Il y a quelques jours, dans une certaine ville, dans un certain pays, dont nous tairons les noms pour le moment, le tribunal fédéral de ladite ville, l’équivalent de la Cour de cassation, a publié une décision hallucinante qui a fait bondir la société civile de ce pays et nourri les rubriques insolites des médias étrangers sans pour autant que la gravité de la chose soit vraiment considérée à sa juste mesure.
Selon cette décision des juges, il est désormais possible de moduler la durée d’une peine de prison si un viol n’est réalisé que pendant une période «relativement plus courte». Autrement dit, plus la durée d’un viol est courte, moins la peine du violeur sera lourde.
Cette décision hallucinante est relative à une affaire qui date de février 2020. Au cours d’une soirée, une femme de 33 ans est violée par deux individus âgés de 17 et 33 ans, alors qu’elle rentrait chez elle et qu’elle se trouvait devant l’entrée de sa maison.
Quelques mois plus tard, le plus âgé des deux violeurs est jugé et condamné à plus de quatre ans de prison, et celui-ci étant de nationalité étrangère (petit indice: non il n’est ni Arabe, ni Maghrébin, ni Africain, ni musulman, mais Portugais), interdit de séjour dans ce pays pendant huit ans. L’homme fait appel, et sa peine est réduite à 3 ans dont 18 mois ferme, tandis que l’interdiction de fouler le sol de ce pays passe à deux ans. Quant au deuxième agresseur, celui-ci étant mineur, il a été acquitté.
Pourquoi une telle clémence? C’est là que l’on tombe littéralement des nues. La Cour d’appel a en effet pris en considération le fait que la victime, qui passait sa soirée dans un bar avant de rentrer chez elle, avait eu des rapports sexuels consentis et non protégés dans les toilettes de l’endroit avec un autre homme, qu’elle aurait «joué avec le feu» ou encore «donné des mauvais signaux» aux accusés. Un argument imparable qui fait mouche à tous les coups, où que l’on se trouve dans le monde, et qui porte un nom: le victim blaming.
Enfin, et c’est là la chose la plus dramatique, le juge a décrété que le viol n’ayant duré «que» (!) onze minutes, il était normal d’alléger la peine de l’agresseur, car désormais, le tribunal tiendra compte de la durée du viol dans ses sentences. Ainsi, selon la Cour d’appel de ladite ville, le temps mis à perpétrer un viol est un critère dont la justice doit tenir compte, car cet indicateur permettrait d’évaluer le niveau d’effort fourni par l’agresseur pour mener à bien son méfait et sa volonté d’aller jusqu’au bout de son acte.
Du pain béni pour les violeurs doublés d’éjaculateurs précoces, pour les prédateurs qui se muniront bientôt de chronomètres, pour les mineurs que l’on absout de leurs péchés les invitant ainsi à continuer sur la même voie…
Où cet exemple si typique de banalisation du viol et de lynchage de la victime par la justice s’est-il donc produit? Dans la ville de Bâle, en Suisse, ce pays si tranquille, si neutre, si presque parfait, si silencieux à tous les égards.
À vrai dire, cette polémique née un 22 novembre, à trois jours de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes (on appréciera l’humour noir de la justice suisse), aurait pu se produire n’importe où. Pourquoi pas en Argentine, où y a quelques semaines, alors qu’il battait campagne en vue de sa prochaine investiture, Javier Milei, le nouveau président argentin, a annoncé sa volonté d’abroger la loi légalisant l’avortement et de supprimer le ministère des Femmes.
On a souvent tendance à assimiler le recul ou la pauvreté des droits des femmes aux pays de l’hémisphère sud et aux cultures orientales, décriés, souvent à juste titre, pour les violences commises à l’encontre de la gente féminine. Mais le fait est que du nord au sud, d’est en ouest, les femmes sont encore loin d’avoir remporté leur principal combat: celui d’être considérées, en terme de droits et aux yeux de la société, comme l’égale de l’homme.
Ce que nous dit surtout cette affaire suisse à la lumière de l’actualité argentine, c’est que les droits arrachés par les femmes il y a quelques décennies à peine, dans des pays dits modernes et développés, sont loin d’être acquis. Ce sont des privilèges que l’on nous accorde et que l’on peut visiblement nous retirer, en toute impunité, pour peu que le pouvoir bascule.
Le patriarcat a encore de beaux jours devant lui, assurément, et qu’on soit d’ici ou ailleurs, d’une religion ou d’autre autre, nous ne sommes finalement pas mieux loties les unes que les autres, quand on y regarde de plus près, en retirant le filtre hypocrite de la condescendance.