Ce que dit le président Macron de la perspective d’une guerre entre le Maroc et l’Algérie

Le président français Emmanuel Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune.

Le président français Emmanuel Macron et le président algérien Abdelmadjid Tebboune. . Le360 (photomontage)

Dans un entretien fleuve accordé à l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud dans l’hebdomadaire Le Point, le président français Emmanuel Macron écarte toute perspective de guerre entre le Maroc et l’Algérie, mais pointe «la volonté de guerre chez certains», qu’il aurait gagné à nommer.

Le 12/01/2023 à 13h04

La «conversation» se voulait un moyen de faire un point distancié, décontracté, voire légèrement décalé sur les relations entre la France et l’Algérie, et c’est presque naturellement que la question sur les tensions entre Alger et Rabat a été abordée. Dans un long entretien accordé à l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud dans les colonnes de l’hebdomadaire Le Point paru mercredi 11 janvier au soir, le président français Emmanuel Macron s’est voulu rassurant, écartant tout risque que la crise profonde entre les deux plus importants pays du Maghreb n’aboutisse à un conflit armé.

A la question de savoir si une guerre est possible au Maghreb, et voulant qu’à la lumière du conflit entre la Russie et l’Ukraine, l’impensable est possible, le chef d’Etat français s’est voulu confiant. «La question est importante. Je ne veux pas le croire, le penser. Parce que ni l’Algérie ni le Maroc ne sont des puissances irrationnelles. Pour ce qui est de l’Ukraine, il s’agit de la conséquence d’un processus politique qui vient de loin, qui repose d’ailleurs sur un puissant ressentiment des Russes. Mais c’est aussi le non-respect de l’intégrité territoriale d’un peuple aux confins de l’Europe par une puissance impérialiste», a déclaré Macron, coupant court à tout parallèle entre la situation en Europe de l’Est et celle en cours au Maghreb.

«Volonté de guerre»Tout en affirmant ne pas croire à une perspective de guerre entre le Maroc et l’Algérie, Macron admet que «la tension entre les deux pays est là, réelle, et ce qui est alarmant, c’est quand la tension devient structurante du fait national et de la vie politique de part et d’autre». Le président français appelle ainsi à l’apaisement, un élément «important» pour l’Algérie, pour le Maroc et «pour la France», et alerte sur la volonté de «certains» de vouloir envenimer la situation et pousser vers une confrontation directe entre les deux pays. «Je ne crois pas que la guerre soit une réalité qui va survenir; par contre, je vois la spéculation chez les uns, le fantasme chez les autres et même la volonté de guerre chez certains, et je vois la distance que cela crée», a-t-il souligné.

Le président français aurait cependant gagné à nommer ceux qui spéculent, qui fantasment et chez qui il y a une volonté de guerre. A date, ce n’est pas le Maroc qui a fermé sa frontière, rompu ses relations diplomatiques et décidé un doublement spectaculaire de son budget d’armement pour atteindre les 23 milliards de dollars en 2023. Et ce n’est pas le Maroc qui abrite, entretient, finance et arme un mouvement séparatiste qui peut à tout moment basculer, justement, dans l’impensable dans une région du Sahel où Daech fait la loi.

Ce n’est pas non plus le Maroc qui «fantasme» et «spécule» depuis que Rabat a rétabli ses relations diplomatiques avec Tel-Aviv. Ce n’est pas au Maroc que le porte-voix de l’armée algérienne, la revue El Djeich, a tenu pendant plusieurs mois un discours belliqueux, galvaniseur, préparant à une guerre contre le Royaume. Le président français aurait gagné à désigner la partie qui spécule, fantasme et veut la guerre. Mais la volonté d’épargner le régime algérien a visiblement été plus forte. Cette volonté risque d’être fortement contrariée par la teneur de l’entretien qui, en dépit des meilleures dispositions au monde, ne plaira pas à la junte d’Alger.

S’agissant du sujet central de l’interview, l’Algérie, tout en se tenant à un jeu d’équilibriste qui se veut juste, Emmanuel Macron a été pour le moins catégorique: il ne demandera pas «pardon» pour les atrocités commises par la France du temps de la colonisation de l’Algérie.

«Je ne demande pas pardon à l’Algérie… j’ai demandé pardon aux Harkis»«Je n’ai pas à demander pardon, ce n’est pas le sujet, le mot romprait tous les liens. Je ne demande pas pardon à l’Algérie», a tranché le chef d’Etat français. Et de préciser: «Le seul pardon collectif que j’ai demandé, c’est aux harkis. Parce qu’une parole avait été donnée par la République qu’elle avait trahie plusieurs fois. Celle de les protéger, de les accueillir. Là, oui.»

Tout au long de son entretien avec l’excellent écrivain Kamel Daoud, Emmanuel Macron a été analytique, érudit, citateur de Paul Ricœur et d’Albert Camus, mais le régime d’Alger ne retiendra que le refus de repentance à l’Algérie et le pardon demandé aux harkis. Le refus à l’un et le pardon à l’autre provoqueront certainement une levée de boucliers qui risque de s’ajouter au climat déjà très tendu entre les deux pays, suite à la nomination du député membre du parti Le Rassemblement national comme vice-président du groupe d’amitié France-Algérie à l’Assemblée nationale française, et à la tribune publiée par l’ancien ambassadeur de France à Alger, Xavier Driencourt.

Macron explique que «le pire serait de conclure: "On s’excuse et chacun reprend son chemin". Là, la fausse réponse est aussi violente que le déni. Parce que, dans ce cas, ce n’est pas la vraie reconnaissance. C’est le solde de tout compte. Le travail de mémoire et d’histoire n’est pas un solde de tout compte. C’est, bien au contraire, soutenir que dedans, il y a de l’inqualifiable, de l’incompris, de l’indécidable peut-être, de l’impardonnable».

Pas d’extradition des opposantsLa «normalisation» des relations entre la France et l’Algérie se fera donc sans cette repentance dont le régime algérien, qui fait de la rente mémorielle sa principale source de «légitimité», un point axial de sa politique vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale. Elle devra également se passer d’une revendication actuelle majeure de la junte: l’extradition des opposants algériens ayant obtenu ou demandé l'asile en France.

Là-dessus, Macron se permet de donner la leçon. «Nous avons, de par notre histoire, de par la Convention européenne des droits de l’homme et notre Constitution, ce devoir d’accueil et de protection envers ceux et celles qui se battent pour leurs idées et qui peuvent être menacés pour celles-ci dans leur pays. C’est le droit d’asile. Il y a des femmes et des hommes qui ont pu bénéficier de l’asile en France, qui venaient d’Algérie et qui, en raison de leur combat politique, pouvaient être menacés», a-t-il expliqué.

Mieux, le locataire de l’Elysée avoue son «incompétence» sur le sujet. Pour lui, «il s’agit de décisions qui relèvent du contrôle du juge. C’est justement la grande difficulté que nous avons avec de nombreux pays à expliquer cette indépendance du juge.»

Sur l’Afrique, Emmanuel Macron se fourvoieLe président Macron a tenu des propos surprenants sur la relation entre la France, l’Algérie et le reste du continent. Il considère l’apaisement comme «vital pour la France, pour la relation bilatérale, pour la relation avec le continent africain». Et de préciser: «La capacité à traiter cette histoire dans le cadre d’une relation franco-algérienne assainie, c’est la possibilité de fonder une relation bilatérale normale et féconde avec le continent africain.»

Macron se trompe sur le lien qu’il établit entre l’Algérie et l’Afrique. Et s’il pense que c’est en soldant le legs mémoriel –solde impossible au demeurant tant que l’armée est la matrice du pouvoir en Algérie– qu’il va contrer le sentiment antifrançais en Afrique, le président français montre une méconnaissance du continent africain dont les réalités, les aspirations, l’histoire et jusqu’à la communauté de destins ne sont en rien associées ou arrimées à l’Algérie. Ces propos pour le moins hasardeux portent à croire que le sentiment antifrançais qui prospère en Afrique est dû aussi à une évaluation très approximative des réalités continentales par Emmanuel Macron.

Par Tarik Qattab
Le 12/01/2023 à 13h04