Cet essai de 185 pages convient à tous les lecteurs, surtout les jeunes. Il traite avec un langage simple et sans ampoules conceptuelles ni jargon sophistiqué de plusieurs questions sociales et de droit musulman qui nous interpellent au quotidien. Peine de mort, avortement, enfants nés hors mariage, liberté de religion, relations sexuelles hors mariage, etc. L’auteure Asma Lamrabet évoque des questions sensibles et litigieuses en cherchant à instaurer un débat d’idées favorable, sans verser dans la provocation et en gardant dans ses pages la rigueur nécessaire à toute recherche en sciences humaines.
Cette tension de la querelle est instaurée dès lors que l’on compare ou l’on juxtapose le référent religieux à l’universalisme: «Quand on parle de valeurs des droits humains universelles et de référentiel religieux, cela sous-entend généralement la classique opposition, assez essentialiste, entre ce qui est au fond représentatif d’un côté de la modernité et de l’autre de l’islam comme constante fédératrice» (pp.12-13). Des débats nécessaires, mêmes passionnés. Il s’agit, dit l’auteure, de clarifier, de rectifier, mais aussi souvent de dénoncer. Une majorité de traditions et d’argumentations que l’on utilise aujourd’hui comme référentiel religieux, dit l’essayiste, ne sont que des interprétations humaines produites par des exégèses à l’époque médiévale notamment, dans un milieu social et culturel donné. Ce livre de Asma Lamrabet permet aussi de pointer plusieurs constructions argumentatives religieuses à la marge, et parfois à l’encontre, précise-t-elle, du texte sacré du Coran. L’intérêt de «Islam et libertés fondamentales» est d’apporter des démonstrations que le Coran est plus ouvert, égalitaire et proche des libertés fondamentales universelles qu’il n’y paraît.
Ainsi, dans un beau chapitre d’une vingtaine de pages consacré à la «Liberté de religion», l’essayiste écrit: «Dans le Coran, première source islamique, on trouve dans différents passages des notions qui évoquent de façon très claire le droit à la liberté religieuse, depuis la claire prescription de la liberté de choix quant à la voie religieuse à suivre (minhajan), jusqu’au refus d’imposer une quelconque contrainte religieuse (ikrah), en passant par les innombrables références à la nécessité du respect et de l’indulgence mutuels (ma’ruf) envers les autres religions et croyances, ou à la libre responsabilité individuelle dans le rapport au religieux (wizn, niya).» (p.48) Elle décortique les passages du texte coranique laissés en friche par les traditions et les exégèses et apporte toutes les preuves qui confortent l’universalité des libertés fondamentales.
Cette médecin biologiste, qui a dirigé jusqu’en mars 2018 le centre d’études féminines affilié à la Rabita mohammadia des ouléma du Maroc, aborde ainsi la question de la peine de mort: «Est-ce vraiment l’Islam dans sa composante spirituelle et éthique qui pose problème, ou un imaginaire socio-culturel et politique construit à travers l’histoire?» (p.65) Militant contre la peine de mort, le Coran semble associer, dit l’auteure, ce châtiment à des moments historiques précis et révolus, par contre il propose presque toujours une panoplie d’autres sanctions légères et enjoint toujours à la miséricorde (rahma). Cette apparente opposition entre fiqh et droits humains s’est édifiée en dehors du fondement éthique du texte sacré.
Une dizaine de sujets polémiques de société sont étudiés à la loupe dans cet essai majeur, en puisant toujours ses raisonnements et ses références dans le texte sacré musulman. La collection «Les questions qui fâchent», animée par Kenza Sefrioui aux éditions En toutes lettres, a pour vocation de susciter le débat en donnant la parole à des auteurs innovants dans la pensée. Ce livre s’inscrit dans une tradition argumentative qui manque cruellement dans l’agora publique. Asma Lamrabet est l’une des voix majeures de la pensée réformiste en islam. Ses prises de position courageuses lui ont valu une levée de polémiques de la part des ultraconservateurs.
Elle est l’auteure de plusieurs ouvrages en langue française, notamment «Islam et femmes, les questions qui fâchent» (2017, Prix Grand Atlas, éditions En toutes lettres et repris par Gallimard en Folio Essai). Asma Lamrabet a également reçu en 2012 un prix en sciences sociales, décerné par l’Arab Woman Organization (l’Organisation de la femme arabe) pour son livre «Femmes et hommes dans le Coran: Quelle égalité?» (éditions AlBouraq).
«Islam et libertés fondamentales», 185 pages. Éditions En toutes lettres, Collection «Les questions qui fâchent», 2023. Prix public: 95 DH.