Dans son édition de ce dimanche 26 mars, le Journal du dimanche (JDD) donne la parole à Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger, afin d’explorer la trame de l’histoire complexe qui unit (et désunit) la France à l’Algérie et qui fait que soixante ans après l’indépendance du second pays, «la réconciliation franco-algérienne s’apparente au mythe de Sisyphe».
Pour mieux décrypter cette «romance» faite de hauts et de bas, l’article se réfère au livre de Xavier Driencourt, L’énigme algérienne, paru aux Editions de l’Observatoire, «pour se persuader que la réconciliation franco-algérienne est un projet chimérique».
Le point de vue de l’ancien ambassadeur, en poste à Alger entre 2008 et 2012 puis de 2017 à 2020, est qualifié de lucide, celui-ci reposant sur son expérience du terrain et une connaissance de l’intérieur du pouvoir algérien.
En effet, Xavier Driencourt ne mâche pas ses mots. Il explique ainsi avoir retenu de ces sept années algériennes que «la France n’est qu’un partenaire banal, plutôt plus maltraité que les autres. Avec des alternances de fâcheries longues et de retours de flammes qui ne durent pas.» A son sens, il n’y a d’ailleurs qu’une chose qui intéresse les Algériens: les visas. Au point que c’en est devenu une véritable obsession car, rappelle-t-il, «quarante-cinq millions d’Algériens n’ont qu’un rêve: partir en France, où chaque Algérien a de la famille».
Paradoxalement, face à cet engouement pour les visas français, le discours anti-français, lui, est le levain de toutes les campagnes présidentielles en Algérie, au point que Xavier Driencourt pressente «que le président Tebboune choisisse de venir à Paris le 8 mai prochain, histoire de rappeler le massacre de Sétif du 8 mai 1945 pour pouvoir encore accabler les Français». Il est à rappeler qu’une visite officielle d’Abdelmadjid Tebboune en France est prévue en mai prochain.
En face, la crédulité d’Emmanuel Macron, qui a toujours voulu croire en une impossible quête, pensant réussir là où ses prédécesseurs ont échoué, misant sur son jeune âge et «son pouvoir de séduction», pensant pouvoir entretenir la flamme d’une relation qualifiée dernièrement par Abdelmajid Tebboune, sur Al Jazeera, de «fluctuante», alors que l’ambassadeur du pays en France a été rappelé suite à ce que l’appareil algérien a qualifié d’opération «d’exfiltration» par des «barbouzes» françaises de la journaliste Amira Bouraoui.
Le Maroc, l’autre obsession de l’Algérie
Mais si l’Algérie peine à résoudre son complexe œdipien avec la France, son obsession se caractérise aussi par sa haine viscérale à l’endroit du Maroc. Une haine motivée par la jalousie, selon Xavier Driencourt. Ce dernier se souvient ainsi de la première visite, en décembre 2017, d’Emmanuel Macron au président Abdelaziz Bouteflika, alors âgé de 82 ans, et ayant toutes les peines du monde à parler.
«Il n’était plus le Bouteflika majestueux, tout-puissant, qui avait toute sa tête et que j’avais connu durant mon premier séjour, quand il recevait tous les politiques français: ceux de droite, de gauche. Il ne supportait pas que les Français aient tant d’amitié pour le roi du Maroc. Ca le rendait fou», se souvient l’ancien ambassadeur.
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Xavier Driencourt évoque également, dans une parenthèse personnelle, sa visite à Alger avec le journaliste Jean-Pierre Elkabach, au cours de laquelle «Bouteflika s’est entretenu avec nous pendant plus d’une demi-heure, en grand courroux envers Jacques Chirac en raison de ses séjours si fréquents au Maroc et de ses liens si étroits avec le roi. On sentait une jalousie terrible.»
A la lumière des souvenirs de l’ancien ambassadeur de France à Alger, s’explique encore un peu plus l’hostilité permanente de la junte algérienne à l’égard du Royaume qui a atteint un niveau inédit avec le tandem Chengriha-Tebboune.
Emmanuel Macron, un président crédule sur la question algérienne
Au sujet de la rencontre entre Macron et Bouteflika, l’ancien diplomate décrit l’entretien lunaire entre les deux présidents, dont l’un parlait tout bas et l’autre répétait plus fort ses paroles pour que tout le monde en profite. Emmanuel Macron est alors un jeune président «plein d’enthousiasme», qui pense pouvoir changer les choses, s’exprime «sans langue de bois, sans craindre d’aborder les sujets les plus sensibles et qui fâchent».
«Vous ne pouvez pas faire porter à un jeune les haines de ses parents», conseillait-il alors à Abdelaziz Bouteflika. L’immigration aussi: «Ce n’est pas bon pour vous, ce n’est pas bon pour moi. Vous devez faire un geste pour les harkis.» Des «conseils» qui ne passent pas. Et Xavier Driencourt de livrer l’envers du décor de cette scène avec «tous ces gens âgés autour du président (qui) regardaient avec condescendance ce gamin venu leur faire la leçon».
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Les conseils d’Emmanuel Macron ont donc fait un grand flop, au même titre que sa proposition de faire partir le Tour de France depuis l’Algérie, car, poursuit l’ancien ambassadeur, «le système politique algérien est imperméable à la séduction. Il ne connaît que le rapport de force.»
Comment la France et l’Algérie pourraient-elles s’entendre et parler le même langage alors même, rappelle Driencourt, que «tous ces gens de la nomenklatura ont été formés dans les pays de l’Est et les militaires en Russie», que «le pouvoir algérien soutient Poutine»?
Et de remarquer que si Lavrov est venu récemment à Alger «pour entretenir la flamme» et que «le président Tebboune se rendra en visite officielle à Moscou au Printemps», «quand il s’agit de notre pays (la France), rien ne change. Le discours anti-français demeure la matrice du système.» Et de conclure: «Notre aveuglement est une erreur historique».