«Pourquoi la Chine investit-elle autant d’argent dans les usines marocaines?», c’est la question posée par le New York Times dans l’intitulé d’un article paru le 7 mai 2025. Dans cet article qui revisite les rapports commerciaux entre le Maroc et ses partenaires chinois et européens, le New York Times évalue la difficulté du Maroc à préserver ses liens commerciaux avec l’Europe, grâce à son secteur automobile et à un pacte commercial, alors que son statut de pays connecteur se trouve fragilisé par la guerre commerciale qui oppose les États-Unis au reste du monde, et particulièrement à la Chine.
C’est ainsi à la lumière de ses relations avec la Chine que le Maroc est présenté par le New York Times qui choisit de débuter son analyse par la visite de Xi Jinping à Casablanca, à son retour du sommet du G20 au Brésil, au cours de laquelle le dirigeant chinois a été reçu par le prince héritier Moulay Hassan.
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Une visite «brève», mais qui témoigne «des liens économiques croissants entre la Chine et le Maroc», estime la publication américaine en décrivant le Maroc comme «le plus grand centre de production automobile d’Afrique et un point de passage de plus en plus crucial pour les entreprises chinoises qui cherchent à contourner les droits de douane sur les exportations à destination de l’Europe».
Des investissements chinois au Maroc en plein essor
Cette visite de Xi Jinping au Maroc n’est donc pas anodine, d’autant qu’elle s’inscrit dans un processus d’accroissement des investissements chinois au Maroc ces deux dernières années. Et le New York Times de souligner l’intérêt particulier suscité par le Maroc pour «les producteurs chinois d’énergie, de véhicules électriques et de batteries» dont les investissements ont explosé, «avec 10 milliards de dollars consacrés à cette industrie, selon une estimation», relève-t-on. Ainsi, précise la publication, ce sont des dizaines d’entreprises chinoises impliquées dans la construction automobile qui s’installent au Maroc, notamment le fabricant de batteries Gotion High-tech.
De quoi cet essor des investissements témoigne-t-il exactement? Assurément de «l’importance croissante de pays comme le Maroc, qui a conclu un accord de libre-échange avec l’Union européenne, et qui servent de nœuds de connexion dans un système commercial mondial qui se recompose autour d’une course d’obstacles constituée de droits de douane élevés, de restrictions commerciales et de rivalités géopolitiques», analyse l’auteure de la publication.
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C’est ainsi de l’utilisation du statut des zones à tarifs réduits ou nuls par les pays dits connecteurs dont il est ici question, de la complexité à exploiter des opportunités commerciales tout en minimisant le risque de s’aliéner l’Occident ou la Chine. Un jeu d’équilibriste auquel se prête le Maroc mais qui est devenu un peu plus périlleux, voire «précaire», selon le média américain, depuis que «l’administration Trump a donné un coup de pied au système commercial mondial».
Les avantages convoités du Maroc
Alors que les États-Unis et l’Europe tentent de rivaliser depuis plusieurs années, et avant même l’élection de Donald Trump, avec les entreprises chinoises qui vendent des voitures à prix réduits et mettent en péril les industries automobiles occidentales, le Maroc, au même titre que le Mexique, le Vietnam, la Thaïlande, la Malaisie, l’Inde, l’Indonésie ou la Turquie se profile comme une aubaine.
Ainsi, quand l’administration Biden bloquait l’année dernière les véhicules électriques chinois en les frappant d’un droit de douane de 100%, et que l’Union européenne augmentait ses droits de douane sur les véhicules électriques chinois jusqu’à 45%, rappelle le New York Times, les fabricants chinois, eux, optaient pour le Maroc, pays connecteur privilégié avec l’Union européenne.
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C’est ainsi au Maroc que se dessinent désormais les pourtours des rivalités entre entreprises chinoises, américaines et européennes, car déjà «les constructeurs automobiles chinois ont pris de l’avance sur de nombreux concurrents dans les domaines de la technologie des batteries, de la conduite automatisée et des logiciels de divertissement», énumère-t-on. De quoi alimenter de grandes ambitions d’expansion pour la Chine dans le monde entier, en Amérique latine, en Asie, en Europe et en Afrique.
Le pari gagnant du Maroc, fruit d’une stratégie visionnaire
Pékin «veut tirer parti des avantages clés du Maroc», explique ainsi au New York Times Alexandre Kateb, économiste et fondateur du Multipolarity Report, une plateforme de conseil stratégique. Ses avantages sont nombreux, à commencer par sa situation géographique aux portes de l’Europe et de l’Afrique et la construction par le pays depuis vingt ans «d’un écosystème de l’industrie automobile», note l’expert. À cela s’ajoute «un réseau de transport sophistiqué qui comprend des ports comme Tanger-Med et de grandes réserves de phosphates, qui sont utilisés dans la production de batteries de voiture», sans compter que «le pays s’est également engagé rapidement dans une transition vers les énergies propres», poursuit l’article.
«Pour les constructeurs automobiles chinois, le Maroc pourrait désormais jouer le même rôle pour l’Europe que le Mexique pour les fabricants qui ont cherché à éviter les droits de douane américains», analyse de son côté Ahmed Aboudouh, chercheur associé au programme Moyen-Orient et Afrique du Nord de Chatham House.
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Pressenti premier exportateur de voitures vers l’Union européenne en 2023, devant la Chine, le Japon et l’Inde, par Auto World Journal, le Maroc a en effet su séduire des partenaires de choix tels que le constructeur automobile français Renault, «attiré par des coûts de main-d’œuvre et d’énergie plus faibles qu’en Europe», analyse l’article, et qui fabrique des voitures au Maroc depuis plus de 20 ans. C’est dans la même dynamique que s’inscrit le groupe automobile Stellantis, détenteur des marques Chrysler et Jeep, installé au Maroc depuis 2019.
Entre enjeux économiques et géopolitiques, le Maroc en position d’équilibriste
Toutefois, avec l’aggravation des tensions entre la Chine et l’Europe mais aussi avec les États-Unis, notamment liées à l’augmentation jusqu’à 145% des droits de douane annoncée par le président américain Donald Trump, la position du Maroc tient lieu du jeu d’équilibriste afin de préserver des préoccupations économiques et géopolitiques pas toujours alignées.
D’un côté, les prêts et les investissements chinois dans le cadre de l’initiative «la Ceinture et la Route» qui ont contribué au développement économique du Maroc, «en aidant à construire les infrastructures du royaume avec des projets tels qu’une ligne ferroviaire à grande vitesse, des centrales solaires et un pôle technologique de 10 milliards de dollars à Tanger», énumère le média américain.
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De l’autre, le partenariat stratégique avec les États-Unis qui est également une priorité pour le Maroc, et qui se caractérise par la participation du Maroc à des exercices militaires avec l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, sa collaboration avec les États-Unis en matière de lutte contre le terrorisme, son ambition d’acquérir des avions de combat furtifs américains F-35… liste le New York Times. Sans compter que Donald Trump a reconnu, en 2020, la souveraineté du Maroc sur le Sahara atlantique.
Mais si le Maroc «considère la Chine comme un partenaire majeur», considère Ahmed Aboudouh, il est tout aussi «conscient du risque que M. Trump puisse sévir contre les pays qui commercent avec la Chine», notamment en décidant de faire pression sur le Maroc et «éventuellement en menaçant d’augmenter les droits de douane», prend pour exemple le New York Times. Par ailleurs, il y a fort à parier que le Maroc n’accueillera pas la Chine «aux dépens de l’Union européenne et des États-Unis», analyse l’expert.
Car si le Maroc, qui a conclu un accord de libre-échange avec les États-Unis depuis deux décennies, a été soumis à un tarif douanier général de 10% imposé sur la quasi-totalité des importations par Donald Trump, le pays n’a toutefois pas été «menacé par les niveaux tarifaires punitifs supplémentaires visant des nations comme le Mexique, le Vietnam et la Thaïlande», considère le New York Times.
Alors quelle sera la position du Maroc si la production chinoise qui poursuit son expansion au Maroc venait à attirer l’attention de l’administration Trump? Pour Ahmed Aboudouh, si «l’administration Biden a fait preuve d’une certaine tolérance à l’égard des investissements chinois», le Maroc serait amené à «faire preuve de plus de prudence (…) si cette marge de manœuvre se resserre sous l’administration Trump».