Il y a trois ans et demi, les 22 et 23 septembre 2021, se tenait à Rabat le colloque «Les femmes et l’art au Maghreb», organisé par l’Association internationale des Critiques d’art (AICA International) et sa section marocaine. Ce jour-là, artistes, critiques, commissaires d’exposition, directrices de centres d’art et de musées, journalistes et universitaires s’étaient réunis afin de débattre de la place des femmes dans le monde de l’art.
Avec pour ambition de valoriser l’apport des femmes dans le processus de dynamisation de la création au Maghreb, par leur engagement et leur innovation dans tous les domaines de l’art ou encore par la gestion des institutions et lieux d’art, ce colloque mettait ainsi en lumière la question de la visibilité des femmes dans l’écosystème artistique des pays du Maghreb mais aussi les difficultés qu’elles rencontrent dans la pratique de leur métier.
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Trois ans plus tard, ce colloque a donné naissance à un ouvrage du même nom, Les femmes et l’art au Maghreb, paru aux éditions Le Fennec et porté par l’AICA Maroc, avec le soutien de la Délégation générale de la Wallonie-Bruxelles Maroc et la structure Archives des Arts.
La voie de l’art, la voix des femmes
Dirigé par Nadia Sabri, curatrice et auteure, présidente de la section Maroc de l’AICA et professeure d’histoire des idées et des arts à l’Université Mohammed V de Rabat ainsi que par Rachida Triki, philosophe et universitaire tunisienne spécialiste d’esthétique et de théorie de l’art, cet ouvrage a nécessité trois années de travail.
Au cours de cette période, les deux autrices ont invité des artistes femmes, commissaires d’exposition, historiennes de l’art, journalistes culturelles et directrices de musées et d’espaces d’art ayant pris part au précédent colloque à s’exprimer sur leurs projets et vécus en tant que professionnelles de l’art.
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Ce projet a ainsi pour particularité de s’éloigner des actes de colloque qui restent souvent des écrits universitaires, réservés à un public académique restreint. Dans cet ouvrage grand public, vingt-cinq contributrices et contributeurs ayant participé au colloque -parmi lesquels Safaa Erruas, Brahim Alaoui, Rita El Khayat ainsi que les deux autrices de l’ouvrage- ont ainsi été invités à développer leurs propos, les approfondir et les documenter.
L’empreinte essentielle du vécu
«L’idée était de permettre à ce réseau initié en 2021 d’être actif, de s’exercer», explique Nadia Sabri, contactée par Le360. L’intérêt de cette publication tient aussi aux témoignages personnels de ces professionnelles de l’art. «La particularité de la ligne éditoriale de cet ouvrage, par rapport au colloque, réside dans le fait que nous avons invité les autrices à s’exprimer davantage sur leur propre vécu, parce que souvent le projet artistique rencontre le projet de vie et que les choix personnels se concrétisent ou accompagnent des projets avec leur lot de difficultés et d’obstacles», explique Nadia Sabri. Cette perspective permet, selon elle, de mieux comprendre comment les choix de ces femmes sont souvent «tributaires d’un certain nombre d’aléas de la vie et très souvent du fait même d’être femme. Car en tant que telle, on est souvent amenées à vivre des situations d’invisibilisation dans le paysage culturel».
Au-delà des frontières, ces récits personnels permettent de mettre en exergue les points communs qui relient ces femmes, unies dans leurs vécus par la géographie, par l’histoire, par une culture et une histoire de l’art commune, souligne l’autrice qui mesure l’importance de ce constat.
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À la fois livre d’histoire, documenté et construit selon une approche scientifique, cet ouvrage multiple se veut aussi «une expression spontanée et très personnelle de parcours d’artistes ou d’actrices culturelles qu’on connaît par leurs travaux, par leurs réalisations, mais qu’on méconnaît parfois par leurs désirs profonds, leurs choix personnels, qui finalement convergent vers les œuvres et vers les décisions culturelles et artistiques qu’elles prennent», analyse l’autrice.
L’authenticité du verbe
L’intérêt de cette démarche réside dans le format de l’ouvrage, qui préserve l’authenticité de la parole et de l’écriture de chaque participant, y compris ceux pour qui l’écrit n’est pas le mode d’expression privilégié.
«Notre travail, avec certaines artistes et actrices culturelles, a consisté en une forme d’accompagnement de l’expression afin de faire émerger la substance réelle de chacune selon son univers, son imaginaire, son langage formel ou encore selon le projet entrepreneurial qu’elle met en place par rapport aux fondatrices des espaces d’art», explique Nadia Sabri, soulignant toutefois l’aspect plus académique des textes signés par des historiens d’art et des critiques.
Pour plus de lisibilité, l’ouvrage de 252 pages comprend quatre cahiers, distinguant ainsi les voix féminines des critiques d’art, les paroles d’artistes femmes, celles des femmes fondatrices d’espaces d’art, tandis qu’une autre rubrique se consacre aux différentes écritures des histoires de l’art au Maghreb.
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Au cœur de cet ouvrage, la confiance mutuelle instaurée entre les autrices et les intervenants est essentielle, car, rappelle Nadia Sabri, «notre rôle est de présenter de la façon la plus pertinente et respectueuse qui soit le propos d’un artiste dont le langage reste visuel». Ainsi, au-delà de l’écriture, ce travail de longue haleine a surtout été nourri de discussions, d’échanges constants autour des projets des intervenants, et étayé par des images, des archives personnelles, des documents dont certains remontent aux années 50.
Un ouvrage essentiel qui reflète la profonde croyance de la Marocaine Nadia Sabri et de la Tunisienne Rachida Triki, en un Maghreb de la culture. Ainsi conviennent-elles, «le rôle des artistes et des intellectuels est de maintenir le lien et les passerelles entre les pays du Maghreb de la culture et leurs acteurs», même lorsque les conjonctures ne sont pas nécessairement favorables. «Notre rôle et notre devoir est de continuer à faire vivre les œuvres des artistes et les propos des intellectuels, des créatrices et des créateurs pour faire émerger une histoire commune à travers leurs différents parcours de vie», souligne ainsi Nadia Sabri.
«Les femmes et l’art au Maghreb»
Sous la direction de Nadia Sabri et Rachida Triki
Éditions Le Fennec, 2025- 252 pages
Prix de vente: 250 DHS / 30 €