Si l’Algérie n’est pas un État chiite, elle reste, le livre «La Pieuvre de Téhéran» le démontre avec force, un partenaire solide du régime des mollahs, le seul désormais après la chute de Bachar al-Assad et le démantèlement du Hezbollah, à la fois relais, terrain de manœuvre et facilitateur de l’agenda iranien en Afrique du Nord, en Afrique subsaharienne, et en France.
La mainmise iranienne ne se limite pas à une coopération militaire ou idéologique. Elle s’étend aussi au champ de l’espionnage et de l’influence. Selon l’ex-agent du contre-espionnage français Matthieu Ghadiri, cité longuement dans le livre, «le lien entre les services secrets iraniens et algériens est historique. Les coups de main d’Alger sont ponctuels, et jamais gratuits». Alger, par exemple, laisse ses services fournir une assistance logistique ou une couverture aux opérations de la force Al-Qods en Afrique et en Méditerranée. Les financements occultes transitent ainsi sans trop de contrôle, par l’Algérie, qui a l’avantage de disposer de lignes aériennes vers l’Afrique subsaharienne, ainsi que d’une toile de points de chute que sont les ambassades.
Mais la plus belle offrande d’Alger aux fanatiques mollahs, dans le jeu cupide, est «sa population diasporique présente en Europe, et notamment en France» que Téhéran exploite depuis des décennies comme une plateforme d’entrée vers la France et l’Europe. L’ouvrage affirme clairement: «Autre cible des mollahs: la diaspora algérienne. Alger étant aligné sur le régime iranien dans son soutien au Hamas et au Hezbollah libanais, la République islamique y voit l’un de ses relais possibles en France».
L’alliance avec le Polisario: la main de Téhéran sur le front saharien
Il y a ce «plus», à savoir le Polisario… Celui-ci occupe une place stratégique, un relais utilisé par Téhéran pour renforcer son ancrage maghrébin et étendre son arc d’influence vers l’Afrique subsaharienne et l’Europe méridionale. Un long extrait de l’enquête cristallise cette présence: «Autre point qui inquiète les professionnels du renseignement : les liens entre les services secrets iraniens et algériens. Il est désormais établi que la force Al-Qods des Gardiens de la révolution islamique assure la formation d’officiers encadrant le Front Polisario dans le Sahara occidental. En contrepartie, Téhéran s’appuierait sur des relais des services algériens dans l’Hexagone pour diffuser des discours pro-Hamas et pro-Hezbollah en France.»

Le Polisario, avec la bénédiction de l’Algérie, comme d’autres groupes armés de la région, est intégré dans l’écosystème opérationnel des services iraniens. Non pas parce qu’il partage la foi chiite ou la vision khomeiniste, mais parce que son conflit avec le Maroc permet à l’Iran d’affaiblir un allié régional des États-Unis, d’Israël et des monarchies du Golfe.
Ce choix n’est pas conjoncturel. Il s’inscrit dans une logique de subversion régionale, au cœur d’un triangle géopolitique où se mêlent l’Algérie, le Sahara et l’Europe du Sud. Le Polisario devient ainsi un levier asymétrique: peu coûteux, non étatique, malléable. C’est une pièce du grand puzzle que les mollahs déploient dans ce qu’ils appellent eux-mêmes «l’Axe de la Résistance» dont l’objectif ultime est la destruction d’Israël.
Le livre qui tire sa force d’une documentation dense, de nombreux entretiens avec d’anciens agents de renseignement et d’opposants iraniens, va plus loin, en dévoilant le troc gagnant-gagnant, car en contrepartie Téhéran s’appuie sur des relais des services algériens dans l’Hexagone. L’Iran offre son savoir-faire militaire, idéologique et logistique au Polisario; l’Algérie fournit, en retour, son réseau et sa couverture pour faciliter la pénétration iranienne dans l’espace francophone européen.
Dans cette dynamique, le Polisario est un vecteur. Un maillon de la chaîne qui relie le Liban chiite aux camps de Tindouf, de Gaza aux campus et ONG pro-mollahs de France. Il permet à Téhéran d’afficher une solidarité tiers-mondiste face à «l’impérialisme occidental», tout en installant des têtes de pont sur la façade atlantique du Maghreb.
Cette instrumentalisation du Front Polisario confirme, selon les auteurs, que «les mollahs ont compris l’utilité des alliances contre nature, avec des groupes marxistes ou nationalistes, au nom de l’anti-impérialisme». Et si le soutien de l’Iran au Polisario est moins visible que celui apporté au Hezbollah ou au Hamas, il n’en est pas moins révélateur. Téhéran infiltre là où le chaos peut affaiblir ses adversaires. Et sur la question saharienne, il sait que la déstabilisation du Maroc est une porte ouverte vers une influence accrue au Maghreb et une pression indirecte sur l’Europe.
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La diaspora algérienne sous influence
Razavi et Montali dressent un tableau glaçant: celui d’une France profondément infiltrée, ciblée, exploitée, jusque dans ses universités, ses médias, ses ONG, ses institutions. Mis à part les Iraniens en France, et une poignée de Français de souche (députés et politiciens, influenceurs/célébrités) ce sont les Franco-Algériens qui représentent la première communauté d’agents-relais, très nombreux, œuvrant dans différents cercles et en particulier l’associatif et le politique. La diaspora algérienne dessine un terrain d’infiltration fertile et de manipulation à haute valeur stratégique. «Dans le grand échiquier de l’influence iranienne en Occident, la diaspora algérienne de France n’est pas qu’un simple pion: elle est un levier», assurent les deux enquêteurs. Ce levier fonctionne à plusieurs niveaux : émotionnel (victimisation historique), politique (soutien à la cause palestinienne), communautaire (appui aux mouvements indigénistes). Et surtout: identitaire.
Le soutien à la cause palestinienne devient un prétexte pour activer des groupes identitaires, musulmans, souvent d’origine algérienne. «L’Algérie est l’un des rares pays qui n’a jamais qualifié le Hezbollah de groupe terroriste», rappelle le livre. Pour les mollahs, cette population nombreuse, souvent en quête de repères identitaires et sensible à la rhétorique anti-Israël, représente un terreau fertile. L’Iran y déploie sa stratégie dans l’ombre. On va retrouver ces Franco-Algériens à la tête d’associations ou de fondations douteuses qui luttent contre le racisme, ou militent pour les droits des banlieues ou pour la Palestine, ou encore dans des groupes d’étudiants ramassés à l’université. Celle-ci est une cible de choix. Alger ne s’y oppose pas. Beaucoup d’étudiants algériens se font embrigader et se convertissent au chiisme en France. L’objectif: faire de cette communauté une caisse de résonance du discours idéologique, anti-occidental et antisémite d’Iran, sous couvert de soutien à la cause palestinienne.
Mais les Franco-Algériens restent de la chair à canon pour l’Iran. Ils seront en première ligne dans les banlieues lors de manifestations. Et les premiers à supporter, dans de faux comptes (ou pas) sur les réseaux sociaux, le terrorisme sous bannière iranienne.
Les infiltrés intellos
Les auteurs notent que «l’université est le premier vecteur de diffusion du récit antisioniste iranien». À Sciences Po, Lyon 2, Lausanne, Barcelone, les relais sont nombreux. Willy Beauvallet-Haddad, un Franco-Algérien, vice-président de l’Université Lyon 2, écrit sur X à la mort du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah: «Il a rejoint le panthéon de nos cœurs». Le Hamas, le Hezbollah, le FPLP: autant de groupes que l’université accueille, invite, défend, dans une confusion intellectuelle qui laisse les mollahs s’engouffrer dans l”agora. Des amphithéâtres sont rebaptisés au nom de la cause palestinienne.
À Lausanne, un étudiant de l’EPFL détourne une entreprise pour acheter des composants de drones pour le compte de l’Iran. À Princeton, un ancien diplomate iranien impliqué dans des assassinats enseigne aujourd’hui.
Le cas d’Elyamine Settoul, maître de conférences, est emblématique. Il participe à une conférence «en hommage à Qassem Soleimani, commandant de la force Al-Qods», sans jamais prendre de distance. Le livre note sur la conférence: «portraits de martyrs, modérateur exalté, vidéos de propagande».
D’autres figures illustrent cette réalité. Shahin Hazamy, «influenceur franco-iranien, né d’une mère algérienne et d’un père iranien», est au cœur du système. Il est décrit comme un «ghetto reporter» actif sur les réseaux sociaux, relayant «sans relâche les positions du Hamas, du Hezbollah et de Téhéran». On le voit «poser sur les marches du ministère des Affaires étrangères iranien à Téhéran, aux côtés de hauts responsables». Il est arrêté en avril 2025 pour «apologie du terrorisme par un moyen de communication en ligne en public». Son sort n’est pas encore fixé par la justice française.
Même profil pour Bashir Biazar, «ancien cadre de la radiotélévision d’État iranienne, installé à Dijon, arrêté en juin 2024». Il travaillait pour l’unité secrète «840» de la force Al-Qods qui «surveillait des opposants iraniens à Dijon et diffusait des éléments de langage favorables à la République islamique». L’unité 840, dit le livre, a «pour mission de planifier des enlèvements et des attentats contre des cibles occidentales».
Rima Hassan, un cas d’école
Autre nom: Rima Hassan. LFI, eurodéputée, née dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, elle incarne une forme d’«interface». Le livre en fait un cas d’école. Elle contextualise le terrorisme, refuse de condamner, et se tient dans une posture victimaire. «Rima Hassan n’est pas une terroriste, mais elle est plus efficace que cela. Elle donne au discours des mollahs une apparence de rationalité, d’humanité même.» Cette attitude est typique: elle «explique pourquoi la bombe explose».
Matthieu Ghadiri est formel: «Rima Hassan, compte tenu de ses origines, de sa personnalité et de son caractère, est sans doute considérée comme une perle rare pour les extrémistes du Proche-Orient, à la solde des services de renseignement iraniens». Et plus loin: «Son champ lexical est très proche de celui des mollahs. Il y a manière et manière de soutenir la cause palestinienne. La sienne présente des similitudes troublantes avec le mode de combat idéologique des islamistes». Les auteurs notent que Rima Hassan participe le 10 mai 2024 à Tunis à une réunion du Forum Maghreb-Machrek aux côtés de cadres du Hamas, du Jihad islamique et du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Ce dernier, proxy direct de Téhéran, est responsable de dizaines d’attentats. Mais Rima Hassan, elle, ne voit là que «des résistants».
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L’affaire Boualem Sansal démontre que ces «agents» de l’Axe de la Résistance ont vendu leur âme au diable. Au Parlement européen, Rima Hassan vote contre la demande de libération de l’écrivain: «Rima Hassan a fait le choix de défendre la position algérienne contre la position française». Tout comme elle défend d’autres positions (famille al-Assad, FPLP, Hezbollah, etc.) contre la position française dont elle est pourtant une élue européenne. Entretemps, Strasbourg est le théâtre du ballet haineux des Algériens qui cherchent à contrer l’offensive des parlementaires: «Des diplomates algériens ont fait le tour des bureaux pour tenter de convaincre les députés européens de voter contre ce texte». Une mobilisation intense, presque désespérée. Et l’ouvrage d’ajouter: «les amendements que Rima Hassan avait déposés reprenaient mot pour mot les éléments de langage du régime d’Alger…»
Un «levier» de l’octopus dans le monde
Ce que «La Pieuvre de Téhéran» révèle avec acuité est un axe Iran–Algérie–Polisario pérenne. Il constitue le bras sud du califat chiite rêvé par Téhéran, une antenne africaine du projet de désordre global piloté par les mollahs. Car si l’ayatollah Khomeini visait une conquête de l’Occident – «mettre la loi coranique en vigueur d’un bout à l’autre de la Terre», disait-il –, ses héritiers ont appris à passer par les marges: par les banlieues, par les amphis, les causes perdues, par les groupes indéfinis et les alliances de la terreur. La pieuvre «est présente en Amérique latine, en Afrique, en Europe, en Asie centrale». Et dans cette géographie du désordre, l’Algérie est l’un des principaux points d’ancrage. Le livre insiste sur une entraide historique, régulière et discrète. L’Algérie fournit une logistique clandestine vers la France et vers l’Afrique subsaharienne, incluant les valises diplomatiques à destination de l’Hexagone pour transporter l’argent iranien, et surtout un accès à cette immense diaspora franco-algérienne – vulnérable, activable, instrumentalisable – qui gangrène la république.
Le Polisario, explique le livre, «n’est ni une cause ni un objectif en soi. Il est un vecteur. » Le soutien militaire apporté par la force Al-Qods aux cadres sahraouis n’est pas l’effet d’un romantisme tiers-mondiste: c’est un investissement stratégique pour déstabiliser le Maroc, avoir un pied dans le Sahel, court-circuiter les monarchies du Golfe et damer le pion au Royaume sunnite dans le flanc occidental de l’Afrique. Et pour les utiliser en les envoyant sur des fronts de guerre chiites: l’exemple des miliciens du Polisario arrêtés en Syrie à la chute de Bachar en est un exemple éloquent.
L’Algérie, elle, offre un multiplicateur à cette hégémonie. Car ses réseaux dans les diasporas, ses leviers associatifs, son inertie anti-israélienne structurelle et sa doctrine diplomatique «tiers-mondiste» sont des adjuvants naturels à la stratégie iranienne. Le discours indigéniste devient un véhicule de la propagande khomeiniste; la cause palestinienne, un cheval de Troie; les ONG «de lutte contre le racisme, des zones grises d’activisme confessionnel pro-iranien», souligne l’enquête. Ainsi s’achève la cartographie d’un empire sans territoire, mais aux mille bras. Une pieuvre, pas aveugle, mais calculatrice. Une pieuvre pour qui la France est une tête de pont, l’Algérie un relais naturel, le Polisario un levier, et l’Afrique une frontière ouverte.
Sur les auteurs
Emmanuel Razavi: grand reporter et réalisateur de documentaires français. Il est spécialiste du Moyen‑Orient pour Paris Match, Atlantico, Valeurs Actuelles et a couvert l’Afghanistan, l’Iran et les mouvances jihadistes avec rigueur. Auteur d’essais, il intervient dans les médias et a témoigné devant une commission sénatoriale en 2025.
Jean‑Marie Montali: journaliste et grand reporter. Ancien directeur exécutif du Figaro Magazine, et rédacteur en chef adjoint du Parisien, il a réalisé de nombreux documentaires pour la télévision («Infrarouge», France 3…). Enseignant à l’ESJ Paris jusqu’en 2025, il est également auteur de livres sur l’histoire contemporaine et d’enquêtes.
«La Pieuvre de Téhéran. Enquête sur les réseaux d’espionnage et d’influence de l’Iran en France et dans le monde», Emmanuel Razavi et Jean-Marie Montali, 240 pages. Éditions du Cerf, 2025. Disponible en précommande au Maroc.












