Les Marocains lisent peu, c’est connu. Certains historiens lient ce retard à l’implantation tardive des imprimeries au Maroc. Hypothèse intéressante, qui s’appuie sur les rapports contrastés que la France a pu avoir avec ses protectorats et colonies dans le Maghreb et ailleurs, mais qui n’explique pas tout.
Si le retard historique de l’écrit a été un frein qui a pu ralentir la lecture, il y a longtemps que ce frein a été levé, alors le retard n’a jamais été rattrapé. Pourquoi alors? Et, surtout, que peut-on y faire?
Mettons de côté le contexte mondial, marqué par le recul de la lecture des livres et des journaux, et restons sur le Maroc. Le monde a ses raisons et son histoire, nous avons les nôtres. Oublions aussi les livres scolaires où il s’agit, pour le dire crûment, «d’avaler et de recracher». Allons vers les livres qui installent la culture du doute et la culture tout court, les livres qui font grandir plus vite que le temps et aident à mieux dormir, à vivre moins idiot.
Personnellement, j’ai une solution toute faite. Profitons de l’AMO (assurance maladie obligatoire), qui couvre désormais la majorité des Marocains, et considérons nos très faibles taux de lecture comme une maladie. Les livres deviennent des médicaments comme les autres, parfaitement remboursables. Après la pharmacie, voire avant, faisons un tour chez le libraire et achetons cette autre catégorie de médicaments aux vertus thérapeutiques assurés: la littérature! Elle soigne et répare les esprits. Elle développe les facultés cognitives des jeunes et prolonge la productivité des moins jeunes.
Et c’est moins cher que certaines amphétamines, et surtout dénué d’effets secondaires!
Car rien n’est plus triste, et surtout improductif, qu’un homme esseulé qui ne lit pas. Que lui reste-t-il pour s’entretenir? Sur quel muscle s’appuiera-t-il?
«L’idée est de donner la meilleure motivation possible pour inciter à (faire) lire: l’argent. Lisez et vous serez remboursés! Lisez et vos enfants seront plus riches!»
Dans son dernier essai, au titre malicieux («La littérature, ça paye»), l’académicien Antoine Compagnon tente de nous expliquer que les livres constituent une sorte d’investissement. Pour les parents, voire pour l’État. Il nous dit à sa manière: «Cultivez vos enfants, un sportif ou un mathématicien cultivé gagnera toujours plus d’argent que les autres».
Faire rembourser les livres par la sécurité sociale, les considérer comme des placements avec la promesse d’un retour sur investissement, sont évidemment des utopies. Elles peuvent faire sourire. Mais l’idée est de donner la meilleure motivation possible pour inciter à (faire) lire: l’argent. Lisez et vous serez remboursés! Lisez et vos enfants seront plus riches!
C’est un dernier recours. Mais il y a un avant-dernier, que je recommande à tous les parents…
L’un de mes amis n’arrête pas de parler de son fils, un pré-ado accro aux jeux vidéo et à la PlayStation. «Cet enfant me rend fou, il ne fait que jouer, jouer… Je suis prêt à tout donner pour l’inciter à ouvrir un livre!». Noble intention. Mais mon ami a arrêté de lire depuis une vie au moins. Chez lui, il n’y a ni livres, ni journaux. Il y a bien un vieil exemplaire du Coran, mais c’est surtout pour «protéger contre le mauvais œil».
À la maison, le père passe donc son temps à surfer sur le Net et à partager blagues et vidéos salaces avec ses amis. En bref: il joue! Viendra certainement un jour où l’enfant dira: «Et toi papa, pourquoi tu n’as jamais ouvert un livre?».