Si les attaques meurtrières du 7 octobre 2023 ont d’abord, et heureusement, provoqué une réponse unanime des dirigeants européens –condamnation des attaques du Hamas, appel à la libération des otages et droit d’Israël à se défendre dans le plein respect du droit international humanitaire– les réactions des 27 et du «triangle institutionnel» (Commission-Parlement-Conseil) à la riposte israélienne ont mis en lumière les fractures historiques du continent européen sur le conflit israélo-palestinien. Pire, la Commission européenne, qui pourtant ne détient aucune compétence de politique étrangère, a porté au monde une voix dissonante, ajoutant à la confusion et au sentiment largement diffusé parmi les pays tiers que l’Europe avait «choisi son camp».
C’est d’abord la présidente Von der Leyen qui se rend en Israël le 13 octobre 2023 et affirme le droit de l’État hébreu à se défendre, sans rappeler, en même temps, qu’il doit respecter le droit international.
C’est ensuite le commissaire européen au Voisinage qui décide unilatéralement de suspendre l’aide à la Palestine. Tancé par les États membres, dont la France, l’Espagne, l’Irlande et le Luxembourg, il sera finalement corrigé par son collègue en charge de la Gestion des crises, lequel précisera que l’aide humanitaire aux Palestiniens doit se poursuivre aussi longtemps que nécessaire…
Une aide cruciale, mais déjà menacée…
Cruciale car l’Union européenne (UE) est le principal fournisseur d’appui aux Palestiniens de Gaza et de la Cisjordanie occupée. Depuis 2013, un plan d’action UE-Palestine dicte un agenda de coopération politique et économique courant jusqu’en 2025. En bref, l’UE est, depuis une décennie, en première ligne pour soutenir l’économie locale et une population qui, dans la bande de Gaza, affichait en 2022 un PIB/habitant de 1.257 dollars! Sur la seule période triennale 2021-2024, Bruxelles a débloqué 1,18 milliard d’euros, ventilés en une aide directe pour payer les salaires et pensions des fonctionnaires de Cisjordanie et financer les hôpitaux de Jérusalem-Est, un soutien indirect aux réfugiés via l’agence onusienne UNRWA, et le financement de programmes de développement pour les accès à l’eau et à l’énergie, y compris des projets d’infrastructures à Gaza.
Menacée à double titre. D’abord, cet accord arrive à terme sans qu’on sache qui seront les prochains interlocuteurs. Et par ailleurs, l’UNRWA traverse une crise financière inédite après les accusations portées par Israël contre des employés qui pourraient avoir été impliqués dans l’attaque menée par le Hamas, causant en réaction la suspension de leur contribution future par un nombre important d’États européens: Italie, Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne, France, pays baltes, Autriche...
Un désengagement des donateurs européens qui serait inversement proportionné aux besoins, puisque cinq mois de conflit ont d’ores et déjà produit un bilan tragique.
Les opérations militaires ont endommagé ou détruit des infrastructures et des services essentiels d’approvisionnement en eau, d’assainissement et de santé… financés par l’UE. Pas moins de 90% de la population ne mange pas à sa faim. Dans le nord de la bande de Gaza, 1 enfant sur 6 est en malnutrition aigüe. Et selon les organisations non gouvernementales, OMS, UNICEF et PAM en tête, «les quantités livrées sont très largement insuffisantes pour échapper au trio mortel que forment la famine, la malnutrition et les maladies». Dans ce contexte, accélérer les largages aériens nourrit surtout la bonne conscience des Occidentaux. Par-delà les frontières, les valeurs et principes de l’UE reposent sur le triptyque contribution à la paix, protection des droits de l’Homme et garantie du droit international. Quand Gaza crie famine, c’est la crédibilité d’une UE déjà grande absente des négociations sur le cessez-le-feu, et la réputation de ses membres qui se jouent dans leur capacité à prouver, collectivement comme pour chacun d’eux, que leur prétention à œuvrer par tous les moyens au respect du droit international ne vaut pas que de l’Atlantique à l’Oural!
Laisser les enfants de Gaza grandir biberonnés à la haine de l’Occident ne servirait ni la paix au Moyen-Orient, ni les intérêts de l’Europe.