Pourquoi le «Système» algérien adopte-t-il une posture guerrière?

Bernard Lugan.

ChroniqueDepuis quelques mois, l’Algérie a décidé et choisi de se placer dans une situation quasi pré-conflictuelle avec le Maroc. Face à une situation due aux pillages des ressources de l’État, à la gabegie et à l’incompétence, ceux qui dirigent le pays depuis 1962 sont politiquement et socialement acculés. Voilà pourquoi ils ont choisi la fuite en avant à travers des postures guerrières.

Le 12/11/2024 à 10h58

Depuis quelques mois, et plus particulièrement depuis quelques semaines, l’Algérie a décidé et choisi de se placer dans une situation quasi pré-conflictuelle avec le Maroc. Les raisons de cette politique aux dangers immenses sont multiples.

La première est que les échecs diplomatiques s’accumulant, tant sur la question du Sahara dit «occidental», sur laquelle sont arc-boutés ses dirigeants, que sur celles de la gestion des crises malienne et libyenne, l’Algérie a décidé de masquer son effacement international en tentant de donner le change à travers des démonstrations de force et des discours martiaux.

La deuxième raison tient aux équilibres internes du pays qui est déchiré par une féroce guerre de clans. Aussi, afin de maintenir un minimum de cohésion entre ces derniers, quoi de mieux que de dénoncer un prétendu péril extérieur?

La troisième raison est que, si le «Système» algérien a artificiellement triomphé du Hirak, ses dirigeants n’ignorent pas que le climat social est toujours, et même de plus en plus explosif. Plus encore, les dernières élections présidentielles ont démontré que le «régime-système» avait perdu toute légitimité. Alors que la moitié de la population algérienne a moins de 20 ans, le pays est en effet dirigé par des vieillards dont la seule «légitimité» est d’avoir lutté, parfois d’ailleurs en imagination, contre la présence française entre 1954 et 1962. Dans ces conditions, une politique de tension et des discours guerriers à l’encontre du voisin marocain ne seraient-ils pas un bon moyen de museler les oppositions? En effet, comme à toute critique, la réponse est l’accusation de trahison, toute voix discordante doit se taire si elle ne veut pas connaître la prison. Voilà qui permet donc d’instaurer, au nom du «patriotisme», un véritable système dictatorial.

La quatrième raison est que, si le «Système» a réussi à régler la question de la succession du président Bouteflika au mieux de ses intérêts, il n’a pas évité le naufrage économique, avec la hausse des prix, les pénuries et le marché noir. Aujourd’hui, l’Algérie n’est plus en mesure de satisfaire les besoins élémentaires d’une population dont le taux d’accroissement annuel est de 2,15% avec quasiment 900.000 bouches nouvelles à nourrir chaque année.

Le pays ne produisant pas de quoi habiller, soigner et équiper sa population, il doit donc tout acheter à l’étranger. L’agriculture et ses dérivés ne permettant de satisfaire qu’entre 40 et 50% des besoins alimentaires du pays, le quart des recettes tirées des hydrocarbures sert à l’importation de produits alimentaires de base. L’importation des biens alimentaires et des biens de consommation représente actuellement environ 40% de la facture de tous les achats faits à l’étranger (Centre national de l’informatique et des statistiques-douanes-CNIS).

«Une politique de tension et des discours guerriers à l’encontre du voisin marocain ne seraient-ils pas un bon moyen de museler les oppositions?»

La seule question qui se pose est désormais de savoir si l’État pourra encore longtemps acheter la paix sociale. Les dirigeants algériens sont bien conscients du fait que, perfusé de subventions, si le socle légitimiste de la population n’a pas rejoint le Hirak, ce fut uniquement par crainte de voir triompher une révolution qui l’aurait privé des 20% annuels du budget de l’État qui est consacré aux «ayants droit»…

Les dirigeants algériens n’ignorent pas que le chômage des jeunes atteint au minimum 35% et que la misère sociale est telle que certains observateurs ne craignent pas de parler de «clochardisation» d’une partie de la population. Ils savent que l’industrie est inexistante, le système bancaire antédiluvien, et qu’avec plus de 1,5 million de fonctionnaires, l’administration est pachydermique. Ils savent bien que la société est zébrée par de profondes fractures régionales, ethniques, religieuses et générationnelles. Mais le «Système» ne peut se remettre en question car, depuis trop d’années, ses dirigeants cacochymes prospèrent sur le mythe de la résistance à la colonisation, bunkérisés avec les nombreuses associations d’ayants droit, dont les moudjahidines ou les enfants de martyrs, qui bloquent l’Algérie sur des schémas obsolètes en tournant le dos à la modernité et, peut-être plus grave encore, au réel.

Face à une situation due aux pillages des ressources de l’État, à la gabegie et à l’incompétence, ceux qui dirigent le pays depuis 1962 sont politiquement et socialement acculés. Voilà pourquoi ils ont choisi la fuite en avant à travers des postures guerrières, espérant ainsi rallier autour d’eux une population qui ne leur fait plus confiance. Mais ce faisant, ils ne font que reculer le moment où la vague de fond populaire finira par les balayer.

Pour l’avenir du Maghreb, il ne reste donc plus qu’à espérer et à prier pour que leur lutte pour leur propre survie ne débouche pas sur un conflit dévastateur dont, aux yeux de l’histoire, ils porteraient toute la responsabilité.

Par Bernard Lugan
Le 12/11/2024 à 10h58