Il y a d’abord eu, et pendant longtemps, les bavardages et autres réactions intempestives. Ensuite les bouderies. Et puis, voici venu le temps de l’aphasie. C’est le pâle récit de la politique étrangère algérienne s’agissant, notamment, du Sahara atlantique, terrain où l’hostilité au Maroc lui fait pourtant office de colonne vertébrale (ou moelle osseuse, c’est selon). En témoigne l’absence totale de réaction chez le voisin quant à la résolution 2703 du Conseil de sécurité sur le Sahara, adoptée le 30 octobre dernier au siège de l’ONU à New York.
Pareilles résolutions, plus nuancées à l’égard de la responsabilité de l’Algérie et faisant prévaloir l’esprit de réalisme et de compromis dans une solution au conflit du Sahara, ont donné lieu en 2021 et 2022 à de véritables levées de boucliers de la part de la junte. On s’en souvient: dans une déclaration publiée le 31 octobre 2021, l’Algérie avait ouvertement rejeté la résolution 2602 du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Sahara, au prétexte qu’elle était «déséquilibrée» et «partiale». Sa diplomatie est allée jusqu’à faire circuler une note parmi les membres du Conseil de sécurité dans laquelle elle confirmait son «rejet formel et irréversible» des tables rondes à laquelle l’appelait la communauté internationale.
Fuite en avant
Ce rejet s’est répété après l’adoption, le 27 octobre 2022, de la résolution 2654 du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Sahara. Fait notable, l’Algérie avait attendu plus de deux jours avant de réagir. Le tout, pour dire, et en termes on ne peut plus vaseux, que la résolution résulte, comme ses devancières, «d’un exercice laborieux de rédaction dépourvu de la volonté d’orienter et de stimuler des efforts destinés à préserver la nature de la question du Sahara occidental et à lui appliquer scrupuleusement la doctrine et les bonnes pratiques des Nations unies en matière de décolonisation». On admirera au passage que la diplomatie de la junte se soit en cela réclamée du Plan de règlement porté par la résolution 690 datant… de 1991. Plus «laborieux», tu meurs! Et surtout anachronique.
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Cette année, le régime algérien, sentant son irrécupérable perte du sens de l’Histoire, semble davantage à court d’éléments de langage, ne serait-ce que pour critiquer les percées diplomatiques du Maroc et insulter, une fois de plus, l’avenir.
Le scénario optimiste, bien que très peu probable, veut que l’Algérie ait pris conscience que le dossier évolue résolument dans le sens de la position marocaine et sa proposition d’autonomie, analyse Saïd Khamri, professeur de sciences politiques à l’Université Hassan II de Mohammedia. Cette année encore, 13 membres du CS ont voté pour la résolution, contre deux abstentions, celle de la Russie et du Mozambique. «De surcroît, les pays qui se sont abstenus n’ont pas agi contre les intérêts du Maroc. La tendance favorable à l’option marocaine est aussi large que fondamentale. Les plus grandes puissances soutiennent désormais ouvertement le Maroc et les reconnaissances de sa souveraineté sur le Sahara se multiplient. L’Algérie n’est pas sans le savoir et cela l’engage à changer de méthodologie et à revoir sa politique. Pour le meilleur ou pour le pire», explique le politologue.
La non-réaction du régime d’Alger à la dernière résolution du Conseil de sécurité sur le Sahara occidental serait-il annonciateur d’un changement, sous la contrainte, de la politique d’hostilité criante de l’Algérie à l’intégrité territoriale du Maroc? Même si cela peut paraitre improbable, l’isolement et les échecs en série du voisin oriental peuvent le contraindre à changer son fusil d’épaule.
Le mutisme algérien peut toutefois avoir d’autres explications: l’Algérie s’apprête à rejoindre le Conseil de sécurité en janvier prochain en tant que membre non permanent. Pour une durée de deux longues années. Rejeter une résolution émanant d’un conseil dont elle va faire partie revient à se défausser et risque donc de faire désordre.
Es-Smara: nouvelle escalade?
L’aphasie algérienne peut également cacher de nouvelles manœuvres pour stopper l’élan mondial d’appui au Maroc sur le dossier du Sahara. Les événements d’Es-Smara ne sont pas loin et les présumés attentats perpétrés dans la ville la nuit du samedi 28 à dimanche 29 octobre, qui ont fait un mort et trois blessés, sont encore vivaces. Alors que la piste de la main du Polisario, et donc de son parrain algérien, se précise, Saïd Khamri y voit le début d’une escalade dont l’objectif est de torpiller les efforts onusiens, résolument en faveur du Maroc, dans le cadre d’une stratégie visant à entraver toute résolution pacifique et définitive au conflit du Sahara occidental. «Une façon également de donner une dimension plus importante au conflit et de forcer la main à la communauté internationale», relève-t-il. Le duo Algérie-Polisario entendrait en cela surfer sur l’écho mondial de la guerre à Gaza pour calquer le «modèle» au Sahara et ainsi se désengager du processus politique.
Ce silence trahit néanmoins une attitude consubstantielle à l’administration algérienne sous Abdelmadjid Tebboune: l’inconséquence. Sinon, comment se fait-il qu’une résolution encore plus critique vis-à-vis du tandem Polisario-Algérie ait été passée sous silence, alors que ses précédentes ont été accompagnées par de grands tapages diplomatiques et médiatiques? Cette année, pas un seul mot. Ni sur l’appel réitéré du Conseil de sécurité à l’Algérie de revenir aux négociations sous le format des tables rondes. Ni sur l’impératif de permettre un recensement des populations des camps de Tindouf, auquel la junte et sa milice armée continuent de s’opposer. Encore moins sur l’insistance de la communauté internationale quant au «compromis» et à la «solution politique» comme seule optique pour une issue «réaliste et réalisable» au conflit. Pour les atteintes aux droits de l’homme à l’est du Mur de défense et le «nécessaire respect» de la liberté d’expression dans les camps, tel que stipulé dans le texte, il faudra également repasser.
Pendant ce temps, et tout en naviguant à vue, la diplomatie du voisin met tous ses projecteurs (notamment médiatiques) sur la guerre entre Israël et le Hamas. La finalité est évidente: détourner l’attention des Algériens quant aux chaos interne. Une fuite en avant qui cache mal le fait que même sur ce registre, l’Algérie brille littéralement par sa grande absence. Un sommet important pour la paix au Caire boudé, un discours du président de l’Union interparlementaire (UIP) boycotté, des réserves émises sur la déclaration finale de la réunion arabe d’urgence sur la situation en Palestine, une réunion extraordinaire du Comité exécutif de l’Organisation de la conférence islamique dénoncée… Il n’est désormais plus aucun événement à l’international où l’Algérie ne se distingue pas par des réactions aussi incompréhensibles que négatives. La preuve d’une diplomatie totalement à la dérive qui, pour s’assurer un semblant de visibilité à moindre coût, se noie dans la négation.
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Tout est de savoir combien de temps le régime, visiblement doté de grandes compétences pour se donner en spectacle, réussira encore à se contenir, lui qui nous a toujours habitué aux réactions épidermiques et autres coups de sang. Surtout, et à très court terme, il sera intéressant d’observer comment Alger compte rendre la monnaie de sa pièce à la France, membre permanent du Conseil de sécurité, qui a non seulement a réaffirmé son appui «historique» à la proposition d’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine, mais aussi rappelé l’Algérie à ses responsabilités au sujet des tables rondes.
Dans son commentaire suivant l’adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU de la résolution renouvelant le mandat de la MINURSO, Nicolas de Rivière, représentant permanent de la France auprès des Nations unies, a en effet, et de la manière la plus officielle, appelé à la reprise des discussions entre toutes les parties dans le différend autour du Sahara, suivant le modèle des tables rondes. Une position qui souligne le peu de cas qu’accorde la communauté internationale au «rejet formel et irréversible» par l’Algérie des tables rondes.