Le360: Avez-vous une estimation de la demande en main-d’œuvre générée par les projets d’infrastructure liés à l’organisation du Mondial?
Mohammed Mahboub: Le Maroc est actuellement engagé dans une dynamique exceptionnelle de développement des infrastructures, portée par des chantiers d’envergure nationale et internationale. La préparation de la Coupe du Monde 2030, combinée aux grands projets structurants du pays – qu’il s’agisse des infrastructures sportives, des réseaux de transport, des projets logistiques, des équipements urbains ou encore des ouvrages hydrauliques stratégiques – engendre une forte demande en main-d’œuvre.
Il s’agit d’une montée en charge massive, qui sollicite l’ensemble des corps de métiers du BTP, des ouvriers spécialisés aux ingénieurs, en passant par les techniciens et les artisans qualifiés. L’enjeu n’est pas tant une pénurie brutale qu’un besoin croissant et soutenu, qui requiert une adaptation continue du secteur pour répondre aux exigences du marché.
Quelle estimation faites-vous du manque de main-d’œuvre pour ces chantiers?
Il est indéniable que nous faisons face à une pression sur les ressources humaines. L’accélération des grands chantiers s’accompagne naturellement d’une augmentation de la demande en personnel qualifié, un phénomène auquel tous les pays engagés dans des projets d’infrastructure de cette ampleur sont confrontés.
Ce que nous constatons aujourd’hui, c’est un marché du travail qui évolue rapidement et qui nécessite un ajustement constant entre l’offre et la demande. Les besoins dépassent effectivement l’offre actuelle dans plusieurs spécialités, ce qui impose aux entreprises de redoubler d’efforts en matière de recrutement et de formation.
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Cette tension sur le marché ne doit pas être perçue comme une contrainte insurmontable, mais plutôt comme un signal fort de l’activité soutenue du secteur, qui offre de nouvelles opportunités à la main-d’œuvre nationale.
Quels sont les métiers ou spécialités les plus touchés par cette pénurie?
Le besoin en main-d’œuvre touche l’ensemble des métiers du BTP, qu’il s’agisse de profils hautement qualifiés ou de spécialistes des métiers techniques et artisanaux, comme les coffreurs ou les grutiers. L’expertise de chacun est essentielle pour garantir une exécution des travaux alliant précision et efficacité.
Cette situation pourrait-elle impacter la livraison des projets?
Nos entreprises marocaines du BTP ont démontré à maintes reprises leur capacité d’adaptation et leur résilience, notamment grâce à une organisation rigoureuse, à l’optimisation des ressources humaines et techniques et au respect des délais de paiement par les maitres d’ouvrage.
De même, les infrastructures sportives avancent selon un calendrier maîtrisé, et les différentes parties prenantes – entreprises, maîtres d’ouvrage et autorités publiques – sont mobilisées pour assurer la réussite de ces projets stratégiques.
«Le besoin en main-d’œuvre touche l’ensemble des métiers du BTP, qu’il s’agisse de profils hautement qualifiés ou de spécialistes des métiers techniques et artisanaux, comme les coffreurs ou les grutiers, etc.»
C’est un constat partagé par les maîtres d’ouvrage, qui saluent l’efficacité et la capacité d’adaptation des entreprises marocaines. L’expérience récente nous a démontré que, même dans un contexte exigeant, les infrastructures clés du pays sont livrées en respectant les délais fixés. Ce sera encore le cas pour les chantiers liés au Mondial 2030.
Quelles autres conséquences cette situation pourrait-elle avoir?
Outre la pression sur le coût de la main-d’œuvre, cette situation met en lumière un enjeu de fond: la nécessité de revaloriser les métiers du BTP et de renforcer l’attractivité du secteur.
Le renforcement de la formation, tant initiale que continue, est aussi un levier incontournable pour préparer la relève et garantir la montée en compétences des travailleurs.
C’est un défi à la fois conjoncturel et structurel, qui exige une réponse avec une vision à long terme. Au-delà des échéances de 2030, il est essentiel de bâtir dès aujourd’hui un écosystème de formation capable d’accompagner durablement l’évolution du secteur et d’anticiper ses besoins futurs.
Comment les entreprises du secteur s’organisent-elles pour pallier ce manque?
Face à ce défi, les entreprises du BTP marocain mobilisent de façon exceptionnelle leurs moyens humains, matériels et techniques. Elles relèvent cette montée en charge en optimisant leurs ressources, en développant des solutions innovantes et en recrutant activement.
La digitalisation et l’utilisation du BIM (Ndlr: Building Information Modeling ou Modélisation des informations du bâtiment qui est une méthode de gestion des projets de construction, basée sur une maquette numérique 3D contenant des données fiables et structurées) permettent également de compenser en partie cette pénurie en améliorant la gestion et l’efficacité des projets.
Quelles solutions préconisez-vous pour faire face à cette situation?
Pour répondre efficacement à cette situation, il est essentiel d’adopter une approche globale et concertée, qui repose à la fois sur le renforcement de la formation, l’optimisation des dispositifs d’apprentissage et la valorisation des métiers du BTP.
La formation initiale constitue un levier fondamental. D’importants progrès ont été réalisés dans ce domaine, notamment grâce aux initiatives de l’Office de la formation professionnelle et de la promotion du travail (OFPPT) avec le développement des Cités des métiers et des compétences (CMC).
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Aussi, il est nécessaire de moderniser les cursus, en particulier ceux destinés aux ingénieurs et techniciens supérieurs, afin d’y intégrer pleinement les nouvelles exigences du secteur et du monde de l’entreprise : management et gestion de projet, digitalisation, etc.
Et qu’est-ce que vous entreprenez à cet effet ?
Dans ce contexte, l’Institut de formation aux métiers du BTP (IFMBTP) de Fès, dont notre fédération assure la gestion déléguée en partenariat avec le ministère de l’Équipement et de l’Eau, constitue un modèle exemplaire que nous espérons étendre à l’échelle nationale. La formation continue représente également un levier stratégique.
Aujourd’hui, de nombreux freins administratifs et financiers limitent encore l’accès des entreprises aux dispositifs de perfectionnement du personnel du BTP. Il est essentiel de simplifier ces démarches et de garantir un remboursement systématique via les Contrats spéciaux de formation (CSF) afin d’encourager un investissement massif dans le développement des compétences.
«Pour répondre efficacement à cette situation, il est essentiel d’adopter une approche globale et concertée, qui repose à la fois sur le renforcement de la formation, l’optimisation des dispositifs d’apprentissage et la valorisation des métiers du BTP.»
Consciente de cet enjeu, la FNBTP a déjà dédié une structure opérationnelle à la formation continue au sein de son institut IFMBTP de Fès. Par ailleurs, pour répondre de manière plus souple et adaptée aux réalités des chantiers, le déploiement de formations mobiles sous forme de caravanes pourrait être envisagé.
Le secteur pourra-t-il transformer cette menace en opportunité ?
L’attractivité des métiers du BTP constitue un autre défi majeur. Avec l’évolution du secteur vers des pratiques plus innovantes et durables, il est essentiel de mieux communiquer sur ces transformations pour attirer de nouveaux talents et encourager la reconversion professionnelle. Le BTP n’est plus un secteur traditionnel figé, il se réinvente à travers la digitalisation, l’industrialisation des processus et l’intégration de solutions écoresponsables.
Cette situation, bien que complexe, représente une opportunité de structurer durablement le BTP national. Avec une coopération efficace entre l’État, les professionnels du secteur ainsi que les organismes de formation, nous pouvons garantir un secteur plus performant, capable de relever les défis d’aujourd’hui et de demain.
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