Un malheur indifférent*

Famille Ben Jelloun

ChroniqueAyant un enfant trisomique, je sais mieux que quiconque les difficultés, les galères, les épreuves, les angoisses que traversent les parents avec un enfant né avec un chromosome en trop.

Le 16/01/2023 à 10h59

Aéroport de Nouasseur. Je faisais la queue pour embarquer pour un vol vers Paris. Devant moi, une dame entre quarante et cinquante ans. Une femme à l’apparence modeste, assise dans un fauteuil mobile. Dans ses bras une petite fille. Sur ses genoux une autre petite fille, des jumelles d’un an environ. Elle attendait un agent pour la faire embarquer avant les autres. Normal. Ce qu’il y avait d’extraordinaire, c’était l’aspect physique des petites filles. Elles sont toutes les deux nées avec une trisomie 21. Dans le langage vulgaire et insultant, on appelle ces naissances des «mongoliennes». Là, tout le monde comprend. Dans les pays anglo-saxons on dit «atteintes du syndrome de Down».

La trisomie 21 est une aberration génétique. Voici comment elle est expliquée par la médecine:La trisomie 21 résulte d’une anomalie génétique: normalement, l'homme possède 46 chromosomes organisés en 23 paires. Dans la trisomie 21, le chromosome 21 est en trois exemplaires au lieu de deux. Le chromosome 21 est le plus petit des chromosomes, il compte environ 255 gènes.

Cette anomalie se produit souvent chez les femmes de quarante ans et plus. C’est apparemment le cas de la dame aux jumelles.

Ayant un enfant trisomique, je sais mieux que quiconque les difficultés, les galères, les épreuves, les angoisses que traversent les parents avec un enfant né avec un chromosome en trop.

Durant le voyage, je n’ai cessé de penser à cette femme. Je me disais où est le mari? Où est le frère ou le cousin pour l’aider durant le voyage. S’occuper de jumeaux ou jumelles sans anomalie est un travail très prenant. Quand il s’agit de jumelles trisomiques, le travail ressemble à une double peine.

Normalement, cette femme aurait pu éviter d’accoucher de ces deux petites filles. Mais je pense qu’elle n’est pas du genre à aller contre la volonté de Dieu. Je ne la connais pas. Mais je sais que des analyses poussées peuvent, durant la grossesse, alerter la maman sur ce genre de cas. Encore faut-il qu’elle accepte d’avorter à temps. C’est le choix de chacune des femmes. Nous n’avons pas à les juger.

Le fait est que chez nous, il existe peu d’infrastructures pour accueillir et aider ces familles.

«Un malheur indifférent*». C’est le titre d’un livre de l’écrivain autrichien Peter Handke, Prix Nobel 2019. Il raconte l’histoire d’une vie déserte, où il n’a jamais été question de devenir ou de faire quoi que ce soit. Une vie sans désirs, sans ambition, sans possibilité d’exister et d’être comme les autres.

Ce titre est aussi celui d’un autre livre, celui qu’un écrivain français a consacré à son enfant né avec un gros handicap.

Tout handicap, quelle que soit sa gravité, est un malheur qui frappe et contre lequel on ne peut pas grand-chose, si ce n’est d’accepter et de faire de son mieux pour que l’enfant vive sans trop souffrir.

Certains handicapés arrivent à s’en sortir et à avoir une vie presque «normale». Ils ne sont pas nombreux. Ceux-là, ils vivent malgré tout en étant autonomes et font oublier leur handicap.

Les autres, surtout les handicapés à difficulté lourde, mentalement et physiquement, sont une charge écrasante et perturbante pour la famille surtout quand tout espoir d’amélioration s’avère impossible.

Je connais plusieurs familles dont la vie s’est pratiquement arrêtée avec la naissance d’un cas difficile que la médecine n’avait pas pu prévoir durant la grossesse. Tout le monde se mobilise pour que cet enfant qui grandit puisse avoir un semblant de vie. Mais pour cela, il lui faut du personnel pour lui faire sa toilette, l’habiller, comprendre ce qu’il essaie de dire, le faire manger, le soigner, etc.

J’ai participé il y a une vingtaine d’années à un colloque tenu à Casablanca sur le problème du handicap. Seules les personnes concernées étaient présentes. Les autres, même s’ils ont un brin de sympathie, ne font rien. Et que peuvent-ils faire? Comme écrit l’anthropologue Charles Gardou, père d’une fille affectée d’une maladie rare et handicapante, «il n’y a pas de vie minuscule».

C’est à l’Etat de s’occuper de ces cas.

La mère s’était assoupie, probablement de fatigue. Les petites filles riaient, pleuraient, jouaient avec des poupées.

Je ne sais pas si l’information existe au Maroc, si les gynécologues préviennent leurs patientes de la possibilité de faire un examen pour éviter d’avoir une naissance avec des handicaps. Si tel est le cas, l’avortement devient une nécessité. Mais, certaines familles s’y refusent pour plusieurs raisons.

Les pays européens prévoient un ministère du handicap, avec un budget conséquent, des lois et des structures pour aider les familles. La France a voté beaucoup de lois, mais dans la pratique, elle est moins efficace que la Belgique ou la Suède.

Quelle instance, chez nous, est en charge de ce «malheur indifférent»? Les familles n’en parlent pas. Il existe des associations, mais elles sont insuffisantes et sans aide importante. Tous ceux qui sont concernés par l’existence d’une naissance avec des anomalies se débattent seuls pour assurer à leur enfant un minimum de vie dite «normale». Les difficultés restent cependant énormes. Et les familles vivent dans une solitude immense.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 16/01/2023 à 10h59

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PS: Pour devenir membre d'une association pour handicapés il faut payer une cotisation pour ne rien en tirer finalement si ce n'est on vous demande de participer au téléthon annuel. Une abération encore une autre fois. D'ailleurs je n'ai jamais renouvelé mon adhésion dans une telle association malgré qu'à sa tête se trouve une professeure en médecine.

Aujourd’hui pour faire une visite chez le médecin je suis obligé de mobiliser toute la famille (ma femme et mes enfants) pour m’accompagner voire me porter en cas de présence d’escaliers. Pour avoir un papier administratif je suis obligé de graisser la patte pour bénéficier de facilités qu’en principe une loi absente devrait m'octroyer. Tout me revient tellement chère dehors et tellement difficile d’accès, par manque d’infrastructure, au point que je suis obligé de rester à la maison plusieurs jours d'affilés. Sans mon téléphone et le wifi qui m’occupent toute la journée, je me demande ce que je serais devenu. Je ne suis pas ici à la recherche de la compassion ou de l’aide mais pour dire que la loi qui régit les droits des handicapés doit en fin voir le jour.

Ayant contracté un crédit avant mon départ en invalidité, je continue aujourd’hui après dix ans de payer les échéances, alors que je suis couvert par une assurance maladie et vie. La compagnie d'assurance refuse le remboursement de mon crédit en invoquant l’antériorité de la maladie. De quel droit pouvions nous alors parler et à quel droit pouvions nous s’en tenir ? Vous avez parlé de parents d’enfants lourdement malade mais imaginez un peu la souffrance des enfants lorsque cette fois ci, c’est un parent qui est lourdement malade. Il n'y a ni loi, ni structure, ni infrastructure rien que dalle. Je n’arrive même à faire un petit pas dehors en raison de l’absence d’infrastructure. En plus de cela, il n’y a aucune aide de quelque nature que ce soit pour les handicapés au Maroc. A suivre

Je comprends parfaitement la souffrance des gens qui ont une personne atteinte d’un handicap dans leur famille car moi-même je suis une personne à mobilité réduite. Je suis atteint d’une dégénérescence musculaire à caractère héréditaire. Ayant un diplôme d’une grande école j’ai décroché un bon poste dans une grande boite. Après 21 ans de service la maladie a fini par prendre le dessus. J’ai demandé à mon employeur un départ en invalidité et la liquidation de ma situation qu’il m’a d’ailleurs accordé sans grande difficulté. En dépit de ma maladie j’ai dû payer des impôts à l'état sur mes droits de départ anticipé qui avoisine 40 % sur mon solde tout compte. J’ai beau faire des réclamations en mettant en avant mon handicap sans succès. A suivre

En effet, l'handicap physique ou mentale, c'est une louuuuuurde charge.

Bjr M.Benjelloun.Je ne sais pas si c'est juste,mais il paraît que la trisomie est causée par le mariage consanguin.D'ailleurs notre prophète sidna Mohammed(p et s de Dieu soient sur lui et les siens)nous a mis en garde dans le hadith:"احذروا العرق فان العرق دساس" Cependant des accidents génétiques se produisent pendant la grossesse pour les autres mariages alors il faut faire des analyses auparavant pour éviter d'avoir un enfant trisomique qui va lui-même souffrir et faire souffrir tout le monde autour de lui.Cependant certains parents prennent leur mal en patience et élèvent leurs enfants malades du mieux qu'ils peuvent.Il y a même des enseignants merveilleux qui les aident.Et bien sûr il y a des patrons qui leur offrent un travail avec un salaire.Merci d'avoir pensé à ces enfants.Salut!

C’est aussi à l’État de s’occuper du parent en détresse et lui venir en aide. Ajouter ASD, T1D toddler et d’autres anomalies. On ne peut faire la passe des individus ayants des besoins spéciaux et prétendre au développement. À prendre cela au sens littéral. Considérons l’exemple de l’ingénieur. Il prête attention davantage aux jonctions et aux zones sensibles de la structure. Autrement, l’édifice s’écroule à la moindre secousse. Une société est une structure. Ayant compris cela, on réalise qu’il s’agit plus d’un impératif que d’une matière de bienfaisance condescende. L’État fut fondé pour affranchir l’individu et lui garantir sa dignité. Or, de nos jours il s’avère à tort pas plus qu’un épicentre des rapports de forces où l’individu s’efface devant le lobby économique.

Mon fils est né avec une condition génétique rare appelée “Cri Du Chat”. Il a 21 ans mais l’âge mental d’un enfant de 12 mois. Il ne parle pas et ne peut faire que quelques pas en marchant. Il doit être constamment accompagné pour toutes ses tâches quotidiennes. Mais il a eu la chance (si je peux le dire) d’être né aux États-Unis, le pays où tout est mis pour suivre et même prendre en charge les personnes handicapées. Sa mère et moi, nous aurions tant voulu retourner au Maroc pour y prendre notre retraite mais nous ne pouvons le faire car nous ne pouvons pas imaginer notre fils vivre au Maroc avec sa condition. Pas de support, peu d’associations, des infrastructures quasiment inexistantes mais aussi des superstitions de gens qui voient dans ces enfants une malédiction contagieuse!

Ce n'est pas facile, effectivement. Je ne sais quoi dire. Je ne sais pas. L'état doit faire quelque chose pour soulager ces familles.

La politique de gestion des Handicapes est le signe Majeur de développement d'un Pays ! Nous avons tous dans notre entourage des familles modestes ignorées avec enfants trisomiques qui luttent en silence... triste constat et Merci

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