Le destin tourmenté de trois pays issus de référendums: l’Algérie, le Soudan du Sud et le Timor Est

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ChroniqueL’Algérie, le Soudan du Sud et le Timor Est sont trois pays neufs, enfantés par «consultation référendaire» en 1962, 2011 et 1999, respectivement. Les deux premiers sont pris dans une infernale spirale de violence et le troisième est en proie à de graves difficultés. Le Maghreb en particulier souffre gravement du désordre entretenu par le pouvoir algérien issu d’une opération référendaire.

Le 01/02/2023 à 16h00

Les références absurdes au Timor Est par le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, quand il prétend parler de notre Sahara, appellent à examiner de près le destin tragique de trois pays, tous issus de référendums.

Il s’agit de trois pays neufs enfantés par «consultation référendaire», à savoir l’Algérie, le Soudan du Sud et le Timor Est, créés respectivement en 1962, 2011 et 1999. Les deux premiers sont pris dans une infernale spirale de violence et le troisième est en proie à de graves difficultés.

L’Algérie, le Soudan du Sud et le Timor Est n’ont jamais existé en tant qu’Etats structurés, organisés et qui, après le référendum, auraient retrouvé une situation antérieure, précoloniale. Ils peinent aujourd’hui à créer des institutions consensuelles. Quant à se construire en tant qu’«Etat-nation», le chemin est encore très long pour des pays de fraîche création.

L’Algérie musulmane s’est détachée de sa matrice la France chrétienne, première fille de l’Eglise. Le Soudan du Sud, chrétien et animiste, s’est séparé de sa matrice musulmane le Soudan. Le Timor Est, catholique, s’est séparé de l’ensemble musulman indonésien.

L’Histoire a démontré que le levier religieux constitue le noyau autour duquel s’articulent le sentiment national et les valeurs, nourrissant les civilisations et les cultures. Mais, pour qu’une collectivité soit marquée par la cohésion, en plus du facteur confessionnel, il faut d’autres éléments qu’une «consultation référendaire» ne peut absolument pas générer.

Un référendum ne peut ordonner la volonté du vivre-ensemble qui caractérise les vieilles nations, collectivités humaines cohérentes et homogènes.

L’Algérie, un Etat neuf toujours à la recherche de son âme

Concernant l’Algérie, le terme d’indépendance ne peut être adéquat, car la configuration territoriale ou politique du pays tel qu’il est aujourd’hui n’a jamais existé dans l’Histoire. Il s’agit d’une création et non pas d’un retour à une situation antérieure.

L’appellation Algérie a été inventée en 1837 par le maréchal Soult pour remplacer l’ancienne appellation «possessions françaises du Nord de l’Afrique». Une présence de 132 ans précédée par une présence turque de plus de trois siècles. Les Français ont trouvé en 1830 un territoire relevant de l’autorité du sultan turc avec une élite et des troupes originaires notamment d’Anatolie.

Il est également intéressant d’examiner le récit national artificiel –élaboré par des historiens obligés de la junte– qui prétend que l’Algérie d’aujourd’hui est héritière de la Numidie. Ce n’est qu’un des symptômes de la crise identitaire algérienne.

Rattacher le territoire tel qu’il a été légué en 1962 par la France –après avoir dépouillé territorialement le Maroc, la Tunisie, la Libye, le Mali– à la Numidie berbère, datant d’il y a 24 siècles, relève du travestissement de l’Histoire.

Les généraux, qui refusent de voir la vérité en face et qui traînent le référendum de 1962 comme un boulet, veulent le noyer dans cette histoire numidienne.

La Numidie est un royaume berbère en Afrique du Nord qui a existé du IIIème au Ier siècle avant J.C. Elle n’a jamais pu s’imposer face à Rome et Carthage, les deux puissances de l’époque. La Numidie était épisodiquement soit alliée de Rome, soit sous sa tutelle. Elle fut annexée et transformée en province romaine.

La Numidie indépendante n’a jamais pu s’inscrire dans la durée. Après les Romains, ce furent les Vandales, les Byzantins. Au XIIè siècle, ce territoire, déchiré en de micro-royaumes rivaux, a été unifié par la dynastie marocaine des Almohades.

Dire qu’il y aurait, aujourd’hui, en Algérie des institutions ou des références sociopolitiques à cette Numidie de la nuit des temps est une mystification.

Seuls la Kabylie et les Kabyles –attachés fortement à leur identité– peuvent revendiquer un héritage linguistique et culturel numidien amazigh.

En tout cas, et surtout pas ce pouvoir qui, dès 1962, a ancré l’Algérie, avec Ben Bella et Boumediene, dans un panarabisme à la sauce nassérienne, mélangé à un socialisme oriental fait surtout de slogans. Et aujourd’hui, ce régime qui se découvre numidien opprime la Kabylie, tout en incarcérant les porteurs du drapeau amazigh.

C’est la vacuité institutionnelle qui a permis, depuis 1962, aux soudards de l’armée de s’emparer du pouvoir et de s’imposer par la force au peuple. Il est inutile de revenir sur l’histoire contemporaine de l’Algérie post-référendaire, qui n’est qu’une succession de faits sanglants et qui devient de plus en plus agressive avec son voisinage.

Soixante-ans après, le régime n’a rien fait pour que l’Algérie réponde aux critères d’une nation impliquant, pour la collectivité, la conscience de son unité, avec des composantes partageant une même culture, une même histoire, partageant la volonté d’un vivre-ensemble dans la paix. La dictature a versé trop de sang et a tout brisé. Les leaders civils éclairés, qui auraient pu diriger une Algérie apaisée et lui conférer une âme, ont été assassinés par les militaires.

En Algérie, seul le pouvoir militaire décide de tout. C’est lui qui écrit l’histoire à sa guise, et il ne consulte le peuple en rien. A ce sujet, le président français, Emmanuel Macron, dont les égarements au sujet de l’Algérie laissent perplexe à la fois en France et en Afrique, semble ne pas comprendre que «la commission pour le travail mémoriel entre l’Algérie et la France», composée d’historiens objectifs, sera au mieux mort-née, ou au pire, elle provoquera la plus grave crise entre Paris et Alger. La junte algérienne, qui a bâti son narratif sur le mensonge et les contrevérités historiques, n’acceptera jamais un travail de vérité qui anéantit le récit par lequel elle légitime sa présence depuis 1962. Il suffit d’imaginer la publication d’archives qui révèlent le nombre réel d’Algériens morts pendant la guerre de décolonisation pour comprendre le caractère insupportable de certaines vérités pour le régime d’Alger. Ce dernier n’a eu de cesse de brandir son slogan phare: tantôt le pays des 1,5 million de martyrs, tantôt le pays des 2 millions de martyrs. Des chiffres hypertrophiés, sans commune mesure avec la réalité. Tebboune a même poussé le bouchon plus loin que tous ses prédécesseurs, en annonçant dans une interview télévisée «5,7 millions d’Algériens tués par les Français».

Le Soudan du Sud déchiré

Comme l’Algérie, le Soudan du Sud (12 millions d’habitants) n’a pas encore réussi à faire émerger cette volonté de vivre en commun. Le référendum de 2011 n’a rien réglé. Les différentes communautés se déchirent. Les divergences tribales persistent et s’intensifient. Les chrétiens constituent 60% de la population, les animistes 20% et les musulmans 20%.

Là aussi, une absence d’ingrédients forts pouvant unifier le peuple. Plusieurs langues, dont l’arabe, et de multiples dialectes, mais la langue officielle est l’anglais.

Déjà une première guerre civile entre le Nord et le Sud eut lieu de 1955 à 1972, une deuxième dura 22 ans, de 1983 à 2005. Au lendemain du référendum, le Soudan du Sud fut ravagé par une autre guerre civile, entre 2013 et 2020, provoquée par une lutte pour le pouvoir.

La crise des réfugiés au Soudan du Sud reste la plus importante d’Afrique. Plus de 2,3 millions de Sud-Soudanais sont réfugiés dans les pays voisins et l’ONU estime à 2,2 millions le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays. Le Soudan du Sud est aujourd’hui classé comme le dernier pays du monde pour le développement humain.

L’instabilité du Timor Est

Le cas du Timor Est post-référendaire est marqué par moins de violence, mais il a toujours des difficultés à s’ériger en un Etat viable répondant efficacement au besoin de ses 1,5 million d’habitants.

Occupée par les Portugais pendant près de 3 siècles, la partie Est de l’île de Timor fut profondément imprégnée de catholicisme et de culture lusophone. Lorsqu’en 1975, le Portugal quitta l’île, cette dernière fut revendiquée par l’Indonésie. Ce que les Timorais de l’Est ont refusé. S’ensuivirent des violences des deux côtés, qui aboutirent au référendum de 1999. Mais là encore, rien n’est réglé.

De profondes divergences régionales empêchent une véritable dynamique de développement. Il y a également des fractures provoquées par ceux qui veulent réduire l’influence de l’Eglise et de la religion dans l’enseignement. Le pays demande souvent l’aide de l’Indonésie. Incapable d’avoir sa propre monnaie, il utilise le dollar américain comme devise. Sa courte histoire a été aussi marquée par des rebellions, des luttes pour le pouvoir et des tentatives d’assassinat du président et du Premier ministre en 2008.

Seule l’Histoire construit l’âme des grandes nations et non pas les référendums

Contrairement à ces pays dont jusqu’à la pérennité n’est pas assurée, les nations et les pays viables sont issus de la profonde histoire séculaire ou millénaire.

Partout dans le monde, l’histoire de l’humanité témoigne que ce sont les monarchies et les empires qui ont construit initialement les territoires, forgé les frontières, défini l’âme et l’identité des nations à travers de grandes épopées.

Le destin commun, le sentiment d’appartenance à une nation et le vivre-ensemble ont été ainsi créés. C’est ce qui a rendu possible l’émergence d’institutions consensuelles. C’est ce qui a rendu aussi possible le fonctionnement de la notion de «régulation» par la mise en œuvre de processus pacifiques pour gérer les conflits et les divergences.

Tous ces éléments sont absents dans ces pays neufs où les désaccords sont réglés par la violence. Potentiellement porteur de divisions, le référendum –un acte de vote inscrit dans une temporalité souvent versatile– mène vers l’inconnu.

Il aiguise les appétits des composantes, tribus, communautés ou clans, qui veulent s’accaparer le pouvoir. La caricature de cette dérive est illustrée par le régime algérien, qui ne recule devant rien pour éliminer tout autre acteur qui voudrait un autre projet pour l’Algérie.

Déjà, le Maghreb souffre gravement du désordre entretenu par le pouvoir algérien issu d’une opération référendaire. La communauté internationale refuse catégoriquement qu’une autre aventure référendaire – celle-là, en plus, inauthentique et fausse créée par les généraux algériens– mène le Maghreb, le Sahel et le Sud de l’Europe vers l’inconnu.

De plus, de par son instabilité, son aventurisme, son agressivité, son incompétence et ses antécédents funestes, ce régime est disqualifié pour proposer quoi que ce soit. C’est une plaie en Afrique du Nord.

Par Jalal Drissi
Le 01/02/2023 à 16h00