L’art propre, on s’en tape!

Karim Boukhari.

ChroniqueIls ne jurent que par l’art propre: alors qu’ils le gardent, et qu’ils nous laissent le «sale»!

Le 05/07/2025 à 09h00

On va s’arrêter sur deux anecdotes. La première nous emmène à Rabat, scène de l’OLM – Souissi, où le rappeur El Grande Toro a fait un tabac, en clôture de la dernière édition de Mawazine, rassemblant près de 400.000 personnes. C’est tout sauf une surprise. Notre ami Toto a toujours eu un succès fou. Il a tout compris du rap: de l’énergie, du rythme, un habillage à la fois arty et trash, et surtout beaucoup de colère.

Toutes proportions gardées, le rap est à la musique d’aujourd’hui, y compris au Maroc, ce qu’était le punk pour l’Europe et l’Amérique des années 1970. Un énorme coup de griffe à la bonne société, un cri porté par des jeunes «voyous» talentueux et irrévérencieux, dont la plupart ne sont même pas de bons musiciens.

Le succès du punk ou du rap est le fait de la jeunesse et de la grande masse des laissés pour compte, qui ne se retrouvent en rien. On les regroupe grossièrement aujourd’hui à l’intérieur de la «génération Z», celle qui n’a pas connu la vie d’avant.

Tout cela pour vous dire qu’El Grande Toto beugle plus qu’il ne chante. Ce n’est pas un soprano, ni un produit de la Star Academy ou d’un concours de chant. Il ne se prend pas pour le futur Kadhem Saher. Son genre, c’est de vomir sur le conformisme et la bienséance. L’art propre, ce n’est pas pour lui.

«Il y a des gens qui ne comprennent rien au rap, au cinéma, à l’art, à l’amour, et surtout à la colère de la jeunesse»

—  Karim Boukhari

Il se trouve que beaucoup de bien-pensants ne comprennent pas cela et ne l’acceptent pas. Abdelilah Benkirane du PJD l’avait traité de «salgott» (voyou). Il n’est pas le seul. D’autres éminences grises s’arrachent les cheveux et accusent Toto de «détourner la jeunesse (mais de quoi donc?)». Ils s’indignent qu’un «salgott» ait autant de succès et y voient un signe de décadence…

La deuxième anecdote nous emmène à Tanger où le tournage d’un film italien a déclenché l’ire d’une association locale, qui est allée jusqu’à porter plainte. La raison: le tournage d’une scène… de baiser entre les deux acteurs principaux, sur la place du 9 avril à Tanger. Pour l’association, ce baiser de cinéma constitue une violation de la loi et une atteinte aux valeurs de la société marocaine.

Il faut essayer d’imaginer la situation: un tournage de rue, des badauds qui s’attroupent, l’un d’eux court alerter les gardiens de la morale: «Attention, un homme embrasse une femme devant les caméras!». Scandale, plainte… Et puis quoi d’autre? Au Maroc, nous avons désormais une association qui lutte contre les baisers de cinéma. Preuve qu’il y a sans doute beaucoup trop d’associations dans ce pays…

L’anecdote de Rabat et celle de Tanger nous disent, en réalité, la même chose. Il y a des gens qui ne comprennent rien au rap, au cinéma, à l’art, à l’amour, et surtout à la colère de la jeunesse. Ils ne jurent que par l’art propre: alors qu’ils le gardent, et qu’ils nous laissent le «sale»!

Chacun son genre, son truc et les vaches seront bien gardées.

Par Karim Boukhari
Le 05/07/2025 à 09h00