Affaire du Palais Namaskar: la défense de Karim Zenagui déplore un jugement «invraisemblable» et «illogique»

Karim Zenagui et, au second plan, le palais Namaskar, à Marrakech. 

Karim Zenagui et, au second plan, le palais Namaskar, à Marrakech.  . Le360 (photomontage)

La sentence au pénal, prononcée à l’encontre de Karim Zenagui, accusé de tromperie par ses associés qataris dans le Palais Namaskar, va à l’encontre des règles les plus élémentaires du droit des affaires, créant un précédent inédit, aux conséquences graves, selon la défense de l’homme d’affaires marocain. Celle-ci a fait appel.

Le 20/12/2021 à 22h07

Fin novembre dernier, le Tribunal de première instance de Rabat a rendu son verdict dans l’affaire du palais Namaskar de Marrakech, opposant Karim Zenagui à son partenaire qatari, ce dernier l’accusant «d’escroquerie et d’abus de confiance»: l’homme d’affaires marocain a été condamné à trois ans de prison ferme et à verser à son associé, la société ABH Investment Group, détenue par son partenaire qatari, une somme de 95 millions de dirhams. L’expert-comptable, Ahmed Belkhayat, a, lui, été condamné à un an de prison ferme et à verser une somme de 10 millions de dirhams.

A l’énoncé du verdict, les avocats de Karim Zenagui sont tombés des nues. Ils s’attendaient à tout, sauf à une condamnation au pénal, dans une affaire qui concerne un litige purement commercial entre deux partenaires, liés par un contrat, dont chaque clause avait été méticuleusement étudiée par les avocats et les experts des deux parties. Au lieu de cela, ils ont eu droit à une condamnation au pénal, six ans après les faits, concluant que toute la documentation juridique relative à l’opération d’ouverture de capital et de levée de fonds, ayant permis l’entrée du partenaire qatari par voie d’augmentation de capital, avait été fabriquée en vue de les tromper. 

«Un jugement au pénal qui se prononce sur un litige d’ordre et de nature purement commercial qui, à priori, sort de sa compétence, ne peut que venir fragiliser le climat des affaires au Maroc et les politiques d’incitation à l’investissement en créant un précédent inédit», déplore la défense de Karim Zenagui. Celle-ci fait également savoir que cette sentence intervient après que le litige entre les parties a été soumis à plus de 20 procédures judiciaires auprès des tribunaux de commerce de Rabat et Marrakech, qui ont toutes tranché en faveur de la partie marocaine.

Selon la défense de Zenagui, ce jugement au pénal, qui considère la documentation juridique signée entre les parties comme trompeuse, dédouane la partie qatarie et ses conseillers de leurs responsabilités respectives concernant la signature et la validation de la documentation juridique de l’opération, et remet en cause ainsi tout le sérieux et la crédibilité de la formalisation des affaires et du doing business au Maroc.

Pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de cette affaire, il faut remonter à 2014. A cette époque, Karim Zenagui est au Maroc depuis deux ans, où il représente le fonds souverain Qatari Diar, pour lequel il développe et livre un projet touristique d’envergure à Tanger. L’homme d’affaires possède une longue expérience avec Qatari Diar dans la gestion d’actifs touristiques de renom (notamment en France, en Angleterre et au Qatar).

Zenagui reprend l’hôtel NamaskarEn 2014 donc, Karim Zenagui est présenté au propriétaire du célèbre Palais Namaskar à Marrakech, le Français Philippe Soulier, qui avait l’intention de céder son hôtel. Ouvert en 2012, le prestigieux hôtel enregistre d’importantes pertes, estimées entre 15 et 20 millions de dirhams annuellement.

La priorité de Karim Zenagui était alors de rendre le palace viable. En plus d’une situation financière dégradée, ce dernier était à l’époque construit sur un terrain de 6 hectares, au milieu de 12 hectares de terres agricoles non enregistrés, éclatés en 20 titres. Il obtient en plus l’autorisation de construire une quarantaine de villas.

A la mi-2015, Soulier et Zenagui parviennent à un accord. Ils signent un protocole de cession ferme et irréversible de 100% des actions de la compagnie Namaskar et du compte courant au profit de Holt Capital, une société créée à cet effet par Zenagui et dont il est l’actionnaire unique.

Le deal, que Le360 a pu consulter, prévoyait la cession de 786.000 actions de la société Namaskar, détentrice de l’hôtel et de ses terrains non exploités, à Holt Capital, au prix d’un dirham par action, ainsi que la cession de la créance en compte courant de 380 millions de dirhams, qui a été ramenée après négociations à 215 millions de dirhams. Dans l’accord de cession, il est précisé que Holt Capital dispose d’un délai de six mois, renouvelable une fois, pour verser la somme due à Philippe Soulier, pour que la transaction soit définitivement achevée.

La vente est dès lors conclue. Dès ce moment, en juillet 2015, Holt Capital devient propriétaire à 100% de la société Namaskar, avec l’engagement de payer le compte courant une fois que la société décrochera un financement pour développer le projet d’extension de l’hôtel.

Les qataris entrent en scène, un deal est concluPlusieurs mois après l’acquisition, Karim Zenagui a été contacté par un apporteur d’affaire marocain, un certain Hicham Tazi (ou Mohamed Tazi), à l’identité trouble, également appelé Mohamed El Fellouchi, qui travaille pour d’importants investisseurs qataris, lesquels se disent intéressés pour une entrée dans le capital de la société. Les premières discussions sont fructueuses.

La partie qatarie a alors mandaté deux cabinets internationaux pour évaluer le projet: Deloitte Espagne et CBRE UK. Selon ces rapports d’évaluation, que Le360 a pu consulter, le premier cabinet a estimé la valeur de l’intégralité du projet Namaskar à plus de 45,7 millions d’euros, le second a fixé celle du bâti (sans les lots de terrain), à 34,5 millions d’euros. Ces évaluations mandatées par la partie qatarie ont été supervisées par la banque Al Ryan Bank (banque à capitaux qataris, filiale de Masraf Al Rayan) qui a assuré le financement de la partie qatarie. Au final, un accord mutuel de la valeur du projet à près de 30 millions d’euros a été retenu, soit un prix moins important, comparativement aux évaluations réalisées par les deux cabinets internationaux.

Il a ainsi été convenu entre les parties, dans la documentation juridique, d’ouvrir le capital de la société Holt Capital SARL, à associé unique, détenue à 100% par Karim Zenagui et propriétaire de la société Namaskar, à l’investisseur qatari, Hamad Bin Ali Al Attyiah, via sa société marocaine ABH Investment Group, dirigée depuis le Maroc par un certain Salem Ali Al-Jarboui, par voie d’augmentation de capital et l'injection de 20 millions d’euros en numéraire, de manière à porter sa participation à 70% du capital de la société. Le reste, soit 30% des actions, demeurent à Zenagui, fondateur de Holt Capital dont il détenait 100% des actions avant le deal avec les Qataris.

Finalement, début 2016, un pacte d’actionnaires entre les deux partenaires est signé. «Toutes les clauses et les engagements de chacune des parties y ont été méticuleusement étudiés par les experts et les avocats. Rien n’a été laissé au hasard», souligne la défense de Karim Zenagui.

Le pacte d’actionnaires a notamment prévu que la partie qatarie s’engage à participer au financement du projet d’extension, à hauteur de sa quote-part. De son côté, Zenagui s’est engagé à assainir la situation légale du projet et à apurer le foncier, ce qui a été assez rapidement fait. Dès leur entrée dans le projet, les Qataris ont réalisé un gain important, d’environ 120 millions de dirhams, sur la valeur de leur actif, fait remarquer la partie marocaine.

Le pacte d’actionnaires précise également bien que Holt Capital a un protocole de session ferme avec la société Namaskar, et qu’il y a un compte courant à payer à Philippe Soulier. Il stipule aussi que Karim Zenagui reste le gestionnaire de l’hôtel Namaskar, le temps de trouver un opérateur professionnel.

«Tout ceci est parfaitement clair dans le pacte d’actionnaires. Il n’y a aucune ambiguïté. Tout est détaillé», insiste la défense de Zenagui. «Une fois que tout a été signé, les Qataris ont injecté les 20 millions d'euros dans le capital de Holt et le compte courant de Philippe Soulier a été soldé.»

Début des hostilitésToutefois, les premiers couacs entre les deux nouveaux partenaires n'ont pas tardé à apparaître. Les nouveaux actionnaires n’ont pas engagé de fonds pour financer les coûts d’extension du projet, comme le prévoyait le pacte d’actionnaires. «Les problèmes que Karim Zenagui a rencontrés dès lors n’étaient pas dus au partenaire basé à Doha, à savoir Hamad Bin Ali Al Attyiah», précise sa défense, mais «les difficultés ont commencé avec ses représentants au Maroc, qui l’ont malheureusement mal orienté pour en tirer profit et en faire un fonds de commerce, à savoir Salem Ali Al Jarboui et son compère marocain, appelé Mohamed El Fellouchi».

«Des médias peu scrupuleux au Maroc ont véhiculé des fake news visant à faire croire que d’éminentes personnalités de l’Etat du Qatar, comme la Cheikha Moza, figuraient parmi les partenaires, ce qui est absolument faux. Elles ne sont ni partenaires, ni liées à cette affaire, de près ou de loin», fait également savoir la partie marocaine.

C’est à partir de 2018 que les intentions hostiles de AHB se sont clairement manifestées. Notamment lorsque Karim Zenagui a énergiquement protesté contre des agissements de Salem Ali Al Jerbaoui et d’El Fellouchi et ses proches, qui ont séjourné à plusieurs reprises à l’hôtel avec de nombreux invités et invitées, et y ont laissé une ardoise conséquente.

Le ballet des plaintes devant les tribunaux a alors pu commencer. ABH Investment groupe a porté plainte devant les tribunaux de commerce de Rabat, Casablanca et Marrakech, dans l’objectif d’ôter la gérance de l’hôtel Namaskar à Karim Zenagui pour faute grave. En vain. Plus d’une vingtaine de plaintes devant les différentes juridictions commerciales, ont été déposées -sans succès. Une autre plainte a été déposée, cette fois pour escroquerie, toujours au tribunal de commerce, jugée encore une fois en faveur de Karim Zenagui.

Face à cet échec, ABH a déposé plainte à deux reprises au tribunal de première instance de Rabat, pour escroquerie, sur la base des mêmes arguments présentés aux tribunaux commerciaux. A chaque fois, le plaignant a vu ses démarches rejetées, le litige ayant un caractère purement commercial. A la troisième tentative, pourtant, la plainte au pénal a finalement été acceptée.

«Malgré cela, nous sommes restés confiants, car c’est un litige purement commercial, et nous avons déjà eu des jugements en notre faveur, plus d’une vingtaine, prononcés par les différents tribunaux commerciaux», confient les avocats de Karim Zenagui.

Il y a trois semaines, fin novembre 2021, le verdict du tribunal de première instance de Rabat est tombé, le condamnant. Ses avocats ont fait appel, dénonçant un jugement «invraisemblable», qui va à l’encontre de toute logique et des règles les plus élémentaires du droit des affaires.

Ce jugement crée une première dans le monde des affaires, puisqu’il remet en question tout acte sous seing privé établi par des experts et des avocats spécialisés, fait valoir la défense de Karim Zenagui. Une jurisprudence qui pourrait avoir des implications graves sur le climat des affaires. «Nous resterons toujours confiants en la justice de notre pays. Nous sommes convaincus qu’elle oeuvrera en toute neutralité pour atteindre la vérité», conclut sa défense. 

Par Amine El Kadiri
Le 20/12/2021 à 22h07