Avec une carrière musicale entamée très tôt comme pianiste concertiste, Dina Bensaïd s’est imposée comme l’une des figures majeures de la scène classique au Maroc et au-delà. Diplômée du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, elle se produit en soliste dans des salles mondiales. Lauréate de plusieurs concours internationaux, elle collabore avec des orchestres de renom comme l’Orchestre Pasdeloup ou le London Chamber Orchestra.
Aujourd’hui, elle cumule les rôles: directrice artistique du Printemps musical des alizés, directrice générale de la Fondation ténor pour la culture, et première femme à diriger l’Orchestre philharmonique du Maroc, un exploit qui fait d’elle une pionnière dans le monde arabe. À l’occasion de la 21ème édition du festival d’Essaouira, elle s’est illustrée sur scène et en coulisses.
Le360: pourquoi avoir autant reporté la célébration de Brahms?
Dina Bensaïd: Brahms est un compositeur qui me touche profondément, tout comme André Azoulay. Depuis plusieurs éditions, nous avions l’envie sincère de le mettre au centre de notre programmation, mais il fallait attendre le bon moment. C’est un hommage que nous souhaitions aborder avec une réelle préparation, y compris sur le plan émotionnel. Quand une figure nous tient autant à cœur, cela peut prendre du temps avant de trouver la justesse nécessaire pour lui rendre hommage comme il se doit. C’est pourquoi nous avons attendu la 21ème édition du festival pour placer Brahms véritablement au cœur du Printemps musical des alizés.
Quel aspect particulier de sa musique avez-vous cherché à mettre en avant dans la programmation?
Nous avons cherché à explorer différentes facettes de Brahms en le juxtaposant à d’autres compositeurs clés. Par exemple, nous avons mis en parallèle Brahms avec Beethoven pour souligner son héritage musical, et avec Schumann pour mettre en lumière leur amitié et leur influence mutuelle. Également, la mise en relation avec Mendelssohn et Schubert a permis de mettre en relief la profondeur et la diversité de son écriture musicale. Chaque concert était conçu pour contraster Brahms avec d’autres compositeurs, afin de mieux comprendre ses différentes personnalités musicales.
Parlez-nous de votre lien personnel avec Brahms en tant que musicienne.
Brahms occupe une place particulière dans mon cœur de musicienne. Ce qui me touche profondément chez lui, c’est son équilibre unique entre rigueur intellectuelle et émotion débordante. Sa musique possède une profondeur infinie qui transcende les cadres formels, utilisant un large spectre de couleurs sonores et une dense écriture orchestrale. Pour moi, Brahms excelle particulièrement dans la musique de chambre, où chaque instrument joue un rôle crucial dans un équilibre subtil et précieux.
Comment alliez-vous direction artistique du festival et répétitions personnelles?
Cela demande une organisation minutieuse pour rester concentrée à la fois sur ma propre performance et sur la direction artistique. Ma force est cette soif d’être toujours sur scène. Et heureusement j’ai derrière moi toute une équipe dévouée et talentueuse, qui est là pour veiller sur le bon fonctionnement de notre projet.
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Remarquez-vous une évolution des attentes du public souiri pour la musique classique?
Le public souiri manifeste un intérêt croissant et une vraie curiosité pour la musique classique, comme en témoignent l’affluence et l’engagement lors de notre festival. Contrairement à certaines perceptions, la musique classique trouve un écho vibrant parmi les jeunes et les moins jeunes au Maroc. Il y a une véritable écoute et une attention qui grandissent chaque année, ce qui montre que cette forme d’art est de plus en plus démocratisée et appréciée pour sa capacité à offrir un voyage intérieur profond et enrichissant.
Et sur un plan national?
La musique classique a pleinement retrouvé sa place au Maroc et continue de se développer avec un public diversifié et engagé. En comparaison à d’autres régions, nous sommes chanceux de voir un nombre croissant de jeunes spectateurs intéressés par ce genre musical. Il reste encore beaucoup à faire pour démocratiser davantage la musique classique et la rendre accessible à tous. Cependant, je suis optimiste quant à son avenir au Maroc, surtout grâce au public qui nous aide dans ce militantisme.
Si vous pouviez décider de l’émotion que le public retiendra après ces 4 jours de festival, vous voudriez que ce soit laquelle?
Chaque auditeur vivra une expérience unique et personnelle en écoutant Brahms et les autres compositeurs au festival. Je souhaite simplement que chacun trouve en cette musique une résonance qui éveille en lui des émotions profondes et variées: que ce soit la tendresse, la passion, la révolte ou simplement une paix intérieure. L’essentiel est que chacun puisse vivre ce voyage musical avec liberté et sans jugement, en laissant parler son cœur et son esprit.