Sa relation avec Omar Radi«C’était un collègue, ni plus ni moins», annonce-t-elle d’emblée, d’une voix claire et ferme. Visiblement préparée à essuyer les offensives et les critiques qui remettent en question sa version des faits, Hafsa Boutahar tient à bien délimiter les contours de sa relation avec Omar Radi. Ainsi, s’agissant de la position qu’elle adopte face aux accusations dont celui-ci fait l’objet dans l’affaire Amnesty International, Hafsa Boutahar nous explique: «je n’étais ni contre lui, ni de son côté. Mais je faisais montre de soutien, d’humanité et de compassion pour un collègue, lorsqu’il venait dans les locaux du Desk, installés depuis plus d’un an dans le sous-sol du domicile personnel du directeur de la plateforme, Ali Amar, à Bouskoura».
Omar Radi «n’était pas et n’a jamais été un ami», soutient-elle. D’ailleurs «on ne partageait rien, on ne riait pas des mêmes choses, on était très différent».
Lire aussi : Omar Radi placé en détention provisoire pour atteinte à la pudeur avec violence et viol
Le jour des faitsHafsa Boutahar explique que les quelques jours qui ont précédé les faits ont été rythmés par les convocations de Omar Radi à la Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ). Il avait alors pour habitude, explique-t-elle, «de venir la veille de sa convocation au bureau du Desk», pour y «passer un moment entre collègues et amis». On comprend donc à travers le témoignage de la jeune femme qu’une ambiance bon enfant régnait dans cette villa de la banlieue casablancaise, à Casa Green Town, qui faisait à la fois office de lieu d’habitation du patron du média et de salle de rédaction.
Nous sommes le 12 juillet, dans cette même maison. «Il est arrivé, il était joyeux et ivre», se souvient Hafsa Boutahar qui, à la demande de Omar Radi, monte à l’étage chercher une guitare, car il voulait en jouer. «Il m’a suivie dans les escaliers, il se montrait pressant et j’ai fait en sorte de l’esquiver et de le repousser», nous explique-t-elle.
Omar Radi redescend, et joue de la guitare, comme en témoigne une vidéo de cette soirée, filmée par la jeune femme et que nous avons pu consulter.
«Ils sont ensuite descendus au sous-sol pour travailler», se souvient Hafsa Boutahar qui, quant à elle, s'installe pour la nuit sur un canapé dans le salon, car sa «chambre habituelle est alors occupée par un invité de la famille».
Lorsqu’ils remontent du sous-sol, Hafsa Boutahar dit être au téléphone, en appel vidéo avec son fiancé qui se trouve à San Francisco.
Omar Radi s’allonge alors sur un canapé, et Imad Stitou (un journaliste arabophone du Desk) sur un autre canapé. Le temps passe et la jeune femme, toujours au téléphone, affirme avoir entendu des ronflements. «Pendant que je parlais à mon fiancé, j’entends Omar, que je pensais endormi, me dire que je suis belle», se souvient la jeune femme. Elle lui répond par des émoticônes, via son smartphone, en guise de remerciement à son compliment.
Puis, Omar Radi lui envoie un message: «je viens ou tu viens?», ce à quoi elle lui répond de venir une fois qu’elle aura terminé sa conversation.
«Je pensais qu’il voulait discuter, c’est tout», soutient-elle, catégorique, bien consciente que ses détracteurs pourraient voir dans ce message, publié par les soutiens de Omar Radi sur Twitter, une invitation à la rejoindre au lit, comme cela a été avancé par certains.
Lire aussi : Tout sur G3, la société où travaille l’officier du MI6 en liaison avec Omar Radi
Le rapport sexuelY a-t-il eu un rapport sexuel entre Omar Radi et Hafsa Boutahar ce soir-là? La réponse est oui, les deux parties s’accordent là-dessus. En revanche, les versions divergent quant au déroulement des faits et surtout quant à la notion du consentement. L’enquête étant toujours en cours, il nous est impossible de relayer la version apportée par Omar Radi lors de son interrogatoire, mais ce qui en résulte toutefois, c’est que celui-ci argue que le rapport sexuel était consenti.
De son côté, Hafsa Boutahar affirme le contraire. «Il s’est jeté sur moi. Il portait un tee-shirt, et rien en bas. Il s’est mis à me toucher partout. J’ai essayé de lui parler, de le dissuader. Je me disais que c’était impossible qu’il tente une chose pareille avec tout ce qui lui arrivait, il fallait être fou pour oser faire ça, alors qu’il avait les flics sur le dos. Je me suis dis qu’il n’était pas dans son état normal, qu’il avait trop bu… Il était brutal, il me reniflait comme un animal sauvage qui a attrapé une proie», se souvient-elle, décrivant en partie la scène, livrant quelques détails scabreux, s’arrêtant quand l’émotion la submergeait.
Il est 2 heures du matin, et la jeune femme, pendant cet acte qu’elle décrit comme un viol, bascule dans un état de semi-conscience, sous le choc, alors que son visiteur la pénètre de force.
Elle dit avoir repris ses esprits quand celui-ci lui dit: «laisse-toi faire, je vais appeler Imad pour qu’on fasse un plan à trois». Imad Stitou, pense-t-elle, est endormi, car à aucun moment il n’a bougé pendant l’acte, bien que celui-ci ait déclaré aux autorités «qu’il était bien éveillé, qu’il regardait la scène et qu’il a affirmé que la relation était consentie», nous explique la jeune femme.
A ce stade de ses révélations, Hafsa Boutahar nous apporte alors un nouvel élément pour le moins important. Celle-ci nous dit avoir été contactée, suite à la médiatisation de l’affaire, par une jeune femme qui aurait, elle aussi, été victime du duo. «Elle m’a affirmé que Omar Radi et Imad Stitou avaient pour habitude de pratiquer des relations sexuelles à trois, et que je n’étais pas seule à avoir subi cela de force».
Puis de se replonger dans ses souvenirs… «Je me suis débattue de toutes mes forces et j’ai réussi à me dégager de son emprise», poursuit-elle, avant de courir se «réfugier pendant près d’une heure dans les toilettes», où elle a tenté d’appeler son fiancé, qui ne lui a pas répondu. «J’ai pleuré, j’ai réfléchi, j’ai essayé de reprendre mes esprits», poursuit-elle avant d’aller «dans la cuisine» puis de «retourner sur le canapé», après s’être assurée que les deux hommes dormaient.
«Comment parler d’une chose pareille au moment où Omar Radi fait l’objet d’une enquête pour d’autres faits?», se demande-t-elle, sachant pertinemment qu’elle aura du mal à être crue. S’agissant du timing, disons qu’il tombe plutôt mal…
Elle parvient à s’endormir un peu au petit matin et lorsqu’elle se réveille, les deux hommes sont partis. Elle a croisé Omar Radi un peu plus tard dans la même journée et a difficilement caché sa colère, nous explique-t-elle. Colère qui s’est renforcée quand elle a appris de la part d’amis que Omar Radi s’était vanté trois jours après les faits, alors qu’il était dans un bar, d’avoir «b… la "makhzania"». Un surnom que le journaliste lui a attribué, entre autres sobriquets. «Il m’appelle aussi "khabachia" quand il se vante auprès de ses amis», déclare Hafsa Boutahar, un sobriquet qui fait référence au nom de Mohamed Khabachi, le patron du site électronique Barlamane avec lequel elle a travaillé, avant de rejoindre l’équipe dirigée par Ali Amar.
Lire aussi : Quand le viol est subordonné à la liberté d’expression
Le silence assourdissant de la société civileDepuis, Hafsa Boutahar a porté plainte, a répondu aux questions des autorités et a été soumise, comme le veut la loi, à une visite médicale. Les enquêteurs, nous explique-t-elle, ont également fouillé les lieux afin d’y prélever des éléments de preuves et en attendant le 22 septembre, date de la première audience, et la confrontation qui s’ensuivra, celle-ci nous explique s’être complètement isolée.
«Je me préserve, j’éteins mon téléphone. Mais je lis les messages sur les réseaux sociaux», confie-t-elle, en disant très mal vivre le harcèlement dont elle fait l’objet. Les quelques soutiens dont elle dispose lui viennent de sa famille, de ses proches, d’Ibstissame Lachgar, présidente du Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles (MALI), d’une association de droits humains et aussi du syndicat national de la presse marocaine (SNPM).
Du côté de l’AMDH, l'Association Marocaine des Droits Humains, qui soutient Omar Radi, Hafsa Boutahar nous dit les avoir contactés pour leur faire part de la plainte déposée contre lui. «J’ai été reçue par le président, qui m’a écoutée et puis l’avocat de l’association m’a reçue à son tour et m’a demandé de quelle couleur était la culotte que Omar Radi portait ce jour-là», se souvient-elle.
«Nous vivons dans une société patriarcale, qui n’hésite pas à rejeter la faute sur les femmes victimes d’agressions. Ce sont les femmes qui sont responsables des agissements des hommes et quoiqu’ils fassent, ceux-ci bénéficient toujours de soutiens», conclut Hafsa Boutahar qui ne souhaite pas que son cas soit associé aux autres affaires où est impliqué Omar Radi, et encore moins repris à des fins politiques.
«Il s’agit de ma dignité d’être humain et de femme».