Jean-Baptiste Doulcet, pianiste: «la gratuité du Printemps musical des alizés encourage grandement l’ouverture à la musique classique»

Jean-Baptiste Doulcet, pianiste, improvisateur et compositeur français. (A.Et-tahiry/Le360)

Le 08/05/2025 à 11h47

VidéoAu cours de la 21ème édition du Printemps musical des alizés, récemment clôturée à Essaouira, le pianiste Jean-Baptiste Doulcet a donné un récital d’improvisation au piano à Dar Souiri. Intitulée «Destins croisés», cette performance offrait sa lecture sensible de l’amitié entre Brahms et Schumann. L’artiste revient pour Le360 sur son approche de l’improvisation et sa vision de la musique classique, entre autres.

Pianiste et compositeur multiprimé, Jean-Baptiste Doulcet s’impose comme l’un des artistes les plus singuliers de sa génération. Lauréat des prestigieux concours Marguerite Long et Clara Haskil, il conjugue avec brio musique classique et improvisation, que ce soit sur scène ou dans ses enregistrements. Passionné de musique de chambre, il collabore avec de grands solistes et compose des œuvres jouées sur les plus belles scènes.

Formé au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, il co-dirige aujourd’hui la French Connection Academy au Danemark, une plateforme d’échanges culturels entre jeunes musiciens du monde entier. Après avoir exploré Schumann et Liszt dans son premier album «Un monde fantastique» en 2022, Jean-Baptiste Doulcet a confirmé sa versatilité avec «Søleils blancs» en 2023, un voyage à travers la musique pour piano nordique. Il a d’ailleurs dédicacé des exemplaires au public conquis de Dar Souiri à l’issue de son récital dédié à Brahms et Schumann samedi dernier.

Le360: dans «Destins croisés», vous évoquez l’amitié entre Brahms et Schumann par l’improvisation. Comment traduit-on un lien en musique?

Jean-Baptiste Doulcet: il existe bien des manières de traduire un lien en musique, et pour ma part j’ai choisi l’improvisation, qui permet une forme de narration libre et sensible. C’était d’ailleurs le souhait de Dina Bensaïd, directrice artistique du festival, de créer un véritable récital d’improvisation autour de la relation entre Brahms et Schumann. Bien sûr, on peut également tisser des liens à travers le répertoire existant, en mettant en regard les œuvres des deux compositeurs. Mais l’improvisation offre une liberté singulière: elle permet d’explorer la création, de se plonger dans un style, d’imaginer ce qui a pu exister au-delà des lettres ou des documents connus. C’est un voyage dans l’imaginaire, une tentative de faire émerger ce qui, peut-être, a appartenu à leur quotidien ou à leur relation intime. Improviser, c’est aussi faire revivre les zones d’ombre de leur histoire, avec sensibilité et intuition.

Y a-t-il eu un moment clé dans l’histoire entre Brahms et Schumann qui a inspiré particulièrement votre narration musicale?

Oui, l’histoire d’amour complexe entre Brahms, Clara Schumann et Robert Schumann a été particulièrement inspirante. La dynamique entre ces trois figures emblématiques de la musique, tous compositeurs, a profondément influencé ma narration musicale. C’est une histoire riche en émotions et en passion, qui se reflètent intensément à travers leur musique.

Préparez-vous un certain scénario mental au préalable, ou tout se joue dans l’instant?

La musique vient principalement de manière instinctive pour moi, mais dans le cadre du récital sur Brahms, j’ai établi une trame préalable. Cela m’a permis de sélectionner et d’articuler les moments clés de la vie de Brahms que je voulais explorer en improvisation. Une fois sur scène, l’intuition prend le relais, permettant à la créativité de s’exprimer librement.

Qu’est-ce qui vous a fait voir l’improvisation comme un langage à part entière?

J’ai découvert l’improvisation très jeune, en parallèle avec l’apprentissage du répertoire classique au piano. Pour moi, l’improvisation représente un langage à part entière car elle permet d’exprimer des émotions et des idées qui vont au-delà des mots. C’est un moyen puissant de communiquer avec le public, de partager des histoires et des sentiments à travers la musique.

Jouer dans un cadre comme celui du Printemps musical à Essaouira, change-t-il votre rapport à la scène ou à l’improvisation?

Bien sûr, chaque expérience de scène est unique. Les publics et les ambiances varient selon les pays, et en tant que musicien, on est inconsciemment influencés de tout cela. Voyager et jouer dans des contextes variés enrichit évidemment mon approche de l’improvisation. Et l’esthétique environnante d’Essaouira, est particulièrement inspirante et se reflète inévitablement dans la musique.

Comment vos différentes casquettes artistiques interagissent-elles au quotidien?

Je considère la musique et la culture comme un vaste terrain d’exploration, où la curiosité et essentielle. Chaque jour, j’essaie de découvrir de nouvelles perspectives, que ce soit à travers l’improvisation, l’exploration de nouveaux genres musicaux, ou l’intégration d’influences culturelles diverses à traduire dans mon propre imaginaire.

Comment percevez-vous l’évolution du récital classique aujourd’hui?

L’évolution du récital classique est intéressante car elle devient plus accessible et inclusive. Grâce aux réseaux sociaux et à Internet, la musique classique est désormais accessible à un public plus large, ce qui contribue à briser les barrières socio-économiques traditionnelles. Aujourd’hui on peut écouter de la musique classique sans devoir payer une place chère de concert. Et des événements comme le Printemps musical des alizés, où l’accès est gratuit, illustrent cette ouverture au genre et encouragent la diversité d’audience.

Si vous deviez résumer votre esthétique à un mot, ce serait lequel?

Je dirais que mon esthétique se résume à l’exploration. Cela définirait bien ma démarche artistique, où je cherche constamment à repousser les limites de ma créativité.

Par Ryme Bousfiha et Abderrahim Et-Tahiry
Le 08/05/2025 à 11h47