Colère divine, que deviens-tu?

Karim Boukhari. Le360

ChroniqueAu Maroc, on fait toujours attention aux mots. Parce qu’ils peuvent avoir un autre sens, caché. Nos mots ne sont jamais purs, ni innocents. Comme nous!

Le 04/05/2024 à 09h00

La mer, par exemple, a parfois servi de métaphore à peine voilée pour évoquer le désir. La chanson populaire s’est emparée de la mer pour signifier les mots du sexe sans les dire. Et l’on se retrouve avec cette marée «haute» pour dire la montée du désir, ou «basse» pour signifier que l’érection n’est plus qu’un souvenir et qu’il n’y a plus rien à espérer…

Mais il n’y a pas que l’amour ou le sexe pour se cacher derrière ces métaphores dignes des meilleurs poètes. C’est le propre de tous les tabous, de toutes ces idées et tous ces mots qui font peur, que l’on n’arrive pas à dire.

Pour pointer un décideur politique, rien de mieux que d’évoquer le climat et le dérèglement des saisons! C’est ce que chantaient Nass El Ghiwane par exemple, dans leur mémorable «Soubhane Allah». Le dérèglement climatique évoque les troubles de la thymie (humeur), les décisions inopinées. Et quand on chante l’été qui s’invite en hiver, c’est une manière de dire: «Notre homme fait du n’importe quoi!».

Bien sûr, nos ancêtres aussi utilisaient ces métaphores et ces glissades sémantiques pour échapper à la censure. Avec un langage fleuri (au sens floral du terme), nourri d’éléments naturels (l’eau, l’air, le soleil, le sel…), pour contourner les interdits et épater la galerie.

Quand, dans cet extraordinaire art chanté qu’est le Malhoun, le poète dit: «Des témoins m’ont vu couper et cueillir des fleurs, alors ils ont dit que je ne fais pas le ramadan», il faut décoder et décrypter pour aboutir à la conclusion que les fleurs en question sont les seins de sa dulcinée. Voyez et goûtez où tout cela peut nous emmener.

Et si les calamités naturelles (séismes, inondations) ont toujours été associées au «ghadab ilahi» (colère divine), conséquence directe d’un dysfonctionnement relevé parmi le peuple et la société, le dérèglement des saisons, comme on l’a vu, est plus généralement lié au «hakem», c’est-à-dire au décideur politique. Qu’il soit local (caïd, gouverneur, voire chef de tribu), ou national (makhzen central).

La grille des interprétations codées voit plus loin encore. Le délit humain, celui de la société, est lié aux mœurs (alcool, danse, mixité sexuelle et religieuse). Quant au délit politique, on le lie souvent à une taxe non conforme à la charia ou à un traité commercial avec les «kouffars» (ici les chrétiens).

Tout est lié au ciel. Et à la religion. Mais les calamités (le terme lui-même renferme une dimension de châtiment) et le dérèglement climatique sont d’abord une sanction économique: mauvaises récoltes, champs profanés, bétail décimé, logements détruits…

Poussés à leur extrême, ces aléas pouvaient tout aussi bien rentrer dans la case des «Alamat Assa’a», les signes avant-coureurs de la fin du monde. Cette dimension eschatologique a toujours accompagné la vie de nos ancêtres, expliquant l’inexplicable et fournissant certaines réponses à leurs malheurs…

Réchauffement climatique, plaques tectoniques, gaz toxiques, couche d’ozone, fonte des glaces, déséquilibre écologique… Connais pas, mon ami, pas encore. Le monde était simple, il ne fallait pas le compliquer!

Par Karim Boukhari
Le 04/05/2024 à 09h00