L’eurodéputé Thierry Mariani: «Emmanuel Macron a une forme de complexe vis-à-vis de l’Algérie»

Thierry Mariani, eurodéputé français au sein du groupe Identité et Démocratie au Parlement européen.

Thierry Mariani, eurodéputé français, membre du groupe «Identité et Démocratie» au Parlement européen.. AFP or licensors

EntretienSuite à l’adoption par le Parlement européen, le 19 janvier, d’une résolution «d’urgence» portant sur les droits humains et la liberté de la presse au Maroc, l’eurodéputé français Thierry Mariani revient dans cette interview, en exclusivité pour Le360, sur les coulisses de ce vote controversé et analyse le refroidissement des relations entre la France et le Maroc.

Le 27/01/2023 à 08h44

Vous vous êtes exprimé devant le Parlement européen pour dire votre indignation suite à l’adoption de cette résolution sur les droits humains et la liberté de la presse au Maroc le 19 janvier. Vous attendiez-vous à un tel résultat?

Malheureusement, je suis très habitué à ce que les résolutions sur les droits de l’homme du Parlement européen soient votées à une majorité soviétique. Ces résolutions sont préparées à la va-vite, de manière assez opaque et sans se soucier de la souveraineté des États qu’elles visent.

Il arrive très régulièrement que je sois l’un des rares à rappeler des choses simples comme la nécessité pour les élus européens de ne pas suivre religieusement l’avis des ONG ou encore l’importance de se fonder sur des faits plutôt que sur des opinions. Il est regrettable que mes collègues oublient que nous ne sommes pas des juges mais des parlementaires, et qu’il convient donc que nous élaborions des avis politiques plutôt que des sortes de prêches fanatiques comme ceux de ces résolutions d’urgence.

Comment expliquez-vous l’adoption de cette résolution?

Omar Radi est journaliste, il a travaillé en lien avec des ambassades européennes et il est soutenu par des ONG. Pour le Parlement européen, cela lui donne une forme d’immunité. Quoi qu’il fasse, il est protégé par la haine que beaucoup de parlementaires ont pour les Nations, leur préférant tout ce qui participe à la remise en cause des États.

Par ailleurs, le Maroc a beaucoup d’ennemis au Parlement européen. Une large part de la gauche européenne est encore liée à l’Algérie par des solidarités politiques et des ingérences diverses. Je rappelle qu’il existe au Parlement européen un groupe d’étude spécialement dédié à la mise en avant des revendications du Front Polisario. Bien sûr, il ne se présente pas officiellement comme cela. Reste que dans les faits, c’est ce qu’il se passe.

La grande fierté de beaucoup de parlementaires européens est d’ignorer les éléments que leur communiquent les représentations diplomatiques au sujet des thèmes qu’ils étudient. Le mépris de la majorité des groupes du Parlement européen pour toute parole d’État est problématique: comme je l’ai dit, il est consternant que nous n’ayons entendu que les voix des défenseurs de monsieur Radi, et jamais celles de la justice marocaine et de la victime.

Le Parlement européen ne veut rien voir, rien entendre, rien comprendre qui contrevienne à sa vision idéologique du monde. Cette résolution sur le Maroc l’a encore démontré.

Lors de votre prise de parole, vous citez à plusieurs reprises l’Algérie qui aurait pu faire l’objet de cette résolution. Vous dénoncez à ce titre le laxisme de la gauche et du Parlement européen qui cèdent tout à ce pays en contrepartie de son gaz. Peut-on parler de lobbying de l’Algérie au sein du Parlement européen?

En tout cas, je ne l’ai jamais expérimenté, car je crois qu’Alger a bien compris que je ne goberais pas ses éléments de langage.

L’Algérie a des relais puissants au sein de la classe politique française et de la gauche européenne. J’ai par ailleurs demandé à la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, d’établir une obligation de transparence sur toutes les nationalités détenues par les députés au Parlement européen, afin d’établir s’il n’existe pas des conflits d’intérêts dans le traitement des dossiers internationaux.

L’Algérie a évidemment une activité d’influence auprès du Parlement européen mais je ne la condamne pas en soi. Il est naturel que nous entretenions des liens avec tous les pays, même ceux que nous critiquons le plus, afin de connaitre leur vision du monde.

En revanche, il est anormal que la Commission européenne continue à insister pour intensifier nos relations avec l’Algérie, notamment en matière énergétique, sans jamais imposer de conditionnalité à cette relation.

Les autorités algériennes ont fermé dimanche la principale organisation des droits de l’homme du pays, trois jours à peine après l’adoption de cette résolution, sans aucune déclaration des eurodéputés. Le même silence a été observé quant à la détention de journalistes en Algérie, emprisonnés pour leurs écrits. Comment expliquez-vous ce deux poids deux mesures?

Je rappelle qu’il y a tout de même eu plusieurs résolutions du Parlement européen pour dénoncer la situation politique et des droits humains en Algérie. Mais nous en sommes restés à une position purement incantatoire. Nous verrons si le Parlement européen ajoute l’Algérie à l’ordre du jour de ses résolutions d’urgence lors de la session plénière de février. En effet, la fermeture administrative de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme est un nouveau signal de l’autoritarisme du régime algérien.

On voit qu’Emmanuel Macron a une forme de complexe vis-à-vis de l’Algérie. Il cède à toutes les demandes du Président Tebboune, lui envoie nos ministres par convois entiers, et on murmure même qu’il voudrait l’accueillir officiellement à l’Élysée en mai. Souvenez-vous que le 9 octobre dernier, notre Premier ministre, Madame Borne, était à Alger accompagnée de 16 ministres soit plus de la moitié du gouvernement. Aucun autre pays n’a eu droit à un tel traitement de faveur.

Tout le monde connait le régime en place en Algérie et chacun sait qu’en matière de libertés, il n’a de leçons à donner à personne.

Est-il normal que la parole des victimes de ces journalistes marocains emprisonnés dans le cadre d’affaires de droit commun n’ait pas été entendue?

C’est ahurissant. Dans les affaires de mœurs, et notamment dans les affaires de violences sexuelles, le Parlement européen passe son temps à prôner la fin de la présomption d’innocence et l’inversion de la charge de la preuve quand les victimes dénoncent des faits. Des évolutions avec lesquelles je suis d’ailleurs en désaccord, les trouvant excessives.

En revanche, quand la justice d’un État souverain condamne quelqu’un pour crime sexuel, là, le Parlement européen ignore complètement la parole des victimes. C’est une nouvelle preuve de la politique de double standard et de la mauvaise foi crasse qui habitent trop souvent le Parlement européen et ses résolutions d’urgence.

Hafsa Boutahar a adressé une lettre ouverte au Parlement européen. Etiez-vous au courant? A-t-elle été lue et en avez-vous pris connaissance?

Pour ce qui est des députés français au Parlement européen, du groupe Identité et Démocratie, nous l’avons reçue le lundi 16 janvier. Elle nous a évidemment fait une vive impression. Si les résolutions sur les droits de l’homme étaient débattues de manière normale, Madame Boutahar aurait été entendue dans notre commission.

Je suis outré qu’une femme, déjà victime, certainement soumise à des difficultés sociales parce qu’elle a eu le courage de parler, soit en outre forcée de rappeler son calvaire car les députés européens n’ont pas la dignité de l’entendre.

Chose frappante, la droite française a brillé par son absence avec aucun vote des eurodéputés français du PPE et six absents sur dix-neuf au sein du parti Identité et Démocratie (ID). Comment l’expliquez-vous?

Les députés français du groupe Identité et Démocratie sont les seuls à avoir voté contre la résolution avec des socialistes espagnols. Il me semble que c’est le plus important à souligner du côté français.

Je suis intervenu personnellement pour dénoncer la résolution et les députés issus du Rassemblement National ont heureusement sauvé le bilan des élus français.

Tout d’abord, il y avait ce jour-là malheureusement de nombreux députés français de tous les groupes qui étaient absents... en raison d’une grève générale des transports en France pour s’opposer à la réforme des retraites.

Le PPE, parti de centre droit au Parlement européen, a décidé qu’il n’interviendrait plus sur ces résolutions du fait de l’affaire du «Qatargate» qui éclabousse la sous-commission des droits de l’homme, les élus des Républicains n’ont donc pas voté. Je pense que c’est une erreur de leur part car cela revient à laisser le champ libre à toutes les gauches européennes hostiles au Maroc.

La position la plus consternante est celle du groupe Renaissance, dont le député Stéphane Séjourné, très proche conseiller d’Emmanuel Macron, a d’ailleurs été à la manœuvre pour attaquer le Maroc dans la même session plénière.

Venons-en maintenant aux rapports entre la France et le Maroc qui se sont considérablement refroidis. Quel regard portez-vous sur ce refroidissement diplomatique et sur le sentiment antifrançais que cela entraîne?

Je pense qu’il est très malheureux qu’un sentiment antifrançais se développe au Maroc et je crois que c’est regrettable car, même si je comprends que la politique d’Emmanuel Macron soit mal appréciée, la relation entre nos deux pays est plus solide que ses errements.

Nous devons en revenir à des dossiers communs, sur les sujets consulaires, migratoires, économiques, et militaires. Je pense à cet égard que la France devrait officiellement se prononcer sur la marocanité du Sahara pour partir sur de nouvelles bases.

Évidemment, l’absence de déclarations françaises pour dénoncer l’agressivité de l’Algérie et son action déstabilisatrice dans la région est par ailleurs très regrettable. En tout cas, le Rassemblement National au pouvoir mènerait une politique étrangère aux antipodes de celle d’Emmanuel Macron dans votre région.

Que pensez-vous du déplacement de Saïd Chengriha, le chef de l’armée algérienne, en France et son accueil à l’Elysée par Emmanuel Macron, ce qui constitue une grande première pour un chef militaire?

Emmanuel Macron s’obstine dans sa politique de séduction de l’Algérie sans hésiter à humilier la Nation française quand cela sert sa communication. Je ne vois pas quelle coopération militaire utile nous pourrions développer avec l’armée algérienne sans renforcer ses prétentions dans la région.

Or l’Algérie ne sera jamais un allié de la France tant que son régime vit de la haine pour les Français. L’hymne algérien lui-même insulte la France et les Français. J’ai quelques amis dans l’armée, je pense qu’ils ont dû être révoltés de voir que cette rencontre avait lieu.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 27/01/2023 à 08h44