Voici quelques jours, un de mes amis, économiste distingué, me faisait ce constat: «Il y a depuis des mois une énigme Maroc, tout le monde veut nous aider, toutes les portes s’ouvrent…» Faut-il s’en plaindre? Pas le moins du monde! Mais il faut tenter d’appréhender les contours de cette situation pour en éclairer les tenants et aboutissants. Ce qu’il faut relever dans ce que l’on pourrait appeler le «stock» regarde plusieurs domaines. La stabilité institutionnelle et politique en est l’un d’entre eux. Quel pays dans la région du Maghreb, du monde arabe ou même dans une grande partie du continent peut sérieusement exciper de cet acquis? Cela ne se décrète pas, tant s’en faut. C’est là une capitalisation, un legs des siècles qui a accompagné, construit et forgé un socle adossé à un référentiel. SM le Roi l’a mis en relief, en termes forts, dans son discours au Parlement, le vendredi 13 octobre. Il a fait instamment référence à des «valeurs authentiques de l’âme marocaine».
Quelles sont-elles? Quel est leur contenu? Au premier rang, une identité nationale articulée autour de trois principes, liés entre eux d’ailleurs. Le premier a trait à des valeurs religieuses: le Maroc est terre d’Islam depuis plus de quatorze siècles, presque un millénaire et demi donc, la nation marocaine est ainsi consubstantielle à l’Islam. Un Islam de rite sunnite malékite dont le fondement est Imarat Al Mouminine. Ce qui le distingue de tant d’autres rites, c’est qu’il prône et consolide toute une conception du «juste milieu». Voilà qui, du fait de sa modération, de sa tolérance et de son ouverture, tranche avec tant d’autres doctrines sectaires et dogmatiques: il repose sur le primat du dialogue des cultures et des civilisations ainsi que sur la coexistence pacifique des religions. C’est le Maroc qui porte haut cette philosophie; le Royaume est le seul pays arabe et musulman a avoir reçu deux papes, Jean-Paul II en août 1985, sous le précédent règne, et François en mars 2019. Qui dit mieux? Il faut ajouter que dans le Préambule de la Constitution de 2011, il est souligné que l’unité nationale, «forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen». La religion musulmane est prééminente dans le référentiel national, mais elle se conjugue également avec des valeurs d’ouverture.
À n’en pas douter, n’est-ce pas là un modèle marocain bien spécifique? Il se traduit par la réussite d’un «vivre ensemble», non pas subi ni contraint, mais dont la marque est l’adhésion. Le Souverain a précisé dans cette même ligne que «les Marocains, musulmans et juifs», cultivent l’entente cordiale et le respect envers les autres religions et cultures. Une précision qui prend tout son relief et son sens dans le contexte de violence et de guerre qui prévaut depuis une dizaine de jours au Proche-Orient.
Le deuxième principe regarde, lui, ce qui forme et constitue «le socle de la nation» qui a une clé de voûte, à savoir la monarchie. Là encore, sur cette institution, qui a un historique structurant dans les longues séquences des siècles, pèse un cahier de charges fondé sur la mission et la responsabilité du khalifat: la défense de la foi, la protection des croyants. À ce titre, elle doit unifier, rassembler aussi, et ce, par-delà les différenciations socioculturelles, géographiques et économiques. Elle est un bien commun, un patrimoine. Elle témoigne d’un contrat, d’un pacte même, entre le Trône et le peuple, sur la base d’une étroite symbiose. Le patriotisme en est l’expression la plus affichée. Il en est même le corollaire. La société marocaine est composite, on le sait. Elle est plurielle, mais l’unanimité nationale transcende tout cela. L’épopée de la Marche verte en novembre 1975 en a été l’illustration historique voici près d’un demi-siècle. La mobilisation autour de l’intégrité territoriale n’a jamais baissé, bien au contraire. Elle garde toujours sa ferveur parce que la communauté nationale mesure que c’est le destin du pays qui est en cause.
Enfin, un dernier principe n’est pas le moins important: celui des «valeurs de solidarité et de cohésion nationale». Le Souverain a fait ici référence à «un remarquable esprit de corps». Cela se décline autour de chantiers et de réformes impliquant un développement durable, tant social que territorial. Social parce qu’il s’agit d’édifier un «État social» sur la base d’une politique de justice sociale, d’une réévaluation du partage des fruits de la croissance, et de politiques publiques inclusives. Question de dignité et d’éligibilité aux droits fondamentaux. Cela se prolonge au niveau des territoires avec le programme de reconstruction de 120 milliards de dirhams pour les provinces et préfecture sinistrées à la suite du séisme dans la région d’Al Haouz du 8 septembre dernier. Assurément, cette catastrophe a imposé une réarticulation et une repriorisation des axes stratégiques retenus dans le Nouveau modèle de développement adopté à la fin mai 2021.
L’entraide et la solidarité: elles ont été exceptionnelles. Il n’y a eu ni appels officiels ni communiqués pour cela, mais autre chose venant des profondeurs de la société, à savoir «la sincérité et la spontanéité» comme l’a précisé le Souverain. Des élans et des ressorts, un capital propre, un fonds toujours là, mobilisable quand des circonstances exceptionnelles l’exigent. Un élan vital où toutes les composantes de la société, institutionnelles ou non, se sont distinguées en première ligne et continuent toujours à œuvrer sur le terrain.
Avec la prochaine révision du Code la famille, décidée par SM le Roi, c’est aussi le Maroc sociétal qui est à l’ordre du jour. Celui de 2004 a traduit des avancées, mais il a besoin d’une actualisation pour prendre en charge de nouvelles contraintes: l’évolution de la société, les insuffisances de la législation actuelle, une meilleure protection des mineures et l’implémentation du principe d’égalité des genres dans de nombreux domaines (tutelle partagée, héritage…). L’article 19 de la Constitution sur l’égalité des droits et libertés est normatif: il s’impose donc et il doit avoir toute son effectivité pour réaliser la parité entre les hommes et les femmes.
Voilà certains traits du Maroc de 2023. L’on ne peut que les compléter avec le statut de plus en plus consolidé de puissance émergente, influente, servie par une diplomatie agile, intelligente, porteuse d’une vision dans de nombreux domaines: coopération Sud-Sud, régulation des migrants, changement climatique, énergies renouvelables, hydrogène vert, lutte antiterroriste, partenariat et multilatéralisme. Attaché aux principes de la Charte des Nations unies, le Royaume est constant dans ses positions. Une capitalisation qui donne une visibilité particulière à sa politique étrangère et une forte valeur ajoutée à son image. Légitime, la «Marocmania», non?