La scène se déroule le jeudi 8 mai, vers 15h00, non loin du marché Koréa, à Casablanca. Nous sommes au cœur du quartier populaire de Derb Sultan, autrefois fier bastion nationaliste, aujourd’hui forteresse imprenable du Raja Club Athletic. C’est là qu’un trio, composé d’un homme et de deux femmes, d’apparence ordinaire, a choisi de donner un véritable spectacle, accostant les passants et ne leur demandant rien d’autre que leur temps.
L’homme s’occupe d’interpeller les personnes du même sexe, et il en va de même pour les deux femmes qui l’accompagnent. Objet: solliciter leur avis sur la situation actuelle au Maroc. Ceci, juste avant de se lancer dans une véritable présentation visant à démontrer combien le pays se porte mieux et avance à pas de géant… grâce à un seul homme: Aziz Akhannouch, richissime homme d’affaires, président du Rassemblement national des indépendants (RNI), arrivé premier aux dernières élections législatives, et accessoirement Chef du gouvernement. L’échange est ubuesque. Extrait:
- Grâce à Dieu, tout va pour le mieux au Maroc, vous ne trouvez pas?
- On peut dire ça, mais quel est le propos?
- Regardez comment le pays évolue, des travaux partout, des chantiers transforment les routes, des réformes à profusion, le quotidien des Marocains qui s’améliore…
- Mais encore?
- C’est parce que nous avons aujourd’hui au Maroc un gouvernement qui bosse et un véritable chef de l’exécutif qui ne ménage aucun effort pour améliorer le vécu des Marocains. Il n’y a qu’à voir toutes ces réalisations…
- Comme quoi?
- Les infrastructures, l’aide au logement, la réforme du système de santé, la généralisation de la couverture médicale…
- Oui, mais vous n’allez pas m’avoir sur ce coup. Je sais ce qu’il en est. Ces réalisations, c’est Sidna (le Roi) qui est derrière, et tous ces chantiers ont été lancés bien avant l’arrivée d’Akhannouch.
- Euh… Euh… Évidemment que c’est grâce à l’engagement de Sidna. Mais l’exécution, vous savez, la mise en musique de tout cela, c’est bien l’équipe Akhannouch…
Et l’une des femmes de vanter les mérites du chef du RNI et mettre un terme à l’échange tendu par cette phrase: «Wa Ssi Aziz Dyalna!»
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Des «dialogues» de cette nature, le trio de militants RNI en a eu des dizaines, suivant un procédé qui rappelle drôlement celle… des Témoins de Jéhovah. Nous sommes dans une logique de porte-à-porte pour convertir les futurs électeurs, mais à près de 18 mois de l’échéance. C’est incongru, et surtout interdit par la loi, le démarrage et la fin d’une campagne électorale étant formellement encadrés. On repassera.
Ce qui interpelle, c’est surtout la démarche. Faisant cavalier seul, le RNI et son président font des prochaines législatives une question de vie ou de mort, multipliant depuis quelque temps meetings, opérations séduction et démarchage (presque) commercial. «C’est à croire qu’ils vendent des puces téléphoniques», ironise ce témoin de la scène de Derb Sultan. On imagine aussi ce que seraient les moyens et les méthodes actuellement utilisés dans les zones moins «visibles», comme dans le monde rural.
Le PAM et le PI invisibilisés
La logique questionne tout autant quant à l’effectivité du travail que le gouvernement est censé fournir et dont il se targue. D’aucuns savent qu’un gouvernement en campagne est un gouvernement qui cesse de «bosser». Et encore moins en silence.
À un an et demi des prochaines élections législatives, il serait intéressant de savoir ce que pensent les deux autres partis de la majorité gouvernementale, le Parti authenticité et modernité et le Parti de l‘Istiqlal, laissés ainsi sur le bas-côté et totalement invisibilisés par une campagne très prématurée accordant tous les supposés (et très discutables) mérites de l’actuel mandat gouvernemental à un seul homme, qui se permet au demeurant d’enjamber la loi pour passer devant.