La Cour d’appel de Paris a refusé ce mercredi 14 mai 2025 d’extrader Aksel Bellabbaci, vice-président du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), réclamé par l’Algérie qui l’accuse de «terrorisme». La demande d’extradition des autorités algériennes a été déclarée «sans objet» par le président de la chambre des extraditions. En Algérie, Aksel Bellabbaci, 42 ans, encourt la peine de mort. L’opposant, qui vit en France depuis 2012, n’est plus retourné chez lui. Pour Le360, Aksel Bellabbaci revient sur son combat, l’oppression en cours des Kabyles par le régime algérien, les méthodes utilisées pour faire taire les militants du MAK et les dessous de la crise ouverte entre l’Algérie et la France. Il nous annonce en avant-première que de nouvelles révélations, avec caméra cachée, seront faites sur les barbouzeries algériennes qu’abritent les consulats du voisin en France.
Le360: la Cour d’appel de Paris a refusé ce mercredi 14 mai 2025 votre extradition par la France en Algérie. Quel est votre sentiment par rapport à cette décision?
Aksel Bellabbaci: la décision était attendue, même si cela a pris du temps. Vous savez très bien que la décision a été reportée à deux reprises, mais finalement, elle nous a été plutôt favorable. C’est un soulagement d’entendre cette décision prononcée de manière officielle.
Mais cela doit faire des malheureux de l’autre côté de la Méditerranée...
Heureusement que nous ne partageons pas les mêmes joies avec le régime algérien. C’est plutôt rassurant. Je dirais que le régime algérien a désormais l’habitude de recevoir des gifles, et cette décision en est une. C’est une autre belle victoire pour la Kabylie et un échec pour le régime algérien.
Les militants kabyles qui sont sous le coup de poursuites ou de condamnations par l’Algérie sont légion. Peut-on avoir une idée de leur nombre?
Actuellement, il y a à peu près 500 prisonniers politiques qui subissent encore des peines d’emprisonnement, dont 38 condamnés à mort. Selon les chiffres dont nous disposons, environ 30.000 Kabyles sont interdits de quitter le territoire. On peut dire qu’ils vivent dans une prison à ciel ouvert. Depuis 2021, nous avons enregistré près de 13.000 arrestations. Certaines personnes ont été emprisonnées puis libérées par la suite, mais elles restent sous contrôle judiciaire et ne peuvent pas circuler librement. Bien sûr, le régime algérien a confisqué leurs documents et leurs passeports. Pour nous, toutes ces personnes sont considérées comme des prisonniers, comme des otages. La Kabylie, aujourd’hui, est une prison à ciel ouvert: personne ne peut s’exprimer. Pour la Kabylie et le peuple kabyle, nous vivons une situation inédite.
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Les barbouzeries et les harcèlements en tout genre vous poursuivent jusqu’en France ou au Canada. À quels types de traitements avez-vous affaire?
Cela fait des années que nous subissons ces attitudes dans le silence. Donc, nous sommes plutôt contents aujourd’hui que des médias en parlent et que des enquêtes judiciaires révèlent la nature et la gravité de ces pratiques. D’ailleurs, nous tenons à féliciter les médias marocains, qui ont été les premiers à parler de ce que subissent les militants kabyles, que ce soit à l’étranger ou même en Kabylie. Aujourd’hui, à notre grande joie, d’autres médias internationaux s’emparent également de ce dossier. Les méthodes d’intimidation sont nombreuses. Cela va des menaces et du chantage à des tentatives de corruption. Là où il y a des militants kabyles, il y a toujours la présence des services de renseignement algériens, qui essaient par tous les moyens de les dissuader. Pour cela, ils n’hésitent pas à s’en prendre à leurs familles et à leurs proches restés en Kabylie.
«Nous avons organisé une nouvelle infiltration à l’intérieur d’un autre consulat algérien en France, qui prouve que rien n’a changé. Cette fois, nous avons réussi à y introduire une caméra cachée»
— Aksel Bellabbaci
Ma propre famille a subi ce genre de pressions. Ce qu’on nous demande, c’est de faire allégeance au régime algérien, comme cela a été révélé dans l’infiltration que nous avons organisée à l’intérieur du consulat général algérien à Paris, et dont France 2 a rendu compte dans une enquête dédiée.
Comment les services algériens tentent-ils de vous approcher?
De nombreux militants nous ont rapporté des informations sur la manière dont ils ont été approchés, que ce soit via les réseaux sociaux ou par contact direct à travers un membre de leur famille. Depuis 2022, le régime algérien a mis en place des bureaux dédiés aux Kabyles dans tous ses consulats en France, mais aussi au Canada. Les barbouzes du régime les appellent des «bureaux de sécurité». Mais leur rôle est d’essayer de convaincre les militants indépendantistes kabyles de rejoindre les rangs des services algériens. On leur fait signer un document qui stipule clairement que ces militants souhaitent désormais faire allégeance au régime algérien.
Depuis l’éclatement des scandales liés à ces pratiques, sentez-vous que celles-ci ont diminué ou continuent-elles comme si de rien n’était?
Tout continue comme avant. D’ailleurs, nous avons organisé une nouvelle infiltration à l’intérieur d’un autre consulat algérien en France, qui prouve que rien n’a changé. Cette fois, nous avons réussi à y introduire une caméra cachée. Le tout sera publié dans un grand média français dans les jours qui viennent.
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Cette enquête ne manquera pas d’aggraver la crise ouverte entre la France et l’Algérie. Quelle est votre évaluation de cette situation?
Les responsables politiques en France se rendent enfin compte de tout ce dont le régime algérien est capable. Nous avons toujours souffert de certains politiciens, notamment de l’extrême gauche, qui s’alignent sur le régime algérien. Aujourd’hui, la vérité a éclaté au grand jour quant à la vraie nature de ce régime. Nous tenons à remercier Bruno Retailleau (ministre français de l’Intérieur, NDLR), qui a brisé un véritable tabou sur l’Algérie.
«Le régime algérien, avec le duo Tebboune-Chengriha à sa tête, n’en est pas à un paradoxe près. Il ne voit aucun mal à opprimer un peuple qui demande pacifiquement son droit à l’autodétermination, tout en soutenant des «causes» insignifiantes, voire inexistantes, un peu partout dans le monde. Le Maroc en sait quelque chose»
— Aksel Bellabbaci
Auparavant, chaque fois que nous avions l’occasion de parler avec des médias français, dès qu’on prononçait le mot «Algérie», on nous répondait que c’était compliqué, qu’il y avait toujours le poids de la guerre. Aujourd’hui, c’est terminé, et le peuple français découvre enfin ce que fait le régime algérien sur son sol, ainsi que ce que subissent ses opposants.
Où en êtes-vous actuellement dans votre combat?
Pour l’instant, comme vous pouvez le constater, notre mouvement commence à prendre de l’ampleur. Le plus important, c’est que nous avançons, nous ne reculons pas. C’est cela le plus essentiel, même si c’est peut-être lent, mais c’est ainsi: les combats pour la libération des peuples prennent généralement du temps. Mais nous sommes plutôt satisfaits du travail de nos militants, de nos responsables au sein du MAK. Notre travail est de porter la voix des réprimés en Kabylie et du peuple kabyle en général, et de dire au monde entier qu’il y a un peuple qui souffre, qui est sous une dictature et une colonisation algérienne. Un peuple qui a une légitimité historique, identitaire, et qui a le droit d’exister comme tous les peuples du monde. Notre travail aujourd’hui, c’est de continuer à nouer des alliances avec toutes les forces vives qui défendent la liberté.
Un énième paradoxe algérien veut que le régime réprime allègrement les indépendantistes kabyles tout en faisant l’éloge de nombreux mouvements séparatistes, y compris ceux à obédience nazie, comme ce fut récemment le cas avec le Parti national breton…
Le régime algérien, avec le duo Tebboune-Chengriha à sa tête, n’en est pas à un paradoxe près. Il ne voit aucun mal à opprimer un peuple qui demande pacifiquement son droit à l’autodétermination, tout en soutenant des «causes» insignifiantes, voire inexistantes, un peu partout dans le monde. Le Maroc en sait quelque chose. Ce régime va jusqu’à créer des «causes» comme celle de l’indépendance du Sahara marocain et à soutenir par tous les moyens des mouvements armés, comme le Polisario. C’est absurde et, surtout, dangereux.