«Je propose de considérer que le peuple du Sahara occidental ne peut pas manifester son consentement, dans la mesure où ce “peuple” n’a pas encore exercé son droit à l’autodétermination, ce qui signifie également que le peuple du Sahara occidental ne dispose pas de représentant susceptible d’exprimer un consentement en son nom. J’en conclus que, dans le cas des territoires non autonomes, le consentement est donné par la puissance administrante de ce territoire. En l’espèce, j’estime que rien ne fait obstacle, en droit international, à l’interprétation proposée par les institutions de l’Union, selon laquelle le Royaume du Maroc doit être considéré, en droit de l’Union, comme la puissance administrante (“de facto”) du territoire du Sahara occidental.»
Les conclusions de l’avocat général Ćapeta sont, sur ces points, doublement conformes aux points de vue des institutions européennes. D’une part, le Polisario n’est pas le représentant officiel du peuple du Sahara occidental. Même si le Front Polisario participe aux négociations politiques sur la résolution de la question du Sahara occidental, «ce rôle n’est pas le même que celui d’un représentant élu ou reconnu du peuple sahraoui exprimant les aspirations collectives de celui-ci». C’est assurément la position du Conseil et de la Commission, et une décision tant de l’Union européenne (UE) que de ses États membres, que de ne pas reconnaître de statut au Polisario. D’autre part, s’agissant d’un territoire non autonome, le consentement doit être donné par la «puissance administrante»– ce qui revient ici à considérer que le cocontractant de l’UE sur les accords commerciaux doit bien être le Royaume du Maroc et seulement le Royaume du Maroc.
Vu d’Europe, une fois considéré ce que n’est pas le Polisario, comment qualifier ce qu’il est? Assurément un escroc, ayant initié un vaste système de fraude au budget de l’UE au grand dam de sa victime, la Commission européenne, qui mit longtemps à se l’avouer… Une saga de décennies de détournement des aides humanitaires destinées aux réfugiés des camps de Tindouf, ponctuée d’une enquête de l’OLAF (agence anti-fraude de l’UE) démarrée en 2003 et mettant à jour le détail des malversations: surestimation du nombre de réfugiés, et donc des aides reçues, tri de ces aides dès leur arrivée au port d’Oran pour séparer «ce qui doit être distribué de ce qui peut être détourné», aliments soustraits aux réfugiés, remplacés par des équivalents de moindre qualité, pour être vendus sur des marchés parallèles… Ces conclusions édifiantes, connues de l’exécutif bruxellois dès 2007, mais étouffées pendant plus de sept années, durant lesquelles la Commission n’a pas jugé nécessaire de revoir ses aides, mais à peine, et avec peine («ni l’Algérie ni le Front Polisario n’ont accepté qu’un recensement des populations des camps soit organisé», selon l’OLAF) elle a obtenu une révision à la baisse du nombre d’allocataires (de presque 50%!), pour un rapport finalement rendu public au forceps de l’Ombudsman bruxellois. Avec quelles sanctions?
Il a fallu encore attendre 2016 pour obtenir de l’Algérie que les achats faits sur le territoire algérien et destinés à être distribués sous forme de dons aux réfugiés sahraouis soient enfin exonérés de la TVA locale. Entre 2010 et 2014, la Commission a évalué cette TVA à 1 million d’euros, soit une moyenne de 200.000 euros par an, équivalent à 2% du montant annuel de l’aide fournie par l’UE. Et depuis? Les initiatives de quelques eurodéputés durant la mandature qui s’achève (2019-2024) furent autant de bouteilles jetées en Méditerranée: proposition de rapport enterrée, question orale à un commissaire venu défendre les budgets «ECHO» restée sans écho, une paire de questions écrites venues du groupe central du PE, via des députés bulgares ou belges, l’inventaire d’un hémicycle hélas hémiplégique, la gauche européenne préférant sans doute évoquer le sujet dans le huis clos de «son intergroupe Sahara occidental».
Et pourtant! La question qui demeure, «où va l’argent?», ne représente plus seulement l’enjeu du financement des villas de caciques du Polisario par le contribuable européen, mais rien de moins que la sécurité de l’Europe, tant la situation au Sahara et au Sahel s’est fortement dégradée au fil des dernières années que les experts en géopolitique n’hésitent plus à projeter en Afrique le «prochain Califat» et qu’on peut s’interroger sur les liens entre le Front Polisario et les groupes terroristes qui progressent dans la région. Ces connections ne sont pas nouvelles: les fondateurs de l’État islamique dans le Grand Sahara étaient d’abord des combattants du Polisario. Elles sont aujourd’hui rappelées à la Commission par un eurodéputé inquiet, ancien ministre français de l’Intérieur, mentionnant «certaines informations qui indiquent une possible connivence entre les zones de non-droit sous contrôle du Polisario et les groupes terroristes, dans la mesure où le Polisario fournit des armes et un soutien logistique, y compris du carburant, aux groupes terroristes». Un Polisario dont les attaques contre les civils à l’automne 2023 dans la ville de Smara pourraient être qualifiées de terroristes? Dommage, le haut représentant Borrell quittera Bruxelles sans avoir pris le temps de répondre à cette autre question, d’un autre élu européen, posée au lendemain des tirs revendiqués par le Polisario…
Alors que l’UE est confrontée à un contexte géopolitique de guerres et de menaces terroristes exacerbées, que ses membres réclament de vouloir mieux maîtriser l’aide humanitaire et de renforcer les mécanismes de contrôle des fonds qu’ils allouent, il est temps qu’on s’assure que ces garanties supplémentaires couvriront tout le bassin méditerranéen.