N’ayez pas peur de Donor!

Karim Boukhari.

ChroniqueLe stade tout entier, rempli comme un œuf, retenait son souffle, criait, hurlait, sifflait et priait pour le salut du pauvre parachutiste suspendu entre la vie et la mort…

Le 12/04/2025 à 09h00

Quand il a vu le jour, en 1955, sous le nom de Stade Marcel Cerdan, il était le premier grand stade moderne du Maroc. À l’époque, de nombreux clubs prestigieux jouaient encore sur des terrains en terre battue (que l’on appelait «Al-hamri») et les matchs ressemblaient à des fantasias avec des montagnes de poussière qui s’envolaient dans le ciel au moindre dégagement de ballon.

Ceux parmi vous qui ont déjà assisté à un tel «spectacle» doivent se rappeler ces camions-citernes qui, à la mi-temps, labouraient littéralement le champ de bataille, pardon de jeu, pour essayer de calmer les ardeurs de ces nuages de poussière.

Le Stade Marcel Cerdan était venu pour sortir le football, pour ne pas dire le sport marocain, de la préhistoire. Il est né dans un contexte de ferveur patriotique, au moment de l’indépendance, quand les Marocains regardaient encore Mohammed V dans la lune et croyaient que tout était désormais possible, et que les rêves de grandeur allaient devenir réalité.

Le Stade Marcel Cerdan devint donc le Stade d’Honneur, un nom qui dit beaucoup de choses et qui lui est resté collé à la peau même s’il a été rebaptisé du nom de Mohammed V, dans les années 1980, comme on le verra plus loin dans le texte.

«Donor», dans l’esprit de beaucoup de jeunes Marocains, sonnait comme une restauration (de l’honneur et de la fierté) et une appropriation par les masses populaires, pas seulement pour les faubourgs de Casablanca, mais pour tout le Maroc.

À l’époque, faut-il le rappeler, les stades étaient souvent construits au cœur même de la cité: les stades Philip et Al Fida à Casablanca, le Stade d’Honneur de Meknès ou celui du FUS à Rabat… Parce que le football ne posait pas encore de problème particulier en matière de sécurité. Il appartenait à la même catégorie ou presque que le théâtre ou le cinéma.

«Ce stade fait partie de l’âme de la plus grande ville du Maroc. Avec sa grande histoire et ses toutes petites. Avec ses derbies et ses innombrables et croustillantes anecdotes.»

Le fait même que «Donor» soit implanté dans le cœur battant de la ville a contribué à ce sentiment qu’il était le stade de tous les Casablancais, voire de tous les Marocains. Parce qu’on affluait aussi des autres villes pour regarder un match de foot dans ce qui ressemblait à des pèlerinages. On montait ou on descendait à Casablanca, souvent en famille ou entre amis: on regardait le foot, on mangeait une glace à Oliveri, on faisait un petit tour pour s’approvisionner à Alpha 55, Derb Omar, Derb Ghallef ou Korea, avant de refaire le plein d’essence et repartir à la fin du pèlerinage…

Tous les Marocains ou presque ont un souvenir ou une histoire personnelle avec ce monument de la vie casablancaise. Il était et reste plus qu’un stade. À partir des années 1980, et après la démolition du théâtre municipal, il était même devenu une salle de concert: Nass El Ghiwane, Raïna Raï, Naïma Samih et tant d’autres s’y sont produits…

Ce stade et ses annexes font l’objet, depuis quelque temps, d’un certain nombre de spéculations. Des voix se sont élevées pour demander la fermeture définitive du complexe, essentiellement pour deux raisons: le risque sécuritaire lié à l’emplacement du terrain et la montée en flèche de la valeur du foncier.

C’est pourtant la chose à ne surtout pas faire. Ce stade, il faut le protéger, le moderniser et le transformer en lieu de vie. Pourquoi pas avec des lieux de restauration, des magasins, des espaces d’exposition…

Ce stade fait partie de l’âme de la plus grande ville du Maroc. Avec sa grande histoire et ses toutes petites. Avec ses derbies, comme celui qui aura lieu aujourd’hui entre le Wydad et le Raja. Et avec ses innombrables et croustillantes anecdotes, dont celle qui a eu lieu le jour même où «Donor» deviendra officiellement le Stade Mohammed V, à l’occasion des Jeux méditerranéens de 1983. Lors de la cérémonie d’ouverture, et alors que des parachutistes étaient censés atterrir dans le rond central, l’un d’eux resta accroché au sommet d’un projecteur, alors que l’autre a atterri bien loin de «Donor»…

Ce qui devait être le moment le plus spectaculaire de la cérémonie se transformait, devant nos yeux, en psychodrame au suspense insoutenable: le stade tout entier, rempli comme un œuf, retenait son souffle, criait, hurlait, sifflait et priait pour le salut du pauvre parachutiste suspendu entre la vie et la mort, et qui attendait des secours qui tardaient, tardaient…

Par Karim Boukhari
Le 12/04/2025 à 09h00

Bienvenue dans l’espace commentaire

Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.

Lire notre charte

VOS RÉACTIONS

0/800