«C’est le Maroc, c’est Casa, c’est chacun pour soi»

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ChroniqueOn casse, on rénove, on reconstruit, on réaménage, mais on n’arrive pas à mettre à jour des mentalités et des codes laids et archaïques.

Le 19/03/2022 à 09h02

Casablanca s’est dotée il y a quelques années d’une magnifique gare ferroviaire, la plus belle du pays. C’est du niveau «ligue des champions». Grandes marques, beaux magasins, ordre, service, tout est impeccable.

Le problème, c’est que dès qu’on la quitte, on sort du rêve et on «chute» de plusieurs niveaux. Le décalage est extraordinaire. Vous passez brutalement d’un monde à l’autre. Il y a un avant et un après, un intérieur où tout est cossu et rassurant, et un extérieur où vous êtes appelé à vous débrouiller avec les moyens du bord. 

Trouver un taxi libre, qui daigne vous prendre sans vous gruger, devient une gageure.

Il n’y a pas véritablement d’aire dédiée. Les taxis fonctionnent à l’ancienne, c’est-à-dire en totale anarchie. Il n’y a pas de queue. Il faut se jeter sur ces petites voitures rouges et souvent sales et négocier la destination, le prix, le trajet…

Le décor rappelle ce qu’on appelait le marché «criou» (à la criée), pour désigner l’ancien marché de gros. Ça s’agite dans tous les sens et ça crie comme une place boursière sur le point de fermer boutique.

Les taxis refusent de s’organiser et sont en guerre les uns contre les autres. Quand vous leur refaites la remarque, ils haussent les épaules: «C’est le Maroc, c’est Casa, c’est chacun pour soi».

Ils se plaignent d’être exploités par un Haj propriétaire du véhicule et de l’agrément, qui les traitent comme des esclaves. Ils se plaignent du prix du carburant. Ils se plaignent de tout. Mais ils ne proposent aucune alternative. Ce qui compte, c’est la colère, il faut exprimer cette colère qui devient une excuse et une justification à tous les manquements.

Bien sûr, cet état d’anarchie que vous trouvez à la sortie de cette gare magnifique, et qui semble contredire sa modernité, vient se frotter à une nouvelle réalité, celle des nouveaux taxis «ubérisés». Sans agrément, conducteurs généralement jeunes et cultivés, voitures neuves… Là aussi, le choc entre l’ancien et le nouveau est fascinant.

La guerre que se livrent ces taxis new look, qui restent semi-clandestins, et les anciens, les rouges, les terribles, est totale. Les rouges chassent les autres en criant à la concurrence déloyale. Et quand vous sortez de votre magnifique gare, qu’aucun rouge ne daigne vous prendre, et que vous commandez l’un de ces nouveaux vrais-faux taxis, il vous demande d’abord de vous éloigner de la gare, de peur d’être agressé par les anciens. Vous marchez, marchez, en vous retournant à droite et à gauche, et vous attendez en essayant de compter les mouches…

Voilà l’environnement dans lequel vous vous êtes précipité à votre sortie du train le plus moderne. Et c’est tout Casablanca qui est comme ça, certainement aussi une partie du Maroc. On casse, on rénove, on reconstruit, on réaménage, mais on n’arrive pas à mettre à jour des mentalités et des codes laids et archaïques.

Par Karim Boukhari
Le 19/03/2022 à 09h02