Une alternance par les urnes -la troisième dans l’histoire du pays, après celles d’Abdoulaye Wade et de Macky Sall (2012)- a porté Bassirou Diomaye Faye à la présidence du Sénégal, avec une majorité de 54% des votants, le 28 mars dernier.
Des chefs d’État étaient présents à son investiture, le mardi 2 avril, à savoir le Nigérian Bola Ahmed Tinubu (également président en exercice de la CEDEAO), le Mauritanien Mohamed Ould Ghazouani, le Gambien Adama Barrow, le Guinéen Mamadi Doumbouya et le Bissau-Guinéen Umaro Sissoco Embalo. Étaient également présents les représentants de la Côte d’Ivoire (le vice-président Tiémoko Meyliet Koné), du Rwanda (le Premier ministre Édouard Ngirente) et du Mali (le président du Parlement de transition Malick Diaw).
Pour le Maroc, le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a assisté à l’investiture du nouveau président sénégalais, représentant SM le Roi, accompagné du ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita. Le Souverain a été le seul Chef d’État du Maghreb, d’Afrique du Nord et d’autres régions africaines -hormis l’Afrique de l’Ouest- à recevoir une telle invitation officielle. Une illustration de plusieurs aspects, liés d’ailleurs entre eux: le statut de SM Mohammed VI et son leadership personnel, moral, politique et diplomatique dans le continent; l’étroitesse des liens historiques, culturels et religieux entre les deux peuples; et enfin l’attachement partagé à un modèle démocratique avec ses valeurs et son projet de société.
Le nouveau président a été élu sur une promesse de rupture: il se veut «antisystème». Il proclame également qu’il est panafricaniste de «gauche». Mais encore? Il a fait état de son admiration pour Barack Obama, mais aussi pour Nelson Mandela. Comment va se décliner ce référentiel proclamé? Il appelle à une réarticulation de l’ensemble des partenariats internationaux: le Sénégal, a-t-il annoncé, va rester «un allié pour tout partenaire qui s’engagera dans une coopération vertueuse, respectueuse et mutuellement productive». Il a aussi précisé qu’il allait soutenir le retour dans la CEDEAO du Burkina Faso, du Mali et du Niger, dirigés par des juntes. Des interrogations persistent sur le rééquilibrage des relations avec Paris.
À l’intérieur, que fera-t-il? Comment prendre en charge le grand désir de changement des Sénégalais, qui l’ont élu dans un grand élan de ferveur et de mobilisation? Quel gouvernement pour commencer? Ousmane Sonko, leader du parti d’opposition FASTEF, dont il était pratiquement l’alter ego, a été nommé Premier ministre. Les deux forment un duo de «frères» qui ont partagé une quinzaine d’années de militantisme et même l’emprisonnement.
Le nouveau cabinet sera constitué au plus tôt. Sur quelles bases et avec quels profils? L’idée de technocrates «majoritaires» a été avancée, marquant bien une rupture tournée désormais vers l’amélioration et l’efficience de la gouvernance des politiques publiques. Une autre page donc: elle se propose de tourner le dos à des nominations clientélistes et au recasement de personnalités par l’ancien président et son parti. Ce que l’on sait pour l’heure, c’est que le nouvel exécutif sera composé de «Sénégalaises et de Sénégalais de l′intérieur et de la diaspora connus pour leur compétence, leur intégrité et leur patriotisme».
Reste ensuite un autre problème institutionnel: le nouveau président ne dispose pas d’une majorité à l’Assemblée nationale. Élue en septembre 2022, cette dernière ne peut éventuellement être dissoute que deux ans après, soit en septembre 2024. Il n’y a pas d’autre choix, en attendant, que d’arriver à former, sous telle ou telle configuration, des alliances, la coalition nationale de Macky Sall totalisant une majorité absolue de justesse, avec 83 sièges sur les 165 de l’institution parlementaire.
Quels chantiers? Et quelles priorités? Le nouveau président a reconnu que le premier défi est «la création d’emplois». La population est jeune (75% des Sénégalais ont moins de 35 ans), le taux de chômage officiel dépasse les 20%, la pauvreté s’est aggravée et l’émigration irrégulière s’est accentuée. Comment résoudre cette problématique du chômage? Cela prendra du temps et nécessitera une profonde restructuration de l’appareil productif et des mesures conséquentes. Comment investir dans le secteur industriel, alors que les services dépassent les 60% du PIB? La loi de finances 2024 fera-t-elle l’objet d’un réexamen pour prioriser des politiques publiques et commencer à traduire le changement attendu? Comment dégraisser l’administration pléthorique et budgétivore? Que faire de visible et de lisible dans la lutte contre la corruption? Un parquet national financier sera-t-il mis sur pied? Restaurer la confiance: voilà aussi une autre exigence tout aussi impérative. Et à cet égard, il importe d’améliorer le climat d’affaires, l’attractivité pour les investissements directs étrangers et donner des signes positifs aux bailleurs internationaux interrogatifs quant à la voie du nouveau président. Tout cela peut-il faire l’économie de «gestes» faisant sens pour les millions d’électeurs, avec de fortes ententes, espérant au moins pour commencer une baisse rapide du prix des produits de base (électricité, riz, huile…).
D’ordinaire, l’on parle d’un délai de grâce de «cent jours» pour tout nouveau gouvernement. Le Sénégal a fait montre de nouveau de sa capacité démocratique. Celle-ci doit se traduire par un grand élan réformateur, un autre projet social, solidaire, inclusif et exemplaire.