Nouvelle plainte contre Maroc Telecom: inwi réclame 6,8 milliards de dirhams de dommages et intérêts

Siège de l'opérateur Maroc Telecom, avenue Annakhil, à Hay Riad, à Rabat.

Siège de l'opérateur Maroc Telecom, avenue Annakhil, à Hay Riad, à Rabat. . Maroc Telecom

Le débat autour des pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des télécoms refait surface. L’opérateur inwi vient de porter plainte contre Maroc Telecom devant le tribunal de commerce de Rabat, réclamant 6,8 milliards de dirhams de préjudices, a appris Le360 de sources sûres. Explications.

Le 17/12/2021 à 08h10

Le360 a appris de sources sûres qu’une décision de porter plainte contre Maroc Telecom (IAM) a été actée et validée lors du dernier conseil d’administration de Wana Corporate (inwi), réuni le lundi 13 décembre dernier. Nos sources indiquent que la plainte a été déposée hier, jeudi 16 décembre 2021, au tribunal de commerce de Rabat, réclamant à Maroc Telecom le paiement à inwi d’un préjudice de 6,8 milliards de Dirhams.

Inwi n’en est pas à sa première plainte contre l’opérateur historique. Ce dernier, comme l'ont souligné plusieurs rapports nationaux et internationaux (Cour des comptes, Banque mondiale, etc.), a toujours refusé de mettre fin à ses pratiques jugées discriminatoires, notamment en matière de partage avec les autres opérateurs (inwi et Orange) de son réseau cuivre hérité de l’Etat marocain et ce, malgré les mises en demeure et les avertissements dont il a fait l’objet. Résultat, plus de 15 ans après son ouverture à la concurrence, le marché des services de télécommunications fixes est resté sous l’emprise d’un monopole de fait imposé par IAM, qui s’entête à enfreindre la réglementation régissant le dégroupage de la boucle locale (ADSL).

Cette situation a poussé inwi à déposer, en décembre 2016, une saisine auprès de l’Agence nationale de la réglementation des télécommunications (ANRT) à l’encontre de Maroc Telecom pour abus de position dominante sur le marché du fixe. Parallèlement à cela, inwi a lancé une action en justice, devant le tribunal de commerce de Rabat, demandant 5,5 milliards de dirhams de dommages et intérêts pour le préjudice subi.

Puis, en janvier 2020, dans une décision qui fera date, le comité de gestion de l’ANRT a infligé à Maroc Telecom une amende record de 3,3 milliards de Dirhams. Cette décision a été assortie de plusieurs injonctions soumises à des astreintes journalières pouvant atteindre plusieurs millions de dirhams en cas de non-respect par IAM des stipulations de la décision.

Maroc Telecom n’a pas changé ses pratiques anticoncurrentiellesLe 20 février 2020, le conseil d’administration de Wana Corporate a décidé, sur proposition des administrateurs de la holding Al Mada, de retirer la plainte engagée en 2018 à l’encontre d’IAM devant le tribunal de commerce de Rabat. «Le Conseil d’administration de Wana Corporate ne doute pas de ce que les mesures et injonctions prises dans ce cadre permettront de rétablir une concurrence saine sur le marché des télécommunications, dans l’intérêt des consommateurs et des entreprises et dans le strict respect de la loi et règlementation applicable», avait précisé inwi dans un communiqué, en annonçant le retrait de sa plainte.

«La nouvelle plainte déposée, le 16 décembre 2021, par inwi trouve certainement son explication dans le maintien du comportement anticoncurrentiel de Maroc Telecom sur le marché du fixe et ce, malgré le paiement de l’amende en 2020», souligne un expert ès-télécom qui a requis l’anonymat, interrogé par Le360.

Pour étayer ses propos, cet expert indépendant se réfère aux derniers chiffres rendus publics par l’ANRT, arrêtés à fin septembre 2021, qui montrent que Maroc Telecom continue de s’accaparer plus de 97% de parts de marché des clients ADSL. Autrement dit, la position dominante d'IAM n’a pratiquement pas bougé, plus de vingt mois après le prononcé de la décision du gendarme des télécoms. 

L’amende de l’ANRT représente seulement 2,7% du montant total de dividendes distribués par IAMLe comportement de Maroc Telecom peut paraître choquant à première vue, mais à y regarder de plus près, notre interlocuteur y voit le résultat «d’un simple calcul financier, un arbitrage malsain entre, d’une part, le risque encouru en termes d’amendes payées et, d’autre part, les gains engrangés grâce à la situation de monopole».

«A titre d’exemple, le montant de l’amende payée par IAM en 2020, soit 3,3 milliards de dirhams, représente à peine 2,7% du montant total de dividendes distribués par l’opérateur historique en près de 20 ans à ses actionnaires (120 milliards de dirhams)», indique notre expert, pour lequel le management d'IAM préfère de loin payer des amendes que d'accepter le jeu sain de la concurrence. Ce niveau de rendement, fruit d’un monopole de fait et du non-respect des lois et règlementations en vigueur, est quatre fois plus élevé que celui constaté chez les opérateurs historiques européens, a-t-il ajouté.

Dans un article précédemment paru, Le360 avait pointé du doigt les dangers de cette générosité extrême dont le management d'IAM a fait preuve à l’égard des actionnaires en distribuant chaque année de façon systématique la quasi-totalité des bénéfices. Un exploit, diront certains, qui lui permet de faire fonctionner l’entreprise comme un casino servant les intérêts de ses actionnaires, alors que ses concurrents arrivent à peine à sortir la tête de l’eau pour se maintenir sur le marché.

Mais ce qui frappe plus encore cet expert indépendant, au-delà des torts causés aux concurrents, c’est que Maroc Telecom, par son comportement anticoncurrentiel, prend en otage tout un pays en empêchant le développement des services de l’Internet fixe, pilier du développement économique et social, dans un monde de plus en plus digitalisé. Ce constat rejoint les observations de la Société financière internationale (SFI) qui, dans un rapport publié en octobre 2019, a mis en garde contre les effets néfastes du monopole de Maroc Telecom sur l’ADSL. «Le taux de croissance du secteur des TIC a cependant ralenti au Maroc qui a pris du retard par rapport aux pays qu’il considère comme concurrents dans ce domaine, notamment en termes de pénétration du haut débit (…). Le marché du haut débit au Maroc reste limité aux principaux centres urbains et routes du pays, aggravant la fracture numérique. Le taux de pénétration du haut débit est l’un des plus faibles de la région MENA», indique le rapport de cette filiale de la Banque mondiale.

Il reste à savoir jusqu’à quand l’indéboulonnable patron de Maroc Telecom, Abdeslam Ahizoune, va préférer continuer à payer des amendes, qui pèsent in fine peu sur les dividendes distribués aux actionnaires, au lieu d’accepter le jeu de la concurrence –consubstantiel au développement des TIC dans le pays.

Par Wadie El Mouden
Le 17/12/2021 à 08h10