisions et toutes les radios lui ont consacré des émissions spéciales. Un grand homme disparaît et la France se sent orpheline. Il faisait partie de la France populaire. Simple, souriant, il a découvert l’amour des livres, l’amour de la lecture. Sa voix portait au-delà de la France. Il a fait plus et mieux que tous les ministres de la Culture réunis.
C’était un homme d’une grande modestie et élégance. Certains le trouvaient un peu timide. En fait, il était malin, très intelligent et assez astucieux pour savoir poser les bonnes questions aux écrivains célèbres ainsi qu’aux jeunes débutants. Pas de préjugés. Pas de hiérarchie. Il donnait envie de lire. C’était un semeur de curiosité.
Bon vivant, aimant la bonne cuisine, le bon vin et de temps en temps un bon cigare cubain. Sa passion pour le football faisait oublier que c’était un immense lecteur.
Et puis, il avait le sens de l’humour, de l’anecdote à propos de tout. Quand j’ai rejoint l’Académie Goncourt en 2008 en même temps que Patrick Rambaud, connu pour avoir été le «nègre» de quelques faux écrivains, il nous avait accueillis avec cette phrase: «l’Académie Goncourt n’est pas raciste, elle reçoit un Arabe et un Nègre».
J’ai des souvenirs merveilleux en sa compagnie, notamment quand l’Académie se déplaçait à l’étranger. Je me souviens d’une très belle soirée sur une des collines de Beyrouth, fumant de bons cigares cubains et se disant «la nuit, Beyrouth est encore plus belle».
Une autre fois, visitant le musée du Bardo à Tunis, où nous nous étions réunis pour établir la dernière liste pour le Prix Goncourt, il me demanda: «Pourquoi les Tunisiens mettent de la harissa partout? Ça tue les nuances de ce qu’on mange».
Souvent, l’éditeur dont un de ses auteurs a remporté le Prix Goncourt nous envoie un cadeau pour nous remercier. Une caisse de bon vin. Bernard fait renvoyer immédiatement le cadeau.
Sa modestie était immense. Son intégrité aussi. Quand il officiait dans «Apostrophes», aucun éditeur n’osait l’appeler pour lui demander d’inviter un de ses auteurs.
Il a été l’amoureux de la littérature et le meilleur défenseur de la langue française. Il organisait des dictées au point que c’est devenu une habitude dans plusieurs villes.
Quand il était président de l’Académie Goncourt, succédant à Edmonde Charles-Roux, il était d’un calme formidable, d’une autorité naturelle. L’académie fonctionnait très bien. Il savait donner du sens à son palmarès qui, ayant couronné Marcel Proust, ne pouvait pas distinguer un auteur médiocre. Il veillait à cette exigence. Le grand public faisait confiance au choix des dix membres de cette académie. Il la dirigeait avec bonne humeur et efficacité. Il ne s’interdisait pas de montrer sa satisfaction quand le grand public nous donnait raison en faisant un triomphe de librairie au roman distingué.
Bernard Pivot était un seigneur et un ami sans pareil.