«L’Algérie s’effondre, entraînera-t-elle la France dans sa chute?», questionne dans les colonnes du Figaro, l’ancien ambassadeur de France à Alger en intitulé d’une tribune où la franchise le dispute à une clarté nourrie par une profonde connaissance de la junte d’Alger. Une interrogation qui prend notamment source dans «la répression qui s’est abattue sur le pays», et que Xavier Driencourt juge être «élaborée et mise en œuvre par une armée qui ne cesse de glorifier les combats contre la France, ‘ennemi éternel’».
Pour cet ancien ambassadeur qui a exercé ses fonctions à Alger à deux reprises, entre 2008 et 2012, puis entre 2017 et 2020, cela ne fait pas l’ombre d’un doute, la France a face à elle un pays aux mains d’un «régime (qui) a montré son vrai visage: celui d’un système militaire brutal», et qui «a fini par avoir raison des espoirs mis un temps dans le Hirak pour une démocratisation du pays».
L’auteur du livre à succès L’Enigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger (éditions de l’Observatoire, 2022), poursuit en passant à la loupe de son analyse le mandat présidentiel de Abdelmadjid Tebboune, élu au poste de président de la République depuis trois ans, en s’interrogeant notamment sur le bilan de son mandat et sur les leçons que la France devrait en tirer.
Illusions françaises vs matrice algérienne«Mon amitié pour l’Algérie comme mon respect pour le peuple algérien m’obligent à rappeler quelques évidences sur la réalité politique, les illusions françaises et les conséquences de celles-ci», annonce le diplomate.
Car de son avis, s’il fallait résumer «brièvement et brutalement» la situation, «l’Algérie nouvelle», selon la formule communément empruntée à la junte, «est en train de s’effondrer sous nos yeux et qu’elle entraîne la France dans sa chute, sans doute plus fortement et subtilement que le drame algérien n’avait fait chuter, en 1958, la IVe République».
Un constat grave, alarmant que le diplomate explique ainsi: «la réalité algérienne n’est en effet pas celle qu’on nous décrit». Ainsi, abonde-t-il, «le régime corrompu de Bouteflika est tombé en 2019, et, après des soubresauts, comme dans toute révolution, l’Algérie issue du «Hirak béni» serait, nous dit-on, progrès, stabilité et démocratie».
Le tropisme algérien du président Macron va fondre au contact de «la matrice du système»: «le discours antifrançais».
Le visage hideux du régime d’AlgerPour Xavier Driencourt, 2020 constitue le point de départ du début de la fin en quelque sorte, car, énonce-t-il, «après peut-être quelques semaines d’espoir, le régime a montré son vrai visage: celui d’un système militaire (formé, on l’oublie, aux méthodes de l’ex-URSS), brutal, tapi dans l’ombre d’un pouvoir civil, sans doute autant affairiste que celui qu’il a chassé, obsédé par le maintien de ses privilèges et de sa rente, indifférent aux difficultés du peuple algérien».
«Répression», c’est le mot qui claque comme un coup de fouet à plusieurs reprises dans cette tribune alarmiste d’un grand connaisseur du régime algérien. Il compare l’Algérie à une vaste prison où sont enfermés «non seulement les politiques, fonctionnaires et militaires liés à l’ancien régime –et auxquels l’Armée nationale populaire doit son statut actuel–, mais aussi les journalistes qui ont eu le tort d’écrire des articles hostiles ou réservés sur le régime, et ceux qui, naïvement, ont posté sur les réseaux sociaux un jugement ou une opinion dissidente».
Un nettoyage par le vide que la pandémie du Covid-19 a permis de pratiquer en toute impunité, à l’ombre, un peu plus tard, de la guerre en Ukraine qui a, quant à elle, permis de mettre «définitivement le pays au pas».
La presse en Algérie a été muselée, bolchévisée, traitant des mêmes sujets, soufflés par des rédacteurs en chef portant l’uniforme vert kaki. «Aujourd’hui, cette presse est muselée, les journalistes arrêtés ou privés de leur passeport», égrène-t-il, en citant les journaux fermés, placés sous tutelle ou interdits tels que Liberté, El Watan mis sous tutelle, Radio M, Maghreb Emergent ou plus récemment encore, l’accusation portée contre le site AlgériePart de recevoir des fonds de l’étranger pour diffuser des fake news afin de «déstabiliser le pays».
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Une répression touchant les médias, mais pas seulement, car parmi les victimes à en faire les frais, le diplomate cite aussi des associations, comme Caritas fondée par l’Eglise catholique avant 1962, tantôt dissoutes, tantôt accusées de recevoir des fonds de l’étranger.
Derrière la haine et la défiance de «l’étranger», la FranceXavier Driencourt pousse encore plus loin son analyse de ce terrain hostile en appelant un chat un chat et en l’occurrence en précisant que cet «étranger» qui suscite une levée de boucliers du régime en place en Algérie est précisément incarné par la France. Driencourt oublie de citer le Maroc, mais passons le jour très incertain où le régime algérien dépassera la rente mémorielle d’où il tire sa légitimité, ce jour-là, le pouvoir en Algérie sera lavé également de sa haine pathologique du Maroc.
La France est ainsi prévenue et ne saurait se voiler la face quant au «discours antifrançais qui, sous Bouteflika était opportuniste et parfois maladroit», et qui «est aujourd’hui la matrice du système».
Loin des discours de fraternité et de la trame d’une histoire d’amour renouée malgré les tumultes du passé, l’ancien ambassadeur invite ainsi à ne pas tomber dans le piège des apparences, car, juge-t-il, «la force de ce régime est de faire croire au monde que l’Algérie n’est peut-être pas une démocratie à l’occidentale, mais qu’elle s’achemine, selon ses moyens propres, vers un système un peu autoritaire, gentiment policier, mais sans jamais être une dictature».
Un miroir aux alouettes que le diplomate brise avec fracas en rappelant, à ceux qui ne le sauraient pas ou l’auraient oublié, que «le génie de ce système est surtout d’avoir fait avaler cette fable à ceux qui sont censés les mieux connaître, les Français».
«Nous croyons connaître l’Algérie parce que nous l’avons colonisée, mais l’Algérie nous connaît et nous possède bien davantage», poursuit-il, appelant à se garder des illusions, et à se méfier de l’euphorie qui pourrait prédominer en 2023 au lendemain de la visite présidentielle d’Emmanuel Macron l’année dernière et à la veille d’une élection présidentielle algérienne.
«L’angélisme» de Macron face à des militaires sans «état d’âme ni scrupules»Xavier Driencourt martèle une vérité: le système algérien tient sa légitimité du discours antifrançais, de ces chouhadas dont les chiffres sont hypertrophiés, Tebboune parlant même de 5,6 millions d’Algériens tués par la France. Il sait aussi que les relations conjoncturellement apaisées entre la France et l’Algérie ne résisteront pas à la campagne présidentielle dans laquelle s’est déjà engagé Tebboune. Et de prédire: «2024 verra inéluctablement une nouvelle crise, tant le discours antifrançais est le levain d’une campagne électorale réussie». Driencourt fustige un «aveuglement» dans la croyance du gouvernement français qu’un simple déplacement officiel en Algérie ou le fait de céder «aux Algériens sur les dossiers qui leur sont chers, mémoire et visas» les fera gagner à la cause de la France. C’est «un leurre», conclut-il à ce sujet.
De son avis, Paris ferme «les yeux sur la réalité algérienne», et fait mine de croire «que le pouvoir algérien est légitime à défaut d’être démocratique, que le discours antifrançais est un mal nécessaire, mais transitoire, que la démocratie est un apprentissage qui prend du temps».
A cet aveuglement de la France, Xavier Driencourt oppose la cruauté cynique des «militaires qui dirigent le pays (l’Algérie) (et qui) n’ont pour leur part ni état d’âme ni scrupules quand il s’agit de la France».
Car dans le discours rationnel et des arguments cartésiens brandis par la France, ces militaires au pouvoir voient, quant à eux, «inconsistance, naïveté, méconnaissance du système, et pour tout dire angélisme». C’est une gifle tonitruante que cet expert de l’Algérie inflige à son pays, en poussant la sévérité de ses propos jusqu’à dépeindre les coulisses du lendemain des visites officielles du président et des ministres français en Algérie. Sans concession, Xavier Driencourt déploie son imagination jusqu’à imaginer «les regards échangés (entre les caciques du régime algérien) avec le sentiment d’avoir, une nouvelle fois, embobiné leur partenaire par un discours culpabilisateur».
Le rétropédalage d’Emmanuel Macron sonne le glas de la crédibilité de la politique françaiseC’est à ce point précis de sa tribune que Xavier Driencourt questionne la position d’Emmanuel Macron, auquel il rend hommage dans un premier temps pour ses «propos percutants», alors qu’il dressait un portrait sans concession en octobre 2021 d’«une histoire officielle réécrite par Alger construite sur la haine de la France», qu’il dénonçait comme jamais aucun de ces prédécesseurs n’avait osé le faire auparavant «la rente mémorielle» et «un système politico-militaire fatigué».
C’est là que s’arrête cet hommage à la «lucidité» du président français, car déjà, le chroniqueur se questionne sur les raisons qui ont poussé Emmanuel Macron à «se précipiter à Alger et tenir aux Algériens les phrases qu’ils attendaient sur mémoire et immigration?».
Même interrogation sur ce qui a poussé l’Elysée dans la foulée à envoyer «le Premier ministre flanqué de quinze ministres qui, pour s’occuper, ont visité le cimetière chrétien déjà parcouru par le président et le Lycée français?».
Et de lancer un appel, à nouveau sous forme de question ouverte, invitant de manière pressante à des réponses, mais aussi à adopter une attitude différente, bien plus stricte: «pourquoi ne pas s’en tenir à une ligne de fermeté, la seule que l’Algérie comprenne, le rapport de force, plutôt que l’angélisme».
Après l’euphorie, les lendemains difficilesCette «sinuosité politique» aura, selon Xavier Driencourt, des conséquences et un impact sur la France, car «l’Algérie va mal, beaucoup plus mal que les observateurs ou les rares journalistes autorisés le pensent».
Ce mal-être peut d’ailleurs être chiffré et s’élève, rappelle le diplomate, à ces 45 millions d’Algériens qui «n’ont qu’une obsession: partir et fuir», dans le seul pays où «chaque Algérien a de la famille», la France, pour échapper à un pays ravagé par «le choix désastreux de 1962, la crise économique, la corruption née de la rente pétrolière, le découragement non seulement des élites des grandes villes du Nord, mais aussi du peuple des campagnes et de l’Algérie profonde».
Le constat est là, implacable, «peu de gens resteront en Algérie», et déjà les conséquences se profilent en France avec, pour prix de son aveuglement et de ses compromissions, «l’immigration massive, sans rapport avec ce qu’elle est aujourd’hui, islamisme conquérant, ghettoïsation de nos banlieues, repentance mémorielle».
Comment réagira la France empêtrée dans un double paradoxe, celui d’une alliance contre nature «entre une armée antifrançaise et des islamistes qui nous détestent», et celui, soixante ans après l’indépendance algérienne, «de traîner toujours et encore le problème algérien auquel précisément les accords d’Evian devaient mettre fin»?
Pour Xavier Driencourt, la France a d’ores et déjà perdu, car l’Algérie a, quant à elle, déjà «gagné le combat contre l’ancien colonisateur», mais tout en actualisant sans cesse le sujet –transformé en problème pour la France– parce qu’il est consubstantiel de la survie de la junte algérienne.
Xavier Driencourt dresse un avenir sombre du pouvoir en France, rongé par l’angélisme dans sa relation avec le régime d’Alger. A ses yeux, «l’Algérie s’effondre, mais risque d’entraîner Paris dans sa chute. La IVe République est morte à Alger, la Ve succombera-t-elle à cause d’Alger?»