Sahara: Jusqu’où portera la voix de Londres?

Florence Kuntz.

Florence Kuntz.

ChroniqueEt de trois! Si l’évolution de la diplomatie britannique provoque un basculement en faveur du Maroc au sein du club très fermé des membres permanents du Conseil de Sécurité, elle marque aussi le ralliement d’une puissance d’un rayonnement singulier, capital dans l’engagement pris par Londres de «continuer d’agir sur les plans régional et international, conformément à cette position, afin de soutenir le règlement du différend».

Le 07/06/2025 à 10h19

Lors de son déplacement à Rabat, le premier juin dernier, le chef de la diplomatie britannique, David Lammy, a déclaré que le Royaume-Uni «considère la proposition d’autonomie du Maroc comme la base la plus crédible, la plus viable et la plus pragmatique pour une résolution durable du différend».

Le pragmatisme? Londres en a fait la boussole de ses relations internationales, particulièrement de ses relations avec le reste de l’Europe, gouvernant au gré de ses intérêts nationaux: c’est le mot de Churchill opposé au projet de Communauté européenne de défense, «nous sommes avec eux sans être des leurs»; c’est la formule de Thatcher, «I want my money back», exigeant un rabais de la contribution britannique au budget européen; c’est l’option de retrait sur l’euro lors de la ratification du Traité de Maastricht– jusqu’à la décision ultime de juin 2016, le Brexit.

Pour autant, ou pour tout cela, le Royaume-Uni est une des grandes nations européennes, seule détentrice– avec la France– de la force de dissuasion nucléaire– qui cultive des alliés solides dans l’Union européenne, à commencer par ceux des États membres qui partagent à la fois sa conception du libre-échange et de l’Habeas Corpus– les Pays-Bas et l’Irlande.

Ces derniers mois, sur fond de tensions économiques, des turbulences venues d’outre-Atlantique, et d’une vision géopolitique commune face à la Russie, le Premier ministre Starmer et les dirigeants européens préparaient un «reset» de la relation Royaume-Uni/UE: ils viennent d’accoucher d’un nouveau partenariat «visant à encadrer la coopération dans un large éventail de domaines de la sécurité et de la défense», notamment «la coopération dans les pays tiers et les enceintes multilatérales».

Autre «cercle» d’influence diplomatique britannique, l’héritage d’un Empire sans équivalent qui, à son apogée, représentait le quart de la superficie du globe et 1/5ème de la population mondiale et projetait la présence britannique sur tous les continents, de l’Amérique (Guyane, Canada) au monde asiatique (Ceylan, Sri Lanka, Malaisie, Singapour, Brunei, pays de «l’ Empire des Indes»)– et à l’Océanie (Australie, Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Guinée) en passant par l’Afrique et les actuels Gambie, Sierra Leone, Ghana, Nigeria, Soudan, Botswana, Afrique du Sud, Somalie, Kenya, Ouganda, Malawi, Zambie, Zimbabwe…

Une décolonisation, ici encore «pragmatique», a permis à la Couronne britannique de maintenir des liens étroits avec un ensemble de pays de toutes tailles, des plus proches aux plus lointains.

«Le Royaume-Uni bénéficie, de fait, d’un réseau diplomatique mondial et on pourra aussi mesurer «l’effet Commonwealth» dans les efforts que Londres entend déployer sur le dossier du Sahara. »

—  Florence Kuntz

Nombre d’anciennes colonies ont choisi de rejoindre le Commonwealth, association volontaire d’États souverains créée en 1932, ayant Londres pour capitale, et une présidence tournante des chefs d’État des pays membres. Si le Commonwealth conserve aujourd’hui une influence certaine par sa puissance démographique (un terrien sur trois)– et économique, son poids politique est d’autant moins évident que, près d’un siècle après sa création, les pays qui le composent offrent de grandes différences en matière de gouvernance et d’intérêts régionaux. Il n’en demeure pas moins que le Royaume-Uni bénéficie, de fait, d’un réseau diplomatique mondial et qu’on pourra aussi mesurer «l’effet Commonwealth» dans les efforts que Londres entend déployer sur le dossier du Sahara.

Enfin, la singularité du Royaume-Uni réside dans une diplomatie du soft power qui a pour principal élément un reliquat bien vivant de l’Empire: la langue anglaise– introduite par la Couronne dans ses nombreuses colonies, entretenue dans le vaste univers du Commonwealth, et finalement imposée à tous par les États-Unis depuis le mitan du 20ème siècle. Une langue anglaise qui influence la pensée, le commerce et le droit, un idiome si puissant qu’il continue à régner en maître dans les institutions européennes après le Brexit, la première langue parlée dans le monde, avec 1,5 milliard de locuteurs.

Le soft power britannique, ce sont aussi des médias puissants, dont l’inégalable BBC, propriété de l’État, une centenaire qui affiche des audiences record: jusqu’à 500 millions de personnes par semaine! Et des acteurs clés de la diffusion des initiatives diplomatiques, les laboratoires d’idées– nés dans le monde anglo-saxon, aux États-Unis et au Royaume-Uni– dont le «Royal Institute of International Affairs» plus connu sous le nom de Chatham House– classé dans le top cinq mondial des Think Tanks, si influent qu’il a formalisé la règle éponyme– protéger l’anonymat des participants et la confidentialité des échanges pour faciliter la liberté des discussions et des négociations– aujourd’hui largement utilisée à travers le monde.

Jusqu’où portera la voix de Londres? L’avenir le dira; un avenir proche si l’on considère les ambitions affichées par le chef de la diplomatie britannique: «Cette année est une occasion unique de parvenir à un accord avant que le conflit n’atteigne son 50ème anniversaire en novembre».

Par Florence Kuntz
Le 07/06/2025 à 10h19