Le régime algérien interdit la grève et musèle les syndicats

Abdelmadjid Tebboune et Said Chengriha

Samedi 28 janvier, Algérie Poste a été paralysée par un vaste mouvement de grève à travers tout le pays. L’ampleur de ce débrayage est telle que le régime algérien a paniqué et réagi en brandissant des sanctions pénales contre les syndicalistes ayant appelé à la grève via les réseaux sociaux.

Le 30/01/2023 à 12h57

Après avoir dissous tout récemment la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’Homme (LADDH), dernière association indépendante qui était encore en activité, le régime algérien menace cette fois-ci les syndicats à travers de nouvelles sanctions pénales et autres restrictions au droit de grève.

Il a suffi d’un appel à une grève lancé par le Syndicat des postiers algériens, et largement suivi durant la journée du samedi 28 janvier dans tous les bureaux de poste à travers le pays, pour que la junte militaire algérienne mette en branle tout son appareil répressif, à commencer par la justice.

Ainsi le pôle pénal de la Cour d’Alger s’est saisi, dimanche 29 janvier, de cette grève en ordonnant l’ouverture d’une enquête «immédiate» pour identifier les personnes qui seraient derrière l’appel à la grève à travers les réseaux sociaux.

Ces «suspects», comme les qualifie le communiqué du procureur de la République, seront poursuivis pour avoir commis des délits liés aux nouvelles technologies de l’information et de la communication dans le but d’«entraver les activités au niveau des agences d’Algérie Poste».

En réalité, ce sont de simples et anodines revendications salariales, jamais prises en considération par les autorités compétentes, qui seraient derrière cette grève dans un pays où l’écrasante majorité des quelque 4 millions d’agents et contractuels de la fonction publique a vu son pouvoir d’achat s’éroder d’une année à l’autre.

Selon plusieurs médias algériens, le procureur de la République près la Cour d’Alger a même trouvé des circonstances aggravantes pour déclarer illégal le débrayage des postiers qui, en plus des «incitations anonymes», «ont ciblé des services de la Poste à la période de versement des allocations chômage, qui sont majorées à partir de ce mois de janvier à 15.000 dinars algériens». Grâce à cette «misérable» justification, le communiqué de l’instance judiciaire se montre menaçant en ajoutant que la loi «sera appliquée avec la sévérité nécessaire» à l’encontre de ces suspects anonymes.

Ce lundi 30 janvier, c’est au tour de l’agence de presse officielle APS d’en rajouter une couche, en annonçant que «suite à l’arrêt de travail observé dans certains bureaux de poste, le tribunal de Dar El Beïda a rendu ce dimanche 29 janvier 2023 une ordonnance de référé déclarant illégal ce débrayage», tout en ajoutant que «la direction générale d’Algérie Poste prendra toutes les procédures et mesures prévues par les textes juridiques et réglementaires en vigueur» pour sanctionner, voire renvoyer les grévistes.

Il faut rappeler que ces derniers jours sont marqués en Algérie par un début de levée de boucliers entre le régime algérien et les organisations syndicales du pays, jusqu’ici très discrètes à cause, certainement, des dérives dictatoriales de l’actuel pouvoir algérien. Ce dernier ne cesse en effet de fermer à tour de bras les associations, de dissoudre les partis politiques, de mettre sous scellés les radios et autres médias qui tentent de préserver leur indépendance et liberté d’expression.

Ce mini-réveil syndical était attendu car depuis l’arrivée à la présidence algérienne d’Abdelmadjid Tebboune, la «tripartite gouvernement-syndicat-patronat» ne s’est jamais réunie une seule fois.

C’est dans ce cadre qu’après une longue hibernation, l’Union générale des travailleurs d’Algérie (UGTA), pourtant très proche du pouvoir et qui était le seul syndicat à participer à la tripartite, est récemment sortie de sa torpeur pour exiger du président algérien de retirer immédiatement deux projets de loi relatifs aux syndicats et que le gouvernement discute en vase clos depuis octobre dernier, sans la moindre consultation avec les premiers concernés.

Ces projets de loi visent à reformer l’exercice de l’activité syndicale dans le sens d’une restriction drastique du droit de grève, voire son interdiction pure et simple dans plusieurs secteurs, jugés «sensibles», de la fonction publique. Il s’agit surtout de secteurs connus pour être frondeurs et très politisés comme l’éducation et la santé, et qui sont, à l’instar des autres secteurs de la fonction publique, représentés par la Confédération des syndicats autonomes (CSA), qui revendique des milliers d’adhérents.

La traque judiciaire en cours contre les postiers grévistes, ajoutée aux projets de loi sur lesquels le gouvernement d’Aymen Abderrahmane planche actuellement, font de l’Algérie le seul pays au monde qui limite le droit de grève dans certains secteurs et l’interdit, en le criminalisant, dans d’autres. Et ce, en violation non seulement de sa garantie par la Constitution algérienne mais aussi des conventions internationales signées par l’Algérie avec le Bureau international du travail (BIT) et l’Organisation internationale du travail (OIT).

Par Mohammed Ould Boah
Le 30/01/2023 à 12h57