Une visite pas comme les autres

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun.. Le360

ChroniqueLa visite d’Etat au Maroc du président Macron et de son épouse est un acte politique hautement symbolique. Non seulement on oublie la phase de la crispation et de la crise, mais la France a choisi d’accompagner le Maroc dans ses choix stratégiques, dans les grands projets de modernisation du pays.

Le 28/10/2024 à 11h04

Le président Macron doit être content. Son épouse aussi. Ils vont enfin pouvoir respirer. On pourrait citer ce slogan «Trois jours au Maroc, c’est mieux qu’un mois en France».

Là, ils vont être reçus de façon royale, petits plats dans les grands, dîner marocain d’excellence, rencontre avec des élites marocaines et surtout entretien avec Sa Majesté. En plus ce sera une rencontre pas comme les autres, celle de la réconciliation et de l’avenir ouvert sur de belles choses.

Durant ces trois jours, le Président va oublier les tracas bien français. Une assemblée sans majorité. Un budget à voter probablement en ayant recours au 49-3; 60 milliards à trouver dans la poche des Français, en principe riches mais aussi les foyers de la classe moyenne. Un parti d’extrême droite qui joue à faire peur. Un Premier ministre brave mais sans réel soutien de sa famille politique. Il va oublier les mots blessants de Netanyahou et la tragédie libanaise qui le préoccupe beaucoup. Il a quand même réussi à rassembler un milliard d’euros pour aider le Liban en ces heures difficiles. Ce n’est pas négligeable.

Il va oublier aussi les intempéries où il n’y est pour rien. Mais quand tout va mal, c’est le Président qui écope de la mauvaise note.

En France, les mécontents sont de loin plus nombreux que ceux, satisfaits. Mais ça, c’est banal. Tous les présidents ont été, un certain moment de leur règne, impopulaires. Sauf que Macron a battu les records.

Selon la belle tradition de l’hospitalité marocaine, le Président et son épouse seront fêtés. Pas de huées, pas de cris de haine, pas de contestations, pas de rejet. Au contraire, que des applaudissements, chose qu’il n’a pas eu depuis belle lurette.

Quand il aura vu et connu la façon dont le Maroc accueille ses invités, il aura des remords et se dira qu’il aurait dû, il y a longtemps, faire le pas fondamental pour réactiver les relations franco-marocaines.

Ce pas, c’est l’appui à la marocanité du Sahara. Il savait qu’en faisant ce geste hautement politique, il aurait à gérer la colère et l’hystérie des généraux algériens qui ont l’insulte facile et la menace sans nuances. La culpabilisation fonctionnera à tous les niveaux. «Les millions de martyrs» et tous les sacrifices consentis par le peuple algérien seront rappelés avec force.

Il sait qu’il aura des soucis à se faire et pas mal d’efforts pour apaiser ou du moins éloigner de l’Elysée les effluves de haine et de rancœur algériennes.

On lui reprochera, entre autres, d’avoir reçu maintes fois l’écrivain honni, Kamel Daoud, et de lui avoir accordé la nationalité française, ce qui le met à l’abri de la loi terrible qui punit de 3 à 5 ans de prison quiconque raconte ce qui s’est passé en Algérie entre 1991 et 1999.

Et si par bonheur, il obtient le Prix Goncourt, les généraux rendront Macron responsable d’une telle vilenie. Ils penseront que c’est une manœuvre de l’Élysée. C’est ne rien comprendre au fonctionnement de l’Académie Goncourt, à son intégrité et à son indépendance.

Le président Macron a enfin compris qu’il n’obtiendra rien du régime algérien qui continue d’appuyer sur la manette de «la rente mémorielle». Il aura essayé maintes fois d’apaiser les relations entre les deux pays. Sans succès. En 2017, alors candidat à l’élection présidentielle, il a parlé de la colonisation comme étant «un crime contre l’humanité». Pour certains, il en a trop fait. C’est plus compliqué que cela.

Ce voyage au Maroc est un acte politique hautement symbolique. Non seulement on oublie la phase de la crispation et de la crise, mais la France a choisi d’accompagner le Maroc dans ses choix stratégiques, dans les grands projets de modernisation du pays.

Cette amitié est en fait solide. Elle a toujours été le socle sur lequel les deux États ont travaillé ensemble. Comme dans toutes les familles, des crises surgissent de temps en temps. On se fâche, on lance des peaux de banane, on essaie de faire mal ou de provoquer la colère et la mauvaise humeur.

Le Maroc doit oublier les humiliations des visas délivrés au compte-goutte. Les vexations de certaines personnalités du pays, empêchées d’entrer en France. Une résolution du Parlement européen à Strasbourg, très anti-marocaine, fabriquée par un très proche de Macron. On efface l’ardoise et on poursuit la relation qui, de tout temps, a été importante pour les deux pays.

Il faut enfin rendre hommage à quelques esprits éclairés, dont l’ambassadeur de France au Maroc, Christophe Lecourtier, qui ont œuvré discrètement, dans les coulisses, pour cette réconciliation importante.

P.S: J’ai omis de signaler dans la dernière chronique «Discussion avec un Prince», que S.A. le Prince Albert II de Monaco était au Maroc, à l’invitation de l’Académie du Royaume du Maroc au Blue Africa Summit qu’elle a organisé en partenariat avec la Saison Bleue et le Forum de la Mer, le 10 octobre dernier. Il était donc là, et il dansait, à l’aise. Il est vraiment sympathique!

Par Tahar Ben Jelloun
Le 28/10/2024 à 11h04