Éloge de la lecture

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.

ChroniqueBernard Pivot avait le sens de l’humour, de l’anecdote à propos de tout. Quand j’ai rejoint l’Académie Goncourt en 2008, en même temps que Patrick Rambaud, connu pour avoir été le «nègre» de quelques faux écrivains, il nous avait accueillis avec cette phrase: «l’Académie Goncourt n’est pas raciste, elle reçoit un Arabe et un Nègre».

Le 13/05/2024 à 11h00

La Salon international du livre et de l’édition a ouvert ses portes à Rabat quelques jours après la disparition de l’homme qui a passé toute sa vie au service du livre et de la lecture. Il a fait œuvre utile, et on rêve d’un Pivot marocain, bilingue, qui donnerait à nos citoyens l’amour de plonger dans des livres, de lire ou relire afin de ne pas «mourir idiot», comme disait une publicité des années quatre-vingt. Face à Pivot, notre intelligence et notre curiosité s’éveillaient avec bonheur. C’était son talent, sa force, son tempérament.

Ses émissions étaient suivies au Maroc, certes par une élite, mais qui avait attrapé ce «vice impuni» qu’est la lecture. Nous espérons aujourd’hui voir surgir des coulisses de nos radios et télévisions un homme ou une femme qui inciterait les jeunes à lire, car nous sommes une des nations qui lit le moins.

La mort de Bernard Pivot a été un événement énorme. Toutes les télévisions et toutes les radios lui ont consacré des émissions spéciales. Un grand homme disparaît et la France se sent orpheline. Il faisait partie de la France populaire. Simple, souriant, il a découvert l’amour des livres, l’amour de la lecture. Sa voix portait au-delà de la France. Il a fait plus et mieux que tous les ministres de la Culture réunis.

C’était un homme d’une grande modestie et élégance. Certains le trouvaient un peu timide. En fait, il était malin, très intelligent et assez astucieux pour savoir poser les bonnes questions aux écrivains célèbres ainsi qu’aux jeunes débutants. Pas de préjugés. Pas de hiérarchie. Il donnait envie de lire. C’était un semeur de curiosité.

Bon vivant, aimant la bonne cuisine, le bon vin et de temps en temps un bon cigare cubain. Sa passion pour le football faisait oublier que c’était un immense lecteur.

Et puis, il avait le sens de l’humour, de l’anecdote à propos de tout. Quand j’ai rejoint l’Académie Goncourt en 2008 en même temps que Patrick Rambaud, connu pour avoir été le «nègre» de quelques faux écrivains, il nous avait accueillis avec cette phrase: «l’Académie Goncourt n’est pas raciste, elle reçoit un Arabe et un Nègre».

J’ai des souvenirs merveilleux en sa compagnie, notamment quand l’Académie se déplaçait à l’étranger. Je me souviens d’une très belle soirée sur une des collines de Beyrouth, fumant de bons cigares cubains et se disant «la nuit, Beyrouth est encore plus belle».

Une autre fois, visitant le musée du Bardo à Tunis, où nous nous étions réunis pour établir la dernière liste pour le Prix Goncourt, il me demanda: «Pourquoi les Tunisiens mettent de la harissa partout? Ça tue les nuances de ce qu’on mange».

Souvent, l’éditeur dont un de ses auteurs a remporté le Prix Goncourt nous envoie un cadeau pour nous remercier. Une caisse de bon vin. Bernard fait renvoyer immédiatement le cadeau.

Sa modestie était immense. Son intégrité aussi. Quand il officiait dans «Apostrophes», aucun éditeur n’osait l’appeler pour lui demander d’inviter un de ses auteurs.

Il a été l’amoureux de la littérature et le meilleur défenseur de la langue française. Il organisait des dictées au point que c’est devenu une habitude dans plusieurs villes.

Quand il était président de l’Académie Goncourt, succédant à Edmonde Charles-Roux, il était d’un calme formidable, d’une autorité naturelle. L’académie fonctionnait très bien. Il savait donner du sens à son palmarès qui, ayant couronné Marcel Proust, ne pouvait pas distinguer un auteur médiocre. Il veillait à cette exigence. Le grand public faisait confiance au choix des dix membres de cette académie. Il la dirigeait avec bonne humeur et efficacité. Il ne s’interdisait pas de montrer sa satisfaction quand le grand public nous donnait raison en faisant un triomphe de librairie au roman distingué.

Bernard Pivot était un seigneur et un ami sans pareil.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 13/05/2024 à 11h00

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VOS RÉACTIONS

Sérénité de la conviction?

Bonsoir Monsieur Tahar Ben Jelloun. Bernard Pivot s'est surtout construit à une époque où il n'y avait rien pour concurrencer son émission et regarder la télé en famille le soir était un passe-temps très prisé par les Français. Ces conditions n'existent plus aujourd'hui, ni en France, ni au Maroc. Il y a tellement de choses à voir et à faire! Cordialement.

Ça oui ! Des fabriques à cretins !

Bonsoir Monsieur Hamdaoui. En tout cas, ils avaient bien endormi les Français, en leur racontant des balivernes sur la situation du pays dans tous les domaines. Avec l'arrivée d'Internet et une multitude de moyens d'information, c'est la gueule de bois! Cordialement.

C'était Mieux Ssi Omar ! Non ? ... Même la Qualité des Émissions était Meilleure et la Grande Compétence des Animateurs et Journalistes ! Tout y était distraction, Culture, Cinéma et Musique et même... "L'ÉCOLE DES FANS" ... C'était tout simplement GÉNIAL ! Merci

Prêt à prendre la relève du côté du royaume chérifien !

On aurait aimé trouver des ''Bernard Pivot'' partout dans le monde, plus on en a davantage plus le monde sera meilleur...Car la vie ne saurait être délicate qu'avec les livres et les passionnés des livres...

..."de lire ou relire afin de ne pas «mourir idiot», comme disait une publicité des années quatre-vingt"... vanitas vanitatum oui, qu'Allah ta3la nous guide afin de ne pas mourir idiot, c'est-à-dire ayant plus ou moins sciemment ignoré de suivre pleinement la Vérité et suivi les passions

J'ai 66 ans. J'avais donc 17 lorsde la 1ère émission de Bernard Pivot. J'avais déjà découvert la lecture grâce à la bibliothèque municipale du Havre en Normandie. Avec Pivot j'ai découvert et appris à aimer la littérature. Pourtant fille de simple ouvrier agricole devenu douanier et d une mère illettrée et famille de 5 enfants. A l'époque : 2 ou 3 chaînes de télé et pas d Internet....nous sommes très nombreux à avoir construit notre univers littéraire et notre culture grâce à Pivot, quelle que soit notre origine....cette culture que renie le Président Macron en déclarant que la culture française n existe pas. Et bien je dis à Macron (monument de la médiocrité ) : M.BERNARD PIVOT ETAIT UN MONUMENT DE LA CULTURE FRANCAISE, ne vous en déplaise. .

Bien dit ! Un vrai monument !

C'est vraiment malheureux.. cette phrase n'aurait pas été prononcées et n'a aucun sens... le fait de la citer constitue une forme de racisme et la classification des races... Une académie telle que Goncourt est sensée contribuer sur le rayonnement de la littérature, et l'enrichissement de la diversité des cultures

«l’Académie Goncourt n’est pas raciste, elle reçoit un Arabe et un Nègre»: tout est dans la nuance, cette phrase s’inscrit dans l’humour justement, qui ici en l’occurrence est de haute facture : monsieur Benjelloun est Arabe à ce que je sache et monsieur Rambaud est Blanc et de surcroît français pense-je, or il se trouve qu’il fut le nègre de plusieurs faux écrivains : écrivait pour eux , raison pour laquelle le grand Pivot paix à son âme a utilisé le mot nègre , donc en parlant comme il l’avait fait d’arabe et de nègre , il juste flirté avec l’excellence dans le domaine vaste et lumineux de l’humour

Bernard Pivot est Unique ! Il a vulgarisé la Culture et il a fait aimé la Lecture aux Jeunes ! En tant qu'étudiant en France j'attendais avec Impatience l'émission "Apostrophes" ainsi que "Les dossiers de l'écran" mes deux émissions préférées ! Pivot était surtout 1 grand pédagogue et 1 grand Communicateur ! Grosse Perte pas seulement pour la France mais pour la Culture en Général ! Qu'il repose en paix ! Merci

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