Même s’il n’a pas encore été officiellement installé dans ses nouvelles fonctions de patron des renseignements intérieurs, le général Abdelkader Haddad, alias Nacer El Djen, tortionnaire notoire des années 90, surnommé le diable à cause de sa cruauté légendaire, est devenu le patron et l’homme fort de la DGSI. Malgré l’annonce de cette nomination par des sources fiables, y compris parmi les proches du clan des protagonistes de la décennie noire, les médias algériens n’osent toujours pas aborder ce sujet.
Nacer El Djen, promu au grade de général le 5 juillet 2022, est un ancien officier du Centre principal militaire d’investigations (CPMI) de Blida, relevant du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), où il a fait ses armes au début des années 90 avant d’intégrer le Groupement d’intervention spécial (GIS), une unité d’élite qui assurait les opérations spéciales contre les maquis dits terroristes. Ayant la gâchette facile, on lui attribue l’assassinat de centaines de détenus durant la décennie noire des années 1990 et d’être l’un des criminels de guerre les plus sanguinaires encore en liberté. Revenu aux affaires en novembre 2021, après un exil forcé en Espagne, Nacer El Djen a été propulsé à la tête du Centre principal des opérations (CPO) relevant de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et servant aux interrogatoires musclés des responsables civils et militaires en rupture de ban avec le «système» en place.
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L’ex-tortionnaire attitré au sein du DRS a ensuite été promu numéro 2 de la DGSI, où officiait depuis l’été 2022 le général Djamel Kehal Medjdoub. Or, ce dernier étant gravement malade, c’est Nacer El Djen qui en est devenu le dirigeant effectif. Le général à la retraite Mohamed Mediène, dit Toufik, fondateur du DRS et son patron déifié de 1990 à 2015, a ainsi replacé ce qui reste de ses hommes de main, la plupart d’anciens repris de justice ou fugitifs à l’étranger, aux manettes des services de renseignements algériens. Cela, non sans avoir au préalable décimé le clan des généraux de Gaïd Salah, l’ex-chef d’état-major de l’armée (2004-2019), ennemi juré du clan Khaled Nezzar-Toufik, à qui il reproche surtout d’avoir utilisé l’armée pour commettre des actes barbares à l’encontre de centaines de milliers d’Algériens durant la guerre civile des années 90.
Hormis la neutralisation spectaculaire, en avril 2020, du général Wassini Bouazza, ancien puissant chef de la DGSI sous Gaïd Salah, le retour des hommes du DRS a commencé réellement dès le début de 2021. Le bal a été ainsi ouvert par la réhabilitation du général Noureddine Makri (Mahfoud), nommé en janvier 2021 à la tête de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure (DDSE), en l’absence de Tebboune, alors convalescent en Allemagne. Il y a remplacé le général Mohamed Bouzit, dit Youcef, immédiatement embastillé, car Toufik n’a jamais pardonné à ce «traître» d’avoir remplacé l’un de ses hommes de main, le général Rachad Laalali (dit Attafi), débarqué de la DDSE en 2013 par Gaïd Salah.
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Gaïd Salah a congédié, en 2015, ce même général Mahfoud, que Toufik avait placé en 2009 à la tête de la Direction des relations extérieures et de la coopération au ministère de la Défense. Il était donc les yeux à travers lesquels Toufik surveillait tout ce qui avait trait au choix et au travail des attachés militaires dans les différentes ambassades algériennes à travers le monde.
S’ensuivra, durant la même année de 2021, la création de la Direction chargée de la lutte contre la subversion, confiée au général Djebbar M’henna, ancien patron de la sécurité militaire au sein du DRS, tout juste sorti de prison suite à une condamnation infligée par le tribunal militaire de Blida sur instigation de Gaïd Salah.
Djebbar M’henna gravira vite les échelons pour devenir en 2022 le patron des renseignements extérieurs (DDSE). Il y nomme comme directeur de cabinet le général Souahi Zerguine, alias Mouad. Les deux hommes ont en commun, tout comme Nacer El Djen, d’avoir travaillé ensemble durant la décennie noire au sein de «l’escadron de la mort» au centre de détention et de torture dit Antar d’Alger.
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Ils se retrouvent aujourd’hui à la tête de l’un des plus importants services de renseignement algériens, où tout ce qui relève de la sphère politique, militaire et diplomatique est sous leur emprise. Souahi Zerguine est un homme tellement secret que les Algériens n’ont jamais vu son visage. À telle enseigne que, lors de sa décoration par Tebboune, le 5 juillet dernier, la télévision algérienne et les photographes ont eu pour strictes consignes de ne pas montrer son visage, et de se contenter de le filmer et photographier uniquement de dos.
Djebbar M’henna a également choisi comme collaborateur l’ancien officier du DRS, Hocine Oubelaïd, alias Hocine Boulahia, mis à l’écart à la suite d’une sombre affaire d’espionnage et de sabotage visant Tebboune et ses conseillers. En attendant de rebondir à nouveau, Hocine Boulahia est aujourd’hui retiré en Kabylie, dans son village natal de Larba Nath Iraten, où fut lynché puis immolé, dans des circonstances troubles, le jeune Djamel Bensmaïl, lors des incendies qui avaient embrasé la Kabylie en août 2021, faisant des centaines de morts et de blessés.
Tous ces «affreux» du DRS ont d’abord commencé à être réintroduits en douce, en s’affichant de temps à autre là où on les attendait le moins. Ainsi, et bien que les membres composant le Haut Conseil de sécurité algérien soient limitativement identifiés par la loi, les Algériens ont été surpris par la présence inédite et inexpliquée d’anciens officiers du DRS à certaines réunions du HCS, dont Abdelkader Aït Ouarabi, dit général Hassan, Djebbar M’henna et Nacer El Djen. Le général Hassan est tellement proche de Toufik que lorsqu’il a été incarcéré sous les ordres de Gaïd Salah, Toufik s’est exprimé pour la première fois publiquement, demandant dans une lettre la libération de son collaborateur.
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Pour rappel, le 30 janvier 2015, un séisme politique avait secoué le régime algérien. Ahmed Ouyahia, alors directeur de cabinet d’Abdelaziz Bouteflika, avait annoncé la dissolution du DRS et la restructuration des services de renseignement algériens, qui seront unifiés sous une seule bannière et relèveront désormais du Président de la république et non plus de l’armée. «Le DRS a été dissous et remplacé par trois directions générales de sécurité directement rattachées à la présidence de la république. Il s’agit de la Direction générale de la sécurité intérieure, de la Direction de la documentation et de la sécurité extérieure et de la Direction du renseignement technique», avait précisé Ouyahia. La coordination de tous ces services a été confiée au général Othmane Tartag, alias Bachir, qui a été retourné contre l’ex-patron du DRS Mohamed Mediène (Toufik), sous les ordres duquel il avait exercé pendant 25 ans en tant que numéro 2 du DRS.
On comprend, dès lors, pourquoi Ouyahia, Tartag et Saïd Bouteflika croupissent toujours en prison, alors qu’ils y ont été envoyés par Gaïd Salah. Saïd Bouteflika et Tartag, en particulier, ont été emprisonnés en même temps que Toufik, pour avoir tenté d’écarter Gaïd Salah en lui signifiant son (faux) limogeage par Abdelaziz Bouteflika alors que ce dernier n’avait plus toutes ses capacités de discernement.
Mais Toufik ne pardonne pas au duo Tartag-Saïd Bouteflika, ennemis comme lui de Gaïd Salah, d’avoir contribué à la dissolution du DRS. «L’Algérie nouvelle», vantée par les médias aux ordres, fait aujourd’hui un bond de 35 années en arrière. Les anciens officiers du DRS ont en effet mis à profit le mandat de Abdelmadjid Tebboune, installé par l’armée à El Mouradia, pour restaurer leur mainmise totale sur le pays, en remettant sur pied le même système sécuritaire des années 90. Un «système» dont le général Mohamed Mediène, dit Toufik, âgé de 85 ans, tire les ficelles, sans partage.