Ces agences et établissements publics paralysés par l’inaction du chef du gouvernement

Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch. (W. Belfkih/Le360).

Le chef du gouvernement, Aziz Akhannouch. (W. Belfkih/Le360).

Ils sont censés incarner le bras armé de l’État dans des secteurs clés. Ils portent des stratégies nationales, régulent des marchés vitaux, déploient des politiques publiques d’envergure. Et pourtant, ils sont à l’arrêt, ou presque. Leur point commun? L’absence de Conseil d’administration. Pourquoi? Parce que Aziz Akhannouch, chef du gouvernement, refuse de faire ce que la loi lui impose: présider ces instances. Résultat, des plans d’action en suspens, des budgets non validés, et un appareil d’État pris en otage par un exécutif aux abonnés absents.

Le 10/06/2025 à 08h00

Il y a des dysfonctionnements qu’on peut imputer à la lourdeur administrative. D’autres, à l’incompétence. Et puis, il y a ceux qui relèvent de l’indifférence, de la nonchalance, voire d’un mépris institutionnel presque assumé. C’est le cas de cette étrange léthargie qui immobilise le fonctionnement de nombre d’agences et d’établissements publics marocains. Non, le problème n’est pas technique. Il est politique. Et il porte un nom: Aziz Akhannouch.

Le chef du gouvernement semble avoir pris ses aises avec la loi. À tel point qu’il ne juge pas nécessaire de présider les Conseils d’administration d’organismes dont il a pourtant la charge directe. Or, l’exercice est loin d’être cosmétique: il est inscrit dans le marbre de la loi 69-00. Le Conseil d’administration n’est pas une option. Il est l’organe stratégique par excellence. Il trace la vision, valide le budget, contrôle la gestion. Ne pas le convoquer, c’est créer un vide juridique et managérial. C’est saborder la gouvernance, ralentir des projets, voire les paralyser.

Et ce n’est pas un oubli ponctuel. C’est un système. Les exemples ne manquent pas. Les CRI, censés être les fers de lance de l’investissement régional, ont dû attendre longtemps avant que leurs CA respectifs ne se tiennent. Ironie suprême: c’est le gouvernement Akhannouch qui a réclamé à cor et à cri leur mise sous sa tutelle. Une «réforme» arrachée au ministère de l’Intérieur. Résultat? Pendant longtemps, le chef du gouvernement ne daignait même pas répondre aux convocations.

La CMR (Caisse marocaine des retraites), au bord du gouffre, fait face à un déficit abyssal de près de 10 milliards de dirhams. Les projections les plus optimistes annoncent l’épuisement de ses réserves d’ici 2030. Et pendant que le système s’effondre lentement, on attend toujours que le chef de l’exécutif s’implique, à défaut d’agir. Les membres du conseil en sont venues à supplier Aziz Akhannouch de les honorer par sa présence.

Dans un courrier daté du 22 mai, une véritable pétition lui est adressée pour un CA censé se tenir le 30 du mois. On y précisait que cette session «portera, sous votre présidence, sur des axes stratégiques de grande importance, notamment les états financiers consolidés, le plan d’action de l’institution, le bilan actuariel, ainsi que les orientations visant à renforcer la performance de la caisse dans l’intérêt général». Tout comme il y est indiqué, comme une pique, que cette session «serait la première que vous présideriez dans le cadre de votre mandat gouvernemental actuel», ce qui représenterait une opportunité de renforcer la communication directe entre la Présidence du Gouvernement et les grandes institutions publiques, et de consolider les principes de bonne gouvernance. L’invitation est bien entendu restée lettre morte.

Maroc Digital 2030: l’ANRT en stand-by, la 5G en apnée

Que dire de plus lorsqu’une agence aussi stratégique que l’ANRT, l’Autorité de régulation des télécoms, reste clouée au sol faute de Conseil d’administration? Depuis que Aziz Akhannouch a été nommé chef du gouvernement, il n’a pas présidé un seul CA de cette institution pourtant stratégique. Et ce n’est pas pour régler des broutilles: il s’agit, excusez du peu, de donner le coup d’envoi aux deux chantiers numériques les plus cruciaux de la décennie– l’attribution des licences 5G et le déploiement massif de la fibre optique. Rien que ça.

Pendant que les opérateurs (Maroc Telecom, Orange, inwi) rangent leurs couteaux, mutualisent infrastructures et technologies pour rattraper le retard accumulé, le chef du gouvernement, lui, hésite, tergiverse, temporise. À quelques mois de la CAN 2025, et à moins de cinq ans du Mondial 2030, le Maroc numérique reste bloqué sur l’écran de démarrage.

Ce n’est pourtant pas faute d’avoir une feuille de route. Maroc Digital 2030, produit maison du gouvernement Akhannouch, annonce noir sur blanc un lancement de la 5G en novembre prochain, avec une couverture de 25% de la population dès 2026. Et 70% à l’horizon 2030. Mais voilà: sans Conseil d’administration pour l’ANRT, impossible de délivrer les fameuses licences. Et sans licences, il n’y a ni lancement, ni couverture, ni réseau. Juste des promesses creuses.

Même Fitch Solutions, cabinet d’analyse macroéconomique de référence, n’y croit plus. Dans ses projections, il doute fortement d’un déploiement réel de la 5G dès 2025. Motif principal? L’absence d’attribution de licences, qui «limite drastiquement le calendrier des opérateurs pour tester et installer les équipements nécessaires».

Le plus accablant? C’est que tout est prêt, sauf la volonté politique et cette sidérante inertie du chef de l’exécutif. Le pays n’est pas bloqué par des guerres de tranchées industrielles, ni par un problème de compétences ou de technologies. Il est bloqué par celui qui se présente volontiers comme le facilitateur en chef. À ce rythme, ce n’est plus seulement la performance des établissements publics qui est en jeu. C’est la crédibilité même de l’État qui vacille. Et avec elle, la confiance des citoyens.

Paralysie

Des organismes de cette importance stratégique, pris en otage par l’inaction du chef du gouvernement, il en pleut. Et pas des moindres. Citons, sans trembler, le Fonds Mohammed VI pour l’investissement, censé être le bras armé financier de l’État pour relancer l’investissement productif, et l’Agence nationale de gestion stratégique des participations de l’État (ANGSPE), une structure-clé chargée de revoir de fond en comble la manière dont l’État gère ses participations et gouverne les entreprises publiques.

Deux leviers majeurs. Deux outils qui devraient, en toute logique, être en ordre de marche face aux nombreux défis économiques et industriels du pays. Deux institutions paralysées…faute d’un Conseil d’administration pleinement constitué. Et ce, malgré les alertes, les recommandations officielles et les appels répétés à la mobilisation.

La Cour des comptes, dans son rapport 2023-2024, sonne à nouveau l’alarme. Elle insiste sur l’impératif de parachever la composition des Conseils d’administration de ces deux entités, conformément aux dispositions légales, afin qu’elles puissent enfin «remplir leurs fonctions d’orientation stratégique et de contrôle». Une recommandation formulée en toutes lettres, déjà présente dans le rapport de l’année précédente. En vain.

Car, non seulement les conseils ne sont pas complets, mais, dans bien des cas, ils ne sont même pas convoqués. La gouvernance publique est ainsi réduite à une coquille creuse. Et le mot «stratégie», à un cache-misère. Réactivité, dites-vous?

Le constat s’étend à d’autres pans tout aussi cruciaux de l’appareil d’État. Notamment dans un secteur aussi vital que l’énergie, où les instances de gouvernance des établissements publics brillent par leur irrégularité. Là encore, la Cour des comptes enfonce le clou: entre 2015 et 2023, le Conseil d’administration de l’Office national de l’électricité et de l’eau potable (ONEE), un acteur central dans la transition énergétique du pays, n’a tenu que 5 réunions sur les 28 requises par la loi.

C’est peu dire que la chefferie de l’exécutif gère ses leviers d’action à la petite semaine. A quoi bon des lois, des stratégies, des institutions, des rapports, si tout dépend, in fine, de l’agenda– ou de l’humeur – d’un seul homme? Car pendant que les textes s’empilent, que les opérateurs s’impatientent, que les rapports s’enlisent, le pays, lui, attend. Suspendu à un fauteuil vide, quelque part entre indifférence politique et paralysie administrative. Le Conseil d’administration suprême semble, lui, ne jamais avoir été convoqué: celui de la responsabilité.

Par Tarik Qattab
Le 10/06/2025 à 08h00