Armement: comment le Maroc redéfinit sa doctrine de défense

Lors de la cérémonie de réception du premier lot d'hélicoptères Apache AH-64E, mercredi 5 mars 2025, à la Première base aérienne de Salé.

Drones, artillerie et systèmes de défense antimissile… Le Maroc mène une modernisation stratégique et accélérée de ses capacités militaires, plaçant la haute technologie au cœur de sa doctrine de défense, avec une approche qualitative marquée par un fort accent mis sur les capacités aériennes. Décryptage.

Le 17/06/2025 à 15h29

C’est une transformation militaire d’ampleur que connaît actuellement le Maroc. Face à un environnement régional sous tension (rivalité persistante avec l’Algérie, instabilité au Sahel, menaces séparatistes dans le sud...), le Royaume opère un virage stratégique assumé. La modernisation de ses Forces armées royales (FAR) ne se limite plus à la simple mise à jour d’équipements, mais traduit une vision globale: celle d’une puissance militaire régionale technologiquement avancée, interopérable et souveraine.

Ce constat est posé par le policy brief «Morocco’s Defense Modernization: Strategic Investments in Security», publié par la Global Governance & Sovereignty Foundation et la fondation allemande Konrad Adenauer. Le document met en lumière une politique de défense articulée autour de la montée en puissance technologique, la diversification des partenariats et la consolidation d’une industrie militaire nationale.

Selon ce document, la réception, en mars 2025, des premiers hélicoptères d’attaque AH-64 Apache américains, symbolise cette montée en gamme.

Conçus pour les combats intensifs et les frappes ciblées, ces appareils dotés de systèmes de visée avancés (TADS) représentent une capacité nouvelle et dissuasive pour les FAR.

Mais c’est dans le domaine des drones que le Maroc affiche les évolutions les plus spectaculaires. Dès 2021, le pays a acquis 13 drones Bayraktar TB2 auprès de la Turquie, avant d’en commander 6 supplémentaires. Ces véhicules aériens sans pilote (UAV) sont conçus pour des missions de surveillance et de frappe, avec une autonomie de 27 heures et la capacité d’opérer dans des conditions désertiques complexes. Parfaitement adaptés au sud du pays, ils permettent un suivi constant des menaces transfrontalières et séparatistes.

Dans un second temps, Rabat a franchi un cap supplémentaire avec l’achat de drones Bayraktar Akinci. Leur rayon d’action (jusqu’à 7.500 kilomètres), leur autonomie (40 heures), et leur charge utile (incluant missiles air-air et guerre électronique) en font une plateforme de premier plan.

Une industrialisation de la défense en marche

Pour soutenir cette nouvelle doctrine, le Maroc accueille sur son sol une usine du fabricant turc Baykar, annoncée début 2025. Celle-ci sera en mesure de produire jusqu’à 1.000 drones TB2 et Akinci par an. «Elle permettra également de développer une expertise technique locale et de réduire la dépendance à la maintenance étrangère, en cohérence avec la vision marocaine de souveraineté industrielle», peut-on lire.

Cette logique d’autosuffisance se retrouve aussi dans les projets d’assemblage local, de formation d’ingénieurs et de négociation de clauses de transfert de technologies avec les fournisseurs. Que ce soit dans l’aviation, l’artillerie ou les missiles, Rabat veut se détacher de la dépendance aux partenaires traditionnels pour affirmer une souveraineté militaire complète.

Des acquisitions ciblées

Le Maroc ne cherche pas la quantité, mais la qualité. En témoignent les prochaines livraisons d’avions F-16 Block 70/72 américains, dotés du radar AESA APG-83, capables de suivre des cibles multiples à longue distance. Sans oublier que le Royaume pourrait devenir le premier pays arabe et africain à acquérir le chasseur furtif américain F-35. L’annonce fait déjà grand bruit depuis février, comme le rappelle si bien Alan Warnes, journaliste spécialisé en aviation militaire: «Si l’on en croit toutes les spéculations de début février, le Maroc pourrait bientôt devenir le premier pays arabe et africain à acquérir le F-35 de Lockheed Martin.»

Dessin de Carlos.

Ces chasseurs moderniseront la composante aérienne des FAR tout en renforçant leur interopérabilité avec les forces de l’OTAN, notamment lors de l’exercice militaire annuel African Lion, co-organisé avec les États-Unis.

Sur le front terrestre, le Maroc a misé sur l’artillerie de précision. «Le système Atmos 2000 en provenance d’Israël, un obusier de 155 mm doté d’une portée allant jusqu’à 41 kilomètres avec des munitions à longue portée, offre une grande mobilité et une mise en œuvre rapide, le rendant particulièrement adapté aux terrains désertiques marocains. Cette acquisition vient compléter les 36 obusiers Caesar achetés à la France en 2022, renforçant la capacité des FAR à fournir un appui-feu précis et à longue distance contre les menaces terrestres, consolidant ainsi davantage la posture défensive du Maroc», indique le policy brief.

Côté antimissile, les futurs systèmes américains Patriot PAC-3, sans oublier les fameux systèmes M142 HIMARS et les missiles ATACMS, commandés en 2023 pour 750 millions de dollars, viendront renforcer ces acquisitions.

Un leadership régional

La modernisation des FAR ne vise pas seulement la défense du territoire. Elle permet au Maroc de se positionner comme un acteur stabilisateur dans le Sahel, où la vacance sécuritaire grandit. Grâce à ses drones longue portée, sa guerre électronique, et sa coopération OTAN, le Maroc offre aux puissances occidentales une alternative fiable et structurée. Son engagement dans le Dialogue méditerranéen de l’OTAN depuis 1994 et sa participation à des opérations maritimes et terrestres en font un pivot sécuritaire entre l’Europe et l’Afrique, note la même source.

«La position stratégique du Maroc lui confère aussi un rôle essentiel dans la sécurisation de l’espace maritime, en particulier en ce qui concerne la sécurité transatlantique et le détroit de Gibraltar. Ce détroit, point de passage stratégique pour le commerce mondial et les livraisons d’énergie, nécessite une surveillance renforcée pour contrer des menaces telles que la piraterie et les trafics illicites. En développant ses capacités navales et en s’appuyant sur ses systèmes ISR, le Maroc peut contribuer à la sécurité maritime, renforcer la coopération transatlantique et affirmer son rôle de partenaire clé dans la stabilité de ce corridor vital», explique-t-on davantage.

Cependant, le développement d’une industrie de défense souveraine, pilier essentiel de la vision à long terme du Maroc, implique de surmonter d’importants obstacles technologiques et en matière d’expertise, ce qui exige un engagement et des ressources soutenus. «Bien que le Maroc ait entamé des partenariats avec des entreprises internationales, comme la Turquie pour la production de drones ou la France pour la maintenance de l’artillerie, il reste confronté à des lacunes dans les domaines de la fabrication avancée et de la main-d’œuvre qualifiée», commente-t-on.

La production locale de composants pour des systèmes tels que l’artillerie Caesar ou les Patriot PAC-3 nécessite une expertise en ingénierie de précision, un domaine dans lequel le Maroc est encore en phase de développement, ajoute la même source. Pour combler ces lacunes, le pays doit investir dans une vision élargie de son industrie de défense souveraine, en mettant en place des programmes spécialisés pour former ingénieurs et techniciens, ainsi que des pôles d’innovation au sein de zones industrielles, en cohérence avec sa vision d’autonomie industrielle.

Le Maroc doit également éviter une surenchère et ses dépenses doivent rester soutenables à long terme, fait-on remarquer. Autre enjeu: le retard relatif dans le domaine naval. Bien que le Maroc ait engagé des exercices comme Flotex 2025 avec l’OTAN, sa capacité de projection maritime reste limitée. Or, avec plus de 3.500 km de littoral et le contrôle du détroit de Gibraltar en ligne de mire, une stratégie maritime offensive devient indispensable. De plus, le Maroc devra renforcer ses capacités en cybersécurité et en guerre hybride. La création d’un commandement cyber, le développement de partenariats technologiques avec l’OTAN ou d’autres pays innovants sont des pistes prometteuses.

Par Hajar Kharroubi
Le 17/06/2025 à 15h29