Selon un rapport de la Banque mondiale publié en juillet dernier, entre 1960 et 2020, les ressources hydriques renouvelables disponibles au Maroc ont diminué de 2.560 m3 à environ 620 m3 par personne et par an, entraînant le pays dans une situation de stress hydrique structurel. Néanmoins, sur la même période, le Royaume a construit plus de 120 grands barrages, multipliant par dix la capacité de stockage de l'eau.
Mohamed Jalil, ingénieur météorologiste et hydraulicien, a développé, à travers ses 20 années d’expérience professionnelle en génie hydraulique et météorologique, une expérience multidisciplinaire et diversifiée dans la gestion et la planification des ressources en eau.
Il a notamment collaboré dans plusieurs projets d’étude auprès de plusieurs organismes onusiens ayant trait à l'environnement, à la modélisation, aux catastrophes naturelles, à la vulnérabilité des ressources en eau, aux plans de gestion de la sécheresse et aux changements climatiques. Dans cet entretien pour Le360, l'expert revient sur la situation hydrique au Maroc, les politiques publiques de l’eau et l’utilisation des ressources hydriques souterraines.
Le360: Où en est la situation hydrique au Maroc?
Mohamed Jalil: Au Maroc, la situation hydrique se caractérise sur le plan historique par une fragilité des ressources en eau. Il s’agit d’une donnée historique et structurelle. Et aujourd’hui, le Royaume vit au gré des fluctuations climatiques, lesquelles impactent fortement les ressources en eau.
Lors des périodes sèches, les précipitations deviennent de moins en moins abondantes, et lors des périodes humides, il y a des inondations. Nous avons vécu en 2022 une année de sécheresse qui est extrêmement spectaculaire puisque nous sommes confrontés à une réduction d'à peu près 85% des apports en eau. Mais ce n’était pas imprévisible. Le Maroc a vécu à travers l'histoire un certain nombre d'épisodes où il y avait des restrictions importantes des ressources en eau, ce qui affectait lourdement l’agriculture.
Quelle lecture faites-vous des politiques publiques de l’eau?
Le Maroc a toujours pris en considération la composante «eau» dans l’élaboration de ses politiques publiques. En remontant un petit peu dans l'histoire, à l’époque des Almoravides, des Almohades, l'Etat central prenait toujours en compte les variations climatiques et les alternations entre les années sèches et celles humides. L'on avait donc construit des canaux et des «sagias» (châteaux d’eau, ndlr) pour faire face aux épisodes de déficit hydrique.
Vient ensuite la période marquée par la construction de barrages à fortes potentialités en eau de surface pour faire face aux besoins des centres urbains en eau potable. Aujourd’hui, je pense que les politiques publiques de l’eau doivent changer de paradigme, étant donné que nous sommes confrontés à des crises plus importantes, qu'elles soient d’ordre technologique ou même de guerre, comme ce qui se passe en Ukraine.
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Le contexte actuel se caractérise par quelques problèmes au niveau de l’approvisionnement en denrées alimentaires, lesquelles sont étroitement liées à l’eau, ce qui nous pousse à poser des questions sur notre politique agricole, mais aussi celle de l’énergie.
Il y a actuellement un besoin d’eau. Cependant, nous ne sommes pas en mesure d'en produire, du moins pour le dessalement. Les politiques publiques de l'eau doivent donc tenir compte de tous ces paradigmes. Le rôle central de l'Etat est important, mais celui que doivent jouer les collectivités territoriales est aussi indispensable. Il faut aujourd’hui aller vers une politique de l'eau qui est beaucoup plus territorialisée.
On se dirige de plus en plus vers l’utilisation des eaux souterraines. Comment assurer une meilleure utilisation de ces ressources hydriques?
Les eaux souterraines sont aujourd’hui des ressources stratégiques. Il y a deux types de ces eaux: celles qui sont renouvelables -et qui peuvent se régénérer par la pluie-, et d’autres qui ne le sont pas. L’idée est donc d'essayer de ne pas aller creuser encore et encore, de creuser davantage la nappe pour pouvoir aller chercher des eaux qui ne sont pas renouvelables.
Il est désormais essentiel de donner un moratoire aux eaux souterraines, pour pouvoir régénérer les nappes. Sinon, nous serons confrontés à d’autres problèmes, notamment d’intrusion marine et de tarissement.