Avec plus de 12,4 millions d’utilisateurs sur TikTok et 11,9 millions sur Instagram, les réseaux sociaux ne sont plus de simples espaces de divertissement, mais des marchés florissants où des milliers de vendeurs échappent aux circuits traditionnels. Vêtements, accessoires, produits de beauté… Ces biens se vendent désormais via des vidéos virales, messages privés et groupes fermés, formant un véritable écosystème commercial parallèle, souligne le magazine Finances News Hebdo dans une analyse dédiée.
Ce boom s’inscrit dans un secteur informel qui représente environ 2,03 millions d’unités de production, dont près de la moitié est dédiée au commerce. Mais, derrière cette explosion spontanée, se cache une organisation numérique sophistiquée, non régulée, qui défie les règles classiques du commerce.
Au Maroc, des vendeurs 100% en ligne, sans site officiel ni statut fiscal, tirent parti de l’agilité des plateformes. Leur arme? La maîtrise des algorithmes et de la viralité, qui leur permet d’adapter instantanément leurs offres aux tendances du moment. «Un modèle repéré le matin dans une vidéo peut être vendu dès l’après-midi», lit-on.
Le cœur logistique de ce commerce clandestin? Telegram. C’est là que se coordonnent commandes, approvisionnements et livraisons, dans un réseau souterrain parfaitement rodé.
Le paradoxe est saisissant: alors que le Maroc dispose d’infrastructures numériques avancées (paiements mobiles, APIs bancaires, plateformes e-commerce), ces outils sont largement boudés par les acteurs informels. Cette fuite n’est pas due à un manque de compétences, mais à une stratégie assumée. Sans contraintes légales, l’informel privilégie la rapidité, la flexibilité et surtout l’opacité, évitant paiements traçables et factures, lit-on encore.
Le e-commerce officiel marocain continue pourtant sa progression avec plus de 41 millions de transactions en ligne au premier trimestre 2023, totalisant 18,3 milliards de dirhams de chiffre d’affaires. En parallèle, le commerce sur réseaux sociaux informels privilégie les paiements en espèces ou via des transferts directs (Inwi Money, Orange Money, Barid Cash), rendant leur activité quasi invisible aux statistiques nationales.
Cette opacité nuit à la protection des consommateurs, sans factures ni preuves d’achat, et plonge ces circuits dans une totale discontinuité avec l’économie formelle. Aucune interopérabilité ne vient aujourd’hui relier ces deux mondes.
Pour Anas Lahlou, consultant en transformation numérique, «le vrai défi n’est pas l’absence d’outils, mais celle d’une architecture ouverte». Cité par Finances News, il précise que ces vendeurs ont créé leur propre système, faute d’une offre formelle adaptée à leur réalité: simple, mobile et rentable. Réguler ce secteur ne doit pas signifier étouffer l’innovation ou la jeunesse entrepreneuriale, mais concevoir des solutions légères, mobiles et interopérables, pensées à leur échelle.
Le formalisme administratif ne freinera pas la révolution numérique informelle. Seule une offre technologique efficace pourra intégrer ce marché en pleine mutation, qui n’est ni un simple effet de mode, ni un chaos désorganisé, mais une transformation structurelle portée par une génération hyperconnectée.