Le lieu est le Thomas Jefferson State Reception Room, un chef-d’œuvre de l’architecture néo-classique d’inspiration gréco-romaine et l’un des joyaux du siège du Département d’État américain à Washington, réservé aux grands de ce monde. Tout étant symbole, aux États-Unis plus qu’ailleurs, c’est cet espace unique qui a accueilli, le 20 mars 2023, la dernière rencontre en date entre le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, et Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères. Une première pour une délégation marocaine. La salle est conçue en hommage à l’auteur de la Déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, dont il a été le tout premier secrétaire d’État et le troisième président. Une indépendance que le Maroc a été le premier pays au monde à reconnaître. C’est dire la solennité de l’instant. La vue imprenable que la salle offre sur la capitale Washington DC a fait le reste.
L’art de la diplomatie, et la manière
Ce jour-là, l’art de la diplomatie et la manière ont été particulièrement soignés, dans un cadre on ne peut plus convivial et une ambiance chaleureuse marquée par des accolades et des échanges dans lesquels Bourita et Blinken s’appelaient par leurs prénoms. Les deux hommes ont d’ailleurs pour coutume d’échanger par téléphone directement sur leurs numéros mobiles, sans passer par leurs secrétariats respectifs.
Chose tout aussi rare, les caméras de télévision ont été invitées à immortaliser le début de la réunion. Une rupture quant aux usages voulant que pareilles rencontres se déroulent généralement à huis clos et soient suivies d’un point de presse conjoint. «Plus qu’un changement de protocole, cette nouvelle forme de réception témoigne surtout du niveau de rapprochement entre les diplomaties des deux pays et d’une belle proximité. Elle traduit aussi un changement de paradigme voulant que le Maroc soit considéré, aujourd’hui et plus que jamais, comme un grand allié des États-Unis. C’est comme atteindre le point d’arrivée d’un long et vertueux chemin», explique ce connaisseur en protocole.
Et pour cause, si la forme a évolué, le fond l’aura été encore davantage tout au long de ces dernières années s’agissant des relations entre le Maroc et les États-Unis. La convergence des points de vue est totale. Dans son intervention ce jour-là, Blinken n’a pas manqué de le souligner. «Nous avons un partenariat de longue date, historique et inébranlable avec le Maroc, qui a été une force si importante pour la stabilité, la paix, le progrès et la modération –quelque chose que nous apprécions profondément».
Tout l’agenda des relations entre le Maroc et les États-Unis a été passé en revue: le «leadership» du Maroc pour la paix et la stabilité régionale, la reprise des relations avec Israël, la coopération bilatérale étroite, civile et militaire, ainsi que les dossiers des changements climatiques et des énergies renouvelables.
D’ailleurs, pas plus tard que ce lundi 15 mai 2023, dans un communiqué publié à l’issue d’un échange téléphonique avec Bourita, Antony Blinken a de nouveau salué le rôle crucial du roi Mohammed VI et son leadership pour faire avancer la paix et la sécurité régionales et pour aboutir à un «avenir prospère et paisible», notamment entre Israéliens et Palestiniens.
Le tout avec deux marqueurs essentiels: la constance et la durabilité. La preuve: la proclamation de la souveraineté du Maroc sur son Sahara, prise par un ancien président républicain, à savoir Donald Trump, n’a fait l’objet d’aucune forme de remise en question par la suite. «Joe Biden, le président qui lui a succédé est démocrate et il n’est pas revenu sur cette décision historique. Ceci, alors que la majorité des décisions de Donald Trump ont été battues en brèche par l’administration Biden. C’est une façon de montrer que les fondements de la relation Maroc-USA transcendent l’administration en place», commente un ancien diplomate marocain.
Une coopération militaire plus étroite que jamais
Le Maroc abrite les plus grandes manœuvres militaires américaines du continent africain. L’exercice conjoint African Lion, non seulement maintenu mais renforcé, est l’une des manifestations les plus criantes de la solidité des relations entre Rabat et Washington. Les détracteurs du Royaume, à l’intérieur même des États-Unis comme chez l’Algérie des généraux, ont beau faire pression pour en réduire l’étendue ou en faire annuler la tenue au Royaume, le plus grand exercice militaire en Afrique aura bien lieu au Maroc. Cette année et les prochaines.
Une réunion de planification finale de l’African Lion 2023 s’est justement tenue au niveau de l’état-major Zone sud à Agadir du 12 au 16 avril dernier. Prévu du 22 mai au 16 juin 2023 dans les régions d’Agadir, Tan-Tan, Mehbes, Tiznit, Kénitra, Benguérir et Tifnit, l’événement est un symbole de la coopération militaire maroco-américaine en faveur de la sécurité et la stabilité dans la région. Cette 19ème édition verra la participation de 6.000 soldats provenant d’une vingtaine de pays et de 27 pays observateurs.
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Qui dit coopération, notamment militaire, dit confiance. Les derniers contrats d’armement US concédés au Maroc en sont une nouvelle démonstration, la dernière annonce en date n’étant autre que l’aval accordé par le Département d’État à la vente au Maroc de 18 systèmes d’artillerie HIMARS (High Mobility Artillery Rocket System), les lance-missiles les plus modernes au monde. Cet accord a été officialisé à travers un communiqué publié le mardi 11 avril par l’Agence de coopération en défense et sécurité relevant du ministère américain de la Défense. Cette transaction comprendra également des équipements connexes, dont les redoutables missiles tactiques M57 (ATACMS) et GMLRS (Guided Multiple Launch Rocket Systems). Le tout pour un coût global estimé à 524,2 millions de dollars. De quoi conforter le statut du Maroc comme le principal allié non membre de l’OTAN des États-Unis. Les pays en dehors de l’OTAN qui possèdent ce type d’armement se comptent en effet sur les doigts d’une main.
Autre équipement de taille en vue, la réception par le Maroc de 24 hélicoptères d’attaque Boeing AH-64 Apache. Le Maroc sera ainsi le 17ème pays dans le monde à acquérir cet appareil.
Un «impressionnant allié»
La solidité de la coopération militaire se concrétise aussi par la réflexion à transférer le siège de l’Africom au Royaume. L’appel adressé depuis le Sénat américain, le 16 mars 2023, par le sénateur Dan Sullivan, qui intervenait lors de la réunion de la Commission des forces armées du Sénat US et ce, devant Michael Langley, patron depuis août 2022 de l’Africom, le commandement militaire américain pour l’Afrique, fera date. Sans détour, le sénateur Sullivan a demandé le transfert du siège de l’Africom au Maroc, au lieu de l’Allemagne où ce commandement est installé actuellement. Et pour cause, «un commandement pour l’Afrique doit être installé en Afrique. Quelque part. Et le Maroc peut être un très bon candidat», a-t-il déclaré. Pour lui, le Royaume est un «impressionnant allié» des États-Unis et l’un des plus anciens de par le monde.
À elle seule, cette sortie traduit un changement de paradigmes important au sein du Sénat, jadis théâtre d’un activisme anti-marocain acharné. Si le contexte est favorable aux relations Maroc-USA, c’est aussi parce que de nombreux facteurs de blocage ne sont plus de mise. À commencer par des personnalités qui ont agi tout au long de leur carrière contre les intérêts du Royaume. Citons notamment James Inhofe, ancien sénateur républicain et ex-président de la Commission des armées, désormais à la retraite. Ce dernier n’aura, durant son long passage au Sénat, ménagé aucun effort pour faire pression contre le Maroc. Fervent défenseur du Polisario et des thèses algériennes, il a à de nombreuses reprises contré les intérêts du Royaume aux États-Unis. Il a même réussi à retarder d’un an la proclamation historique de Donald Trump sur la marocanité du Sahara.
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Il y a également Patrick Leahy, un homme politique américain, membre du Parti démocrate et sénateur du Vermont au Congrès des États-Unis de 1975 à 2023, réputé être un fidèle relais de l’Algérie et du Polisario avant son départ à la retraite. En 2021, et en tant que président du Comité des appropriations du Sénat américain, il figurait d’ailleurs parmi les principaux opposants à l’ouverture d’un consulat des États-Unis à Dakhla, annoncé à la faveur de la reconnaissance par l’administration Trump de la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Le projet figurait bien dans la loi d’affectation budgétaire du Département d’État US pour l’année fiscale 2021-2022. Il n’en est encore rien. Mais après huit mandats consécutifs au sein de l’institution, Patrick Leahy, 83 ans, a annoncé qu’il ne se représentera pas aux élections sénatoriales de 2022 et a pris sa retraite en janvier dernier.
Une première: des sénateurs US à Dakhla
Une génération de sénateurs et responsables politiques américains peu amènes envers le Maroc se retire donc. Une autre prend de la place et de l’importance. La fréquence, et la qualité, des visites de députés et sénateurs US au Royaume a de quoi interpeller. Depuis le début de cette année, quatre délégations de sénateurs américains de haut niveau, regroupant des poids lourds de la scène politique US, se sont rendues au Maroc, traduisant la bonne dynamique du Congrès envers le Royaume.
La dernière action diplomatique en date est la visite au Maroc, du 3 au 5 mai 2023, d’une délégation de parlementaires américains, conduite par le président de la Commission des services armés de la Chambre des représentants Mike Rogers, et comprenant Sara Jacobs et Dale Strong. L’occasion de rencontrer Mohammed Berrid, le nouvel Inspecteur général des Forces armées royales, commandant de la zone Sud, dont c’était la première activité officielle. Cette rencontre entrait dans le cadre du renforcement des relations entre le Maroc et les États-Unis dans les domaine militaire et de la sécurité régionale. La même délégation s’était auparavant entretenue avec le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, une rencontre à l’issue de laquelle les congressmen ont salué «l’engagement du roi Mohammed VI à renforcer la paix, la prospérité et la sécurité dans la région et dans le monde».
Dan Sullivan, celui-là même qui a appelé au déplacement du siège de l’Africom au Maroc, a notamment fait partie d’une délégation de 7 sénateurs américains (3 républicains et 4 démocrates), conduite par Jacky Rosen, qui s’étaient rendus au Maroc début janvier 2023 dans le cadre d’une tournée dans les pays signataires des Accords d’Abraham. Lors d’une conférence de presse donnée le vendredi 13 janvier, les membres de cette délégation n’ont d’ailleurs pas manqué de saluer le leadership du Maroc en matière de développement, de paix et de sécurité dans la région.
Une autre visite s’est produite le 27 février, regroupant 6 membres, démocrates et républicains, et portée par le président du Comité des affaires étrangères au Sénat américain, Bob Menendez, pour qui «les relations maroco-américaines ne peuvent que se raffermir davantage dans les années à venir».
Last but not least, la visite du 13 au 17 mars dernier au Maroc de trois sénateurs démocrates d’origine hispanique, qui se sont rendus aux provinces du Sud, plus précisément à Dakhla. L’occasion pour eux de se saisir de la dynamique de développement en cours au Sahara. Sylvia Garcia, Adriano Espaillat et Salud Carbajal, formant partie de l’influent Congressional Hispanic Caucus, n’ont d’ailleurs pas tari d’éloges sur le Maroc. Il s’est agi, rien de moins que de la toute première fois que des congressmen visitent le Sahara.
Lors de la visite à Dakhla d'une délégation de congressmen américains.
Puneet Talwar, un proche de Biden, ambassadeur à Rabat
Derrière chaque cliché marquant, il y a un homme: Puneet Talwar, l’ambassadeur des États-Unis au Maroc. Très proche du président Biden, auquel il répond directement, le diplomate jouit du respect des membres du Sénat des États-Unis. Et depuis qu’il a prêté serment, le 4 novembre 2022, le diplomate est partout et de tous les événements importants, même quand il s’agit de football et de l’équipe nationale, dont il est un fervent supporter. Il fallait le faire, son prédécesseur au poste, David Fischer, ayant (déjà) fait fort en la matière, notamment en portant très haut la question de la souveraineté marocaine sur son Sahara.
Le CV, l’expérience et le dynamisme de Puneet Talwar ont su faire la différence. «C’est la première fois qu’un ambassadeur américain, à la fois proche du chef de l’État, puisqu’il travaillait au cabinet de Biden à la Maison Blanche quand ce dernier était vice-président d’Obama, et rompu aux rouages de la bureaucratie, est nommé à Rabat. Auparavant, il y avait des proches du président, mais peu rompus à la bureaucratie», nous confie cette source informée. Le parcours de ce diplômé des prestigieuses universités de Cornell (Ingénierie) et de Columbia (Affaires internationales) est pour le moins impressionnant, puisqu’il a occupé des postes de haut niveau en matière de sécurité nationale et de politique étrangère au Département d’État, à la Maison Blanche et au Sénat des États-Unis. Fin connaisseur de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, il a notamment occupé le poste de conseiller principal au Département d’État, de secrétaire d’État adjoint aux Affaires politico-militaires, d’assistant spécial du Président et de directeur principal du Conseil de sécurité nationale. Il a également été membre principal du personnel professionnel au Comité des relations étrangères du Sénat des États-Unis.
La nomination d’un profil semblable comme ambassadeur témoigne à elle seule de l’intérêt que revêt Rabat pour Washington.
Un défaut de communication
Si tout va pour le mieux, il reste néanmoins un trou dans la raquette. Ouvertement à charge, le dernier rapport du Département d’État américain sur la situation des droits de l’homme au Maroc, rendu public en mars dernier, en est l’illustration. «Ces rapports sont des leviers de pression et non pas des miroirs de la relation», nuance cette source. Une autre soutient qu’une autocritique s’impose. «Nous avons une défaillance dans nos structures en charge des droits de l’homme. Le CNDH, l’ONDH et d’autres organismes de droits de l’homme sont moins audibles que certaines voix instrumentalisées par des pays étrangers et servant des agendas bien connus», affirme-t-elle.
Pour notre interlocuteur, si le Maroc est cité en exemple en matière de lutte antiterroriste et les libertés religieuses, c’est parce que derrière, il existe au pays des structures de l’État qui interagissent en permanence et qui sont audibles. «Malheureusement, en matière de droits de l’homme, les institutions en charge de ce dossier ne sont pas en mesure de se faire entendre de l’autre côté de l’Atlantique, ou même de traverser l’avenue Mohammed VI et devenir des interlocuteurs crédibles pour l’ambassade américaine», ironise-t-elle.
Algérie-Iran : ennemis rapprochés
En dehors de ce bémol, le Maroc, pays aussi stable que crédible, est écouté. Si de plus en plus de sénateurs américains prennent fait et cause pour le Maroc, d’autres ne cessent d’alerter sur les menaces émanant notamment de l’Algérie et de l’Iran. Dans une lettre adressée le 29 septembre 2022 au secrétaire d’État Antony Blinken, en tout, 27 députés aussi bien républicains que démocrates interpellaient l’administration de leur pays, et appelaient à l’instauration de sanctions contre le régime algérien, accusé de renflouer les caisses de la Russie. En cause: le fait que Moscou soit aujourd’hui le plus grand fournisseur d’armes d’Alger. Rien que l’année dernière, l’Algérie a finalisé un achat d’armes avec la Russie pour un total de plus de 7 milliards de dollars, soulignaient-ils.
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Cette lettre faisait suite à un courrier similaire, également adressé au secrétaire d’État américain, qui lui avait été envoyé le mercredi 14 septembre 2022. Signé de l’influent sénateur républicain de Floride, Marco Rubio, le message désignait déjà nommément l’Algérie comme étant l’«un des principaux acheteurs mondiaux d’équipements militaires de la Fédération de Russie» et appelait, là encore, à des sanctions contre la junte.
Première du genre au Maroc, et dans la région, la visite le 5 mars 2023 du représentant de la plus haute autorité militaire aux États-Unis, principal conseiller de Joe Biden en matière de défense, est en soit un signal. Nommons le général Mark Milley, chef d’état-major des armées américaines, arrivé, là encore, à la tête d’une importante délégation et reçu par le ministre délégué chargé de l’administration de la Défense nationale Abdellatif Loudiyi et le général de corps d’armée Belkhir El Farouk, alors inspecteur général des FAR. Une rencontre durant laquelle il a évoqué la déclaration tripartite entre le Maroc, les États-Unis et Israël, et salué la reconnaissance par Washington de la souveraineté entière du Maroc sur son Sahara. Une manière de montrer que les États-Unis sont un soutien indéfectible du Maroc.
Renseignement, le maillon essentiel
Alliés, les deux pays le sont également en matière de sécurité, de renseignement et de lutte contre le terrorisme. En témoignent les rencontres de haut niveau entre les principaux responsables sécuritaires et militaires des deux pays. Pas plus loin que vendredi 7 avril dernier, le directeur général du pôle DGSN-DGST, Abdellatif Hammouchi, recevait à son bureau à Rabat le directeur de l’Agence de renseignement américaine (CIA) William Burns, accompagné de ses principaux collaborateurs. Une rencontre devenue une tradition, le même Hammouchi avait également reçu, le 21 février dernier à Rabat, Christopher Wray, le directeur du Federal Bureau of Investigation (FBI), principal service fédéral de police judiciaire et de renseignement intérieur américain. Les 13 et 14 juin 2022, c’est le patron de l’appareil sécuritaire marocain qui avait fait le déplacement aux États-Unis où il avait rencontré la directrice du renseignement national américain, Avril Haines, William Burns et Christopher Wray.
Coordination dans les domaines sécuritaire et de renseignement, évaluation de la situation sécuritaire et des risques qui y sont associés au niveau régional, examen des menaces et défis sécuritaires découlant de la situation tendue dans certaines régions du monde, anticipation des menaces émanant des organisations terroristes, notamment dans la région sahélo-saharienne… tout y est passé.
Avec le lancement de ces nouveaux chapitres de coopération, l’histoire entamée entre les deux pays un certain 20 décembre 1777, par la reconnaissance marocaine de l’indépendance des États-Unis, et jalonnée notamment par celle de la marocanité du Sahara, est loin, très loin, de s’achever. En tout cas, elle n’a jamais été aussi forte qu’en cette année.