Après avoir inauguré sa carrière d’écrivaine avec la pièce de théâtre «Nos mères», Fedwa Misk, journaliste de métier, vient de donner naissance à un nouvel ouvrage. Il s’agit de la bande dessinée «Des femmes guettant l’annonce», réalisée à quatre mains avec la scénariste et dessinatrice française Aude Massot, dont la parution est prévue pour le 3 avril prochain (en France) aux éditions Sarbacane.
La fiction, s’étendant sur 160 pages, prend pour sujet central la question, sensible s’il en est, des grossesses non désirées et de l’avortement. Le tout sur un ton que l’autrice voulait «porteur d’espoir», à travers le périple de trois femmes en quête de libération et de liberté.
Le360: Pourquoi avoir choisi comme sujet les grossesses non désirées dans cette bande dessinée?
Fedwa Misk: Tout simplement parce que ce sujet est rarement abordé en littérature, si ce n’est dans quelques passages qui, à mon sens, ne transmettent pas la réalité de la question de l’avortement, des souffrances des femmes et de leurs besoins.
C’était quelque chose qui me manquait personnellement en tant que femme et en tant qu’autrice engagée pour les droits des femmes. Après, il y a un événement qui m’avait particulièrement marqué. J’avais assisté à une négociation qui s’était mal déroulée autour d’une intervention d’interruption de grossesse. Cela m’a poussée à réfléchir au destin de cette jeune femme qui avait simplement besoin d’aide, mais qui ne pouvait pas se permettre financièrement cette intervention, sans oublier toute la pression qui s’exerçait sur elle.
Et quand Aude Massot m’a proposé de travailler ensemble, je me suis dit que j’avais envie de parler de cette histoire, mais de ne pas en parler de manière très dramatique, mais avec un accent d’espoir.
«S’il y a humour, c’est de l’humour de situation, mais le sujet en lui-même est extrêmement sérieux et doit être traité en conséquence.»
— Fedwa Misk, journaliste et écrivaine.
Peut-on faire montre d’humour autour d’un thème aussi sérieux, voire dramatique, que l’avortement?
Justement, on voulait préserver cet espoir. On se dit toujours que les choses changent, surtout avec toutes les révisions des lois autour de la condition des femmes au Maroc, et nous avons forcément cet espoir-là. Le but n’était pas d’écrire quelque chose de dramatique, de lourd, qu’on ne pourrait pas finir.
Le trait d’Aude Massot ne se prête pas à quelque chose de sombre. Mais il faut lancer, s’il y a humour, c’est de l’humour de situation. Les situations peuvent être drôles, mais le sujet en lui-même est extrêmement sérieux et doit être traité en conséquence.
«Des femmes guettant l’annonce», c’est le récit d’un road-trip, d’un parcours initiatique?
Le livre s’ouvre sur un avortement qui se termine mal, avec l’une arrestation de médecins et le décès d’une patiente, le tout suivi d’un débat national. Bien sûr, tout cela n’est que pure fiction. Ce qui se passe automatiquement dans ce type de situations, c’est que les médecins prennent peur et n’osent plus pratiquer une telle intervention.
On se retrouve alors avec trois personnages à la recherche d’une solution et qui, pour éviter la source du problème et le bad buzz, s’éloignent de la grande ville et tentent de la trouver dans une petite ville, puis dans un dispensaire situé dans un coin perdu.
Elles sont en train d’errer sans réel espoir. Ce n’est pas un voyage vers une destination connue. C’est aller toujours plus loin dans un processus difficile. Et tout au long ce voyage, leur ouïe reste dressée dans l’attente de cette déclaration de la commission et du conseil de gouvernement qui est censée apporter une solution. Elles guettent, comme le dit le titre, cette annonce qui va venir. Ou pas.
«Ce livre, je l’ai écrit pour le Maroc et je voudrais que son sujet soit aussi débattu dans mon pays.»
— Fedwa Misk, journaliste et écrivaine.
L’album sera-t-il diffusé dans les librairies marocaines?
La bande dessinée est actuellement disponible en pré-commande, et elle sortira le 3 avril en France. J’ai négocié avec l’éditeur un prix préférentiel pour le Maroc, parce qu’il faut savoir qu’une BD, c’est très lourd à réaliser. Je ne remercierai jamais assez Aude pour toutes les modifications qu’elle a bien voulu apporter, parce que c’est vraiment un travail très difficile. Un bédéiste doit dessiner tout le storyboard et ensuite repasser pour faire tous les dessins et les couleurs. C’est un travail énorme. Nous y avons consacré près de deux années.
Le résultat est un gros pavé de 160 pages, pour lequel nous avons réussi à négocier un prix de 150 dirhams au Maroc (contre 24 euros en France, NDLR). Ce livre, je l’ai écrit pour le Maroc et je voudrais que son sujet, qui me tient particulièrement à cœur, soit aussi débattu dans mon pays.