Le ministère de la Justice tient à le préciser: il ne s’agit pas d’une dépénalisation du chèque sans provision au sens strict du terme. Sur le plan juridique, la dépénalisation suppose la suppression du caractère pénal d’un fait. À l’inverse, la réforme conserve l’incrimination et la peine, tout en introduisant une plus grande flexibilité procédurale. «Cette réforme vise à instaurer un régime plus souple qui protège à la fois le souscripteur, le tireur et l’économie nationale, tout en maintenant la protection pénale du chèque», déclare Hicham Mellati, directeur des Affaires pénales, des grâces et de la détection du crime au ministère de la Justice.
Jusqu’ici, l’émission d’un chèque sans provision était lourdement sanctionnée par le Code de commerce, notamment son article 316, qui prévoyait des peines allant d’un à cinq ans de prison et des amendes pouvant atteindre 10.000 dirhams. Cette approche, héritée d’une logique de dissuasion stricte, avait pour effet d’alourdir les peines sans toujours garantir le paiement des chèques impayés.
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«Arrêter systématiquement l’émetteur d’un chèque sans provision avait des conséquences désastreuses: cela paralysait des entreprises, détruisait des emplois et privait le bénéficiaire de toute chance de recouvrer son argent», explique Hicham Mellati. D’où la nécessité de repenser le système en privilégiant des mécanismes favorisant la régularisation plutôt que la répression immédiate.
Une réforme globale du cadre juridique
Le projet ne se limite pas au chèque: il s’inscrit dans une réforme plus large du Code de commerce, incluant la modernisation d’autres instruments de paiement. «La réforme cherche également à introduire la lettre de change tirée sur une banque, afin de renforcer la confiance du public dans cet instrument tout en lui offrant un cadre juridique clair», ajoute Mellati. Cette mesure s’inspire de la circulaire du Wali de Bank Al-Maghrib n° LC 41/DOMC/07 et pose les bases d’un cadre réglementaire robuste pour les instruments de paiement modernes, appelé à être complété, à terme, par des dispositifs encadrant les virements, les prélèvements et les paiements électroniques.
Le principe fondamental de la réforme consiste à maintenir la sanction pénale tout en l’adaptant. Les peines d’emprisonnement passent désormais de six mois à deux ans, assorties d’amendes allant de 5.000 à 20.000 dirhams. «L’assouplissement se situe davantage au niveau procédural: le tireur dispose désormais d’un délai d’un mois pour régulariser sa situation, sous contrôle judiciaire, avant toute incarcération», souligne Hicham Mellati.
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Ce délai peut être prolongé d’un mois supplémentaire, à condition d’obtenir l’accord du bénéficiaire. Si le souscripteur manifeste sa bonne foi et régularise le paiement, la procédure s’éteint immédiatement. «L’objectif est clair: encourager le paiement, pas l’emprisonnement», insiste-t-il.
Un équilibre entre flexibilité et dissuasion
Pour le ministère de la Justice, la réforme ne remet pas en cause la valeur du chèque, bien au contraire. «Certains craignent que l’assouplissement du régime affaiblisse la discipline financière, mais la protection pénale demeure», affirme Mellati. L’approche adoptée se veut donc pragmatique: maintenir le caractère dissuasif du chèque tout en évitant les effets destructeurs de l’incarcération systématique.
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«Nous espérons au contraire rétablir la confiance des citoyens et des commerçants dans cet instrument de paiement, en facilitant la régularisation et en levant les interdictions d’émission de chèque par des procédures simples et moins coûteuses», ajoute-t-il.
Le bénéficiaire au cœur du dispositif
Le bénéficiaire n’est pas oublié dans cette réforme: il reste au centre du dispositif. La nouvelle procédure garantit ses droits tout en lui offrant une certaine souplesse. «Le paiement du chèque peut intervenir à tout moment- avant la poursuite, pendant le procès ou même après le jugement- et met immédiatement fin à la procédure», précise le directeur des Affaires pénales. En cas de refus persistant de paiement, les voies d’exécution forcée demeurent disponibles, assurant ainsi la protection de ses intérêts.
Un modèle inspiré de l’expérience internationale
Enfin, le Maroc s’aligne sur une tendance mondiale consistant à alléger la pénalisation des infractions commerciales tout en renforçant les outils civils de recouvrement. «Plusieurs pays ont opté pour la dépénalisation totale du chèque, d’autres maintiennent la pénalisation, le choix dépend des réalités économiques et sociales de chaque pays», conclut Hicham Mellati. Le Maroc, pour sa part, privilégie une voie médiane: moderniser sans fragiliser, assouplir sans déresponsabiliser, et préserver la confiance dans un instrument clé de la vie économique.








