La sortie a au moins le mérite de montrer toute l’étendue de la confusion qui règne au sommet du régime algérien, au vu des évolutions majeures que connaît le dossier du Sahara occidental, à la faveur de la multiplication des actes de reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur ce territoire. Elle en dit également long sur le cuisant échec du mauvais jeu d’équilibriste d’Alger sur cette question. Ainsi donc, suite à sa rencontre du 9 août à Washington (que de nombreux analystes perçoivent comme une convocation ou un rappel à l’ordre, on y reviendra) avec le secrétaire d’Etat Antony J. Blinken, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ahmed Attaf, nous gratifie d’un entretien publié mardi 15 août par Al-Monitor, un site d’information dédié au Moyen-Orient édité depuis la capitale américaine. Pour nous dire quoi? Tenez-vous bien parce que c’est hallucinant: qu’il est «très satisfait» de la politique de l’administration Biden à l’égard du Sahara occidental, même si l’administration a choisi de ne pas revenir sur la reconnaissance de la souveraineté marocaine proclamée par l’ancien président Donald Trump.
Quel motif de satisfaction à cette «politique» peut donc trouver Attaf, ministre à l’éclatant manque de relief et dont la posture caricaturale et pour le moins servile –tête baissée, mains croisées, sourire béat et regard en biais– face à Antony Blinken lors d’un point de presse clôturant sa visite a fait le tour de la Toile? Ceci, alors que le «wishful thinking» érigé en stratégie diplomatique par le régime algérien a fait pschitt et que le soutien américain à la marocanité du Sahara est plus ferme que jamais.
Pas plus loin que le 18 juillet dernier, lors d’un point de presse à Washington, répondant à une question sur le récent soutien de l’État d’Israël à la marocanité du Sahara, Matthew Miller, porte-parole du Département d’État américain, a réaffirmé que les États-Unis ont (déjà) franchi le pas en décembre 2020 et que, depuis, «il n’y a pas de changement». «En même temps, nous soutenons pleinement les efforts menés par l’Envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU pour parvenir à une solution durable et digne au Sahara occidental», a-t-il ajouté, l’un n’empêchant, à l’évidence, pas l’autre.
Mais c’est justement là où Ahmed Attaf est allé chercher de la confusion dans son entretien à Al-Monitor, allant jusqu’à faire dire à la diplomatie américaine ce qu’elle n’a jamais dit en vrai. Une épreuve d’une personne, d’un régime il faut dire, qui rame à contre-courant. Attaf a en cela surfé sur le communiqué lapidaire du Département d’Etat à la suite de la réunion Blinken-Attaf, selon lequel Washington et Alger «ont réitéré leur plein soutien à l’Envoyé personnel du secrétaire général, Staffan de Mistura, qui consulte intensivement toutes les parties concernées afin de parvenir à une solution politique pour le Sahara occidental». Et le chef de la diplomatie algérienne d’en conclure que «cela signifie que vous ne reconnaissez pas que le territoire est marocain». «Si vous le reconnaissez, vous ne demanderiez pas un effort supplémentaire pour trouver la solution». Un exercice d’exégèse de la position américaine lunatique, et surtout consternant.
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En «bon» diplomate, Attaf sait pertinemment que la reconnaissance de la marocanité du Sahara ne suppose nullement un arrêt du processus onusien, dans lequel le Royaume lui-même s’inscrit. Il sait aussi que les Etats-Unis sont le pen holder des résolutions du Conseil de sécurité (CS) sur le Sahara et qu’à ce titre, ils ne peuvent pas aller à l’encontre des textes dont ils sont le porte-plume. Attaf semble d’ailleurs oublier que c’est l’Algérie qui a rejeté en 2021 et 2022 les résolutions du CS sur le Sahara, alors que le Maroc en a salué la teneur. Cette inconséquence, pour ne pas dire égarement, est symptomatique de l’impasse dans laquelle se trouve le régime d’Alger.
Tel est pris qui croyait prendre, le même ministre algérien des Affaires étrangères ne pouvait faire l’impasse sur ce que son pays veut. «Ce que nous demandons en effet à cette administration est une chose très précise: contribuer à relancer le processus de paix, et c’est précisément ce qu’elle fait à travers des appels comme celui-ci», a-t-il déclaré. Fort bien. Mais que dire quand le principal facteur de blocage de ce processus n’est autre que… l’Algérie. N’est-ce pas Alger qui refuse même de prendre part aux tables rondes décidées par le CS, rejetant au passage les deux dernières résolutions du même organe exécutif de l’ONU qui la somment d’y revenir?
On retiendra que ce «léger» souci de cohérence, Alger a tenté de le camoufler. Par le mensonge. Dans son très officiel communiqué marquant la rencontre entre Blinken et Attaf, la diplomatie algérienne a cru trouver la parade en déformant, il fallait le faire, la partie où le Département d’Etat évoque le Sahara et la nécessité pour «toutes les parties» de s’engager dans le processus onusien. Ceci, en limitant les parties au conflit à «deux»: le Maroc et le Polisario. Une façon de se laver les mains de sa responsabilité. Mais de là à mentir? Hallucinant, on vous dit. L’astuce est un peu vieille, le régime algérien ayant pour habitude de citer uniquement les deux parties, en nommant à chaque fois le Royaume et le front séparatiste. Mais là, il engage les Etats-Unis.
L’explication est ailleurs. «Attaf est tellement tétanisé par ce qu’il a dû entendre durant la mise en garde de Blinken qu’il n’avait d’autre choix que d’afficher un alignement total sur tous les sujets avec Washington, y compris sur le Sahara. Ils ont tenté de sauver la face a posteriori avec un communiqué trafiqué, mais le coup était déjà parti», nous explique cette source bien au fait du sujet.
Faut-il le rappeler, si Attaf s’est retrouvé face à Blinken ce 9 août, ce n’était nullement pour faire le point sur les relations entre les deux pays, mais pour répondre du jeu malsain d’Alger, qui affiche fièrement son statut de proxy de Moscou, lui consacrant 10 milliards de dollars de contrats d’armement et appliquant son agenda tant dans la guerre en Ukraine qu’au Sahel, notamment au Niger. Le tout a été couronné en juin dernier par un discours laudateur –et c’est peu dire– du président Abdelmadjid Tebboune à l’adresse de Vladimir Poutine, qualifié d’«ami de l’humanité», et son plaidoyer enflammé pour en finir avec l’hégémonie du dollar.
S’agissant du Sahara, si l’on veut prendre au mot le chef de la diplomatie algérienne, quel sens attribuer à son satisfecit par rapport à la reconnaissance par Washington de la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental? Est-ce seulement un besoin d’afficher un alignement aveugle avec Washington sur tous les sujets après la mise en garde de Blinken? Ou est-ce que ce sont plutôt les prémices d’une inflexion de la position de l’Algérie sur la marocanité du Sahara? Avec tous les changements au Sahel et les menaces qui l’encerclent de toutes parts, désormais la seule frontière sûre de l’Algérie est celle qu’elle partage avec le Royaume du Maroc. Il serait temps que le régime d’Alger en tire les conséquences pour sauver ce qui peut encore l’être.