L’achat d’armes made in France est la vraie raison de la réception inédite du chef de la junte d’Alger à l’Elysée

Le chef de l'armée algérienne, Saïd Chengriha, et le président français, Emmanuel Macron, le 27 août 2022 à l'aéroport d'Alger.

Le chef de l'armée algérienne, Saïd Chengriha, et le président français, Emmanuel Macron, le 27 août 2022 à l'aéroport d'Alger.. AFP or licensors

En dehors de la symbolique et des considérations d’apparat, la visite du chef d’état-major algérien, Saïd Chengriha, à Paris et le tapis, honteusement tenu caché, que lui a déroulé Emmanuel Macron à l’Elysée servaient d’autres desseins: de mirobolants contrats d’armement et le balisage d’un axe Paris-Alger avec, forcément, le Maroc et son multilatéralisme pour cibles.

Le 26/01/2023 à 19h26

Celles et ceux qui croyaient que le voyage à Paris du chef de la junte algérienne, de même que sa discrète réception inédite par le président français Emmanuel Macron à l’Elysée, visait uniquement à caresser dans le sens du poil le Système gagneraient à se raviser. Reçu à l’Elysée lundi 23 janvier 2023, ainsi que par Thierry Burkhard, chef d’état-major des armées françaises, ou encore le ministre des Armées, Sebastien Lecornu, Saïd Chengriha était en France pour une raison bien plus «matérielle» que la hauteur symbolique du tête-à-tête que lui a réservé le chef d’Etat français.

Ce tête-à-tête est le premier du genre accordé par un président français à un haut gradé algérien depuis l’indépendance de ce jeune pays, créé par la France par un décret d’octobre 1839, un territoire qui formait trois départements français. Ce décret de même que son appendice départementale sont un fait historique dont l’Algérie détient l’exclusivité dans la colonisation de l’Afrique et qui a spolié des nations, surtout le Maroc et la Tunisie ainsi que le Mali, de vastes territoires annexés à la France, qui pensait rester ad vitam æternam dans le pays qu’elle a créé.

Le chef d’état-major de l’armée algérienne s’est rendu en France pour acheter des armes, apprend Le360 de sources sûres. L’accueil de Chengriha par Macron à l’Elysée, a priori étonnant à la fois par son aspect hautement symbolique et par son côté inhabituel, prend ainsi tout son sens. Tout comme s’explique enfin l’absence d’images de ce tête-à-tête et, surtout, le silence de l’Elysée et des médias de l’Hexagone à l’égard de cette visite et ses desseins occultes. Il y a un silence détonnant des médias français sur la présence du patron de la junte d’Alger sur leur territoire. L’achat d’armes françaises par la junte d’Alger n’est visiblement pas en odeur de sainteté.

L’on sait désormais mieux à quoi vont servir les 23 milliards de dollars réservés par le régime algérien à l’armement au titre de la seule année 2023 (+120% par rapport au budget 2022). L’objectif est double. Il s’agit pour l’Algérie de sortir du monopole de fait que lui impose la Russie, son fournisseur quasi exclusif en armes, mais dont les équipements ont montré leurs limites en Ukraine. Les contrats d’armement à venir scellent également un nouvel axe Paris-Alger dont la France sortirait, là encore, grand, sinon seul et unique, vainqueur. N’est-ce pas le même Macron qui a, en fin de semaine dernière, promis une enveloppe de 400 milliards d’euros pour l’armée française sur la période 2024-2030, ainsi qu’une forte hausse du budget du renseignement militaire? Le tout représentant un tiers de plus que la précédente enveloppe, fixé dans le cadre de la loi de programmation militaire. Là encore, on en sait davantage quant à certaines voies où le président français entend piocher les ressources nécessaires à cette ambition.

Les nouveaux contrats d’armement made in France de la junte, l’augmentation colossale du budget militaire de l’Algérie en 2023 et la visite de Chengriha à Paris pour renflouer les caisses du complexe militaro-industriel français viennent confirmer, si besoin, un basculement structurel de la France sous Macron vers l’Algérie au détriment du Maroc et de ses intérêts. Ce qui semblait être de l’hésitation française est désormais un choix clair. Une option qui renseigne sur les véritables visées du nouvel axe Paris-Alger. En toute logique, contre qui ces armes sont destinées à être utilisées par une junte militaire algérienne résolument belliciste? Le Maroc évidemment. Vaste programme… Et il faudrait résolument regarder vers la Russie pour voir quel prix les vieillards du régime d’Alger vont payer pour ce qui ressemble bien à une chute sans casque dans le camp de l’Occident. Le retour de bâton russe risque d’être extrêmement douloureux pour un régime algérien en déperdition.

Le grand secret dont ce nouvel accord est entouré par des médias français qui, généralement, font feu de tout bois, n’y changera rien. Les directeurs des rédactions françaises, habitués des dîners confidentiels avec Macron, sont rompus à ce genre d’exercices pour fomenter leurs coups de Jarnac, avec comme cibles de choix le Maroc et ses intérêts stratégiques. Un Maroc qui gêne par sa projection multiforme et la diversité de ses alliances stratégiques. Là encore, le nouvel axe Paris-Alger ne pourra rien y changer. Les propos, ce jeudi 26 janvier 2023, de la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères, Anne-Claire Legendre, voulant que «la France n’est pas en crise avec le Maroc» relèvent, dans ce contexte, du risible. Mais de qui se moque-t-on? Certainement des Français.

En dehors des précieux milliards que va apporter le choix de la junte par Paris, la France en sort-elle grandie sur les moyen et long termes? Rien n’est moins sûr. Il serait plus pertinent pour Paris de s’interroger, dans la foulée de la récente demande d’évacuation de ses troupes militaires au Burkina Faso, si le rapprochement avec Alger ne participera pas à accélérer son déclassement au Maghreb, au Sahel et sans nul doute dans plusieurs pays d’Afrique. Un continent où le sentiment anti-français ne s’est jamais autant exacerbé que depuis que Macron est à la tête de la France.

Par Tarik Qattab
Le 26/01/2023 à 19h26