Animée par le professeur Jean-François Clément, cette rencontre a été l’occasion de rétablir quelques vérités fondamentales au sujet de la genèse de cet édifice qui se dresse en plein cœur du 5e arrondissement de Paris, et qui a vu le centenaire du début de ses travaux célébré lors d’une cérémonie organisée par l’Algérie et la France, mais sans le Maroc, le 19 octobre 2022, en présence d’Emmanuel Macron.
A ce titre, la Fondation Lyautey, présente ce soir-là à Casablanca, a rappelé que cette date du 19 octobre, présentée comme étant celle du début des travaux de la mosquée, était fausse, puisque les travaux avaient déjà été entrepris à cette date et ce, depuis sept mois.
Mais cette conférence était surtout l’occasion de revenir sur la genèse d’un édifice religieux dont la paternité est revendiquée, à tort, par l’Algérie. A travers des coupures de presse, des écrits, des archives et une banque de données iconographies, Jean-François Clément a présenté le fruit d’un travail de recherches fouillé sur l’histoire de cette mosquée et en filigrane, les rapports qu’entretenaient deux des principaux acteurs de la naissance de cet édifice, le maréchal Lyautey et le sultan Moulay Youssef.
La Grande Mosquée de Paris n’est pas la première mosquée de FranceAu détour de plusieurs archives et à la lumière des recherches de Jean-François Clément, on apprend ainsi que plusieurs projets de mosquées avaient été prévus dès le XIXe siècle, sans pour autant aboutir, à une époque où la France colonisait des pays musulmans, à l’instar de la mosquée des bords de Seine, dont les plans furent dessinés par l’architecte Ambroise Alfred Baudry en janvier 1896, mais qui ne verra jamais le jour.
La Première Guerre mondiale, durant laquelle l’armée française compte dans ses rangs des tirailleurs musulmans, va changer la donne avec l’apparition de mosquées dans les casernes et à proximité des hôpitaux. Mais la première véritable mosquée de France sera celle de Nogent-sur-Marne, dite aussi du bois de Vincennes, et qui doit en fait sa construction à… l’Allemagne.
Inaugurée le 14 avril 1916 par Gaston Doumergue, cette première mosquée française a été construite pour contrer la propagande allemande. A cette époque, l’Allemagne, alliée des Ottomans, qui disposait elle déjà d’une première mosquée, la mosquée de Zossen-Wünsdorf, accusait la France d’être hostile à l’islam. Un argument choc qui incita de nombreux militaires musulmans à déserter l’armée française. C’est donc pour prouver sa bonne foi aux goumiers musulmans et enrayer la machine propagandiste allemande que le ministère des Affaires étrangères décida de la construction de la mosquée de l’hôpital du jardin colonial à Nogent, qui reçoit alors des milliers de soldats musulmans en convalescence.
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C’est à El Hadj Abdelkader Ben Ghabrit, directeur de la chancellerie et du protocole de Sa Majesté le Sultan Moulay Youssef et chancelier des ordres chérifiens, que le ministère des Affaires étrangères français, qui finance l’institution, demande alors de la diriger.
La genèse de la Société des Habous et des lieux saints de l’IslamToujours pendant la Première Guerre mondiale, en 1917, le ministère des Affaires étrangères décide de la création, sous son égide, de la Société des Habous et des lieux saints de l’Islam. Présidée par El Hadj Abdelkader Ben Ghabrit, elle est composée de sept membres actifs et de sept membres honoraires représentant le Maroc, le Sénégal, la Tunisie et l’Algérie. Jusqu’en 1922, le seul but de cette société est l’organisation du pèlerinage de la Mecque des musulmans d’Afrique du Nord.
Il n’est alors pas encore question de la Grande Mosquée de Paris qui tombera plus tard sous son giron. Le fait est que cet édifice religieux doit sa création à différents courants qui exercent des pressions sur la France. D’un côté, les anciens combattants non musulmans qui demandent une mosquée et des cimetières pour leurs frères d’armes morts au combat, de l’autre le gouvernement turc qui souhaite un lieu de prière pour ses émigrés en France, au même titre que les Egyptiens, les Syriens, les Iraniens et les Afghans.
Après quelques tâtonnements, il sera confié dès 1920 par le ministère des Affaires étrangères à Abdelkader Ben Ghabrit, en sa qualité de président de la Société des Habous, la construction d’une mosquée à Paris.
Le 30 janvier 1920, le gouvernement français présente un projet de loi portant création à Paris d'un Institut musulman comprenant, une bibliothèque, une salle d'étude et de conférence et d’une mosquée. Ce projet avait deux ambitions, la première étant culturelle, car l'Institut devait être un centre de réunion pour intellectuels qui permettrait de mieux faire connaître la culture musulmane, ceci pour légitimer la subvention accordée à la Société des Habous et des Lieux saints de l'Islam pour la construction de la mosquée (et ainsi couper court à certaines critiques qui invoquaient l'article 2 de la loi 1905 sur la séparation de l'Eglise et de l'Etat selon lequel «la République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte»).
La seconde ambition de ce projet était quant à elle de payer la dette envers les soldats musulmans qui avaient combattu pendant la Première Guerre mondiale.
Le maréchal Lyautey et le sultan Youssef, les deux principaux acteurs du projetC’est au maréchal Lyautey que sera confiée la supervision de la construction de l’édifice. Pourquoi Lyautey? Les raisons sont multiples et parmi celles invoquées, son respect absolu pour le sultan, chef religieux et politique du Maroc ou encore son travail de préservation de l’intimité du culte, en particulier en classant monuments historiques les mosquées et en les restaurant.
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Principale étape de la construction de l’édifice supervisée par Lyautey, son orientation afin d’assurer la bonne direction de la Qibla. Pour se faire, le sultan Moulay Youssef choisit comme maître de cérémonie son chambellan, Thami Ababou, et fait appel à un jurisconsulte formé à l’astronomie, Ben Sayah, un religieux de Fès formé à la Qarawiyine, tous deux envoyés à Paris pour procéder à cette étape décisive de la construction. Le 1er mars 1922, à l’emplacement de l’actuelle Grande Mosquée, Ben Sayah pose une boussole sur une table basse et détermine la direction de la Mecque, afin de rendre licites les prières.
Parmi les grandes dates de la construction de cet édifice, le 19 octobre 1922, qui marque le début des travaux du mirhab et qui donne lieu à une cérémonie présidée par Lyautey, chose dont le maréchal rend compte dans un télégramme au Sultan Moulay Youssef.
Un édifice aux couleurs de l’artisanat marocainLes travaux de l’institut se poursuivent jusqu’en 1926 et il est opté pour une base occidentale et un décor arabo-andalou, réalisé en l’occurrence par 450 artisans marocains, dont des mozaïstes, des artisans du bois principalement venus de Meknès qui réalisent et sculptent sur place les portes et plafonds en bois de cèdre du Moyen-Atlas. Les matériaux décoratifs (tuiles vertes, faïences, mosaïques, fer forgé, plâtre ou gebs) proviennent aussi du Maroc et sont mis en œuvre à Paris par des artisans essentiellement marocains.
L’artisanat marocain se reflète partout dans cet édifice, du minaret, aux fontaines, en passant par les portes et les vasques d’ablution. «Les convergences sont tellement multiples qu’aujourd’hui un Marocain croit entrer dans une mosquée marocaine déplacée à Paris» note Jean-François Clément.
Sans compter que l’Etat marocain utilise l’Institut musulman comme lieu d’exposition permanent à Paris des tapis ruraux marocains, et que le sultan Moulay Youssef procède à des dons, dont celui du grand lustre de fer et de cuivre qui orne la salle de prière et de très nombreux tapis.
La mosquée est enfin inaugurée en 1926 par le sultan Moulay Youssef lui-même, à l’occasion de deux cérémonies, une première civile organisée le 15 juillet en présence du président de la République, et une seconde, le 16 juillet, cette fois-ci exclusivement musulmane. Cette seconde cérémonie est présidée par le seul sultan Moulay Youssef qui dirige, à cette occasion, la première prière de la mosquée en compagnie du cheykh algérien Ahmad al-‘Alawî, créateur de la t’ariqa ‘alawiyya de Mostaganem.