Du temps du Protectorat, il y a un siècle, Casablanca a été le laboratoire du Maroc. Elle l’est toujours. Qu’est-ce qu’un laboratoire? C’est un endroit où l’on teste des choses, on tente des expériences. Pour voir ce qu’on peut prendre ou laisser.
Essayons avec les Casablancais: si ça prend avec eux, ça prendra ailleurs. L’idée est à peu près là.
Oui, mais si ça explose? Eh bien, Allahou Akbar, Dieu est grand, on n’y pourra rien changer.
Quand on est précautionneux, on commence par tester dans les petits ensembles, pour réduire les risques. Quand on teste tout de suite dans les grands ensembles, c’est qu’on n’a pas trop le choix. L’entreprise devient à la limite insensée, mais il faut ce qu’il faut. Pas le temps d’attendre.
Il y a un dicton marocain fameux, qui dit: «Dès le premier jour on tue le chat». Façon de parler, bien sûr. Il n’est pas question de tuer un chat ici, mais de marquer tout de suite son territoire en prenant tous les risques.
Cette idée de l’urgence colle à l’esprit de Casablanca. C’est une ville qui vous offre son ventre et ses entrailles en permanence. Partout des chantiers, des trottoirs à refaire, des chaussées éventrées, des égouts ouverts, des pelleteuses, des cratères, des rails à poser et des tunnels à creuser, des voies fermées ou détournées, des parkings à déplacer, des immeubles et des bâtisses rasés.
Tout change, tout va changer, les sens interdits, les feux de signalisation, les itinéraires des bus.
On casse tout, même les monuments classés, les écoles, les dispensaires, les lieux de mémoire.
Le plan d’aménagement, s’il existe bien sûr, doit ressembler à un éternel work in progress. Il est chamboulé en permanence, en perpétuelle évolution. Les ingénieurs et les élus le retouchent chaque matin, ou presque.
Je ne sais pas ce qui se passe exactement dans les réunions de ces messieurs – dames. Ce qui est certain, c’est qu’en multipliant les chantiers jusqu’à la nausée, ils font le bonheur des entreprises de travaux publics. Voilà un secteur, au moins, qui ne connait pas la crise.
En fait, Casablanca donne l’impression d’être à la recherche du temps perdu. C’est paradoxal, mais la ville la plus développée du pays a un retard à combler. Elle a raté quelque chose par le passé, qu’elle cherche à rattraper. Dans la précipitation, et l’urgence, elle ne sait plus quoi faire, ni par quoi commencer.
Dans le XXème siècle, les ingénieurs ont oublié (ou abandonné l’idée) de créer des métros souterrains. C’est d’ailleurs tout le sous-sol casablancais qui a été sous-investi, largement inexploité. Cette faute originelle est devenue une tare, une obsession, source de dérèglements infinis.
Et la spéculation immobilière n’a évidemment rien arrangé.
Avec la poussée démographique, et l’explosion du trafic automobile, la ville est devenue impraticable. Sans métro, et avec très peu de parkings, les avenues devenaient trop étroites, les moyens de transport inopérants ou presque.
Donc sauve qui peut! Ou plutôt, essayons tout, vraiment tout, dans ce laboratoire géant et parfois totalement absurde pour essayer de rattraper ce fameux temps perdu.