Comment ce pays autrefois réputé pour sa tolérance et son ouverture sur le monde en est-il arrivé à faire d’un Geert Wilders, dont le projet est entièrement fondé sur la détestation des étrangers, le vainqueur des législatives qui se sont tenues la semaine dernière?
Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut faire un bref historique des trente dernières années.
Quand j’ai visité les Pays-Bas pour la première fois, jeune étudiant, les étrangers ne constituaient ni un «problème», ni même une «question». Toutes les communautés vivaient en harmonie. Personnellement, je fus partout accueilli à bras ouverts.
Quelques années plus tard, quand je m’y suis installé à l’invitation d’une université, je pus constater que non seulement les étrangers n’étaient pas mal vus, c’était même le contraire: ils avaient priorité dans certains domaines. Il fallait des années d’attente pour qu’un autochtone obtienne un logement bon marché mais un réfugié l’obtenait sur-le-champ. Les subventions et les aides sociales abondaient.
Et puis, petit à petit, la situation s’est dégradée. Impossible d’en faire la chronique détaillée en une page –il y faudrait un livre…– mais voici, en gros, ce que j’ai pu constater:
Dans toute l’Europe, la chute du mur de Berlin en 1989 rendit l’opposition gauche-droite beaucoup moins intense. Ce n’était plus la «grande querelle» qu’elle avait été depuis 1917. Mais la nature ayant horreur du vide, une autre «grande querelle» remplaça celle qui gisait sous les gravats du mur: la fameuse guerre des civilisations entre Occident et Islam, prophétisée par Lewis et Huntington. C’est alors qu’apparurent aux Pays-Bas des populistes qui comprirent tout l’intérêt, pour leur carrière, de surfer sur cette vague.
Il faut dire que la maladresse de certains pseudo-imams les aida beaucoup. L’un d’eux refusa de serrer la main d’une ministre femme, devant les écrans de télévision; l’autre fit des déclarations incendiaires; un troisième… C’était pain bénit pour les populistes qui déclarèrent la nation en danger et se proposèrent de la sauver: Frits Bolkestein dans les années 90, Pim Fortuyn, assassiné en 2002 par un écolo radical, Wilders aujourd’hui…
Entretemps, les attentats du 11 Septembre à New York, Bin Laden, les Taliban, Daech, etc., avaient donné une image effrayante de l’islam. Attisée par les populistes, la peur avait saisi une bonne partie de l’électorat. Et voilà pourquoi ce dernier a donné 25% des voix à un homme qui veut l’abolition du droit d’asile, l’interdiction du voile dit «islamique» dans les bâtiments publics, l’interdiction des écoles musulmanes, des mosquées et… du Coran (sic).
Il y a plus d’Indonésiens ou de Turcs que de Marocains aux Pays-Bas, mais Wilders en veut surtout aux compatriotes de Ziyech. Depuis quelques années, des sites électroniques tenus par ses militants mènent la vie dure aux représentants les plus éminents de la communauté marocaine. Khadija Arib, qui présida la Chambre des députés, le talentueux écrivain Abdelkader Benali, un édile de Rotterdam… Nous sommes nombreux à avoir subi injures, diffamation et accusations mensongères, amplifiées par les réseaux sociaux. Certains, dégoûtés, ont d’ailleurs quitté le pays.
Heureusement, le PVV ne pourra pas gouverner seul: il lui faudra former une coalition, donc faire des compromis. Il n’y aura certainement pas de referendum sur le «Nexit»: le pays restera dans l’Union Européenne. Il n’y aura pas d’abolition du droit d’asile, tout au plus un resserrement des règles.
Une chose restera, malheureusement: le fossé creusé par Wilders entre la communauté marocaine et le reste du pays. Quand on sait que les Marocains forment plus de 10% de la population d’Amsterdam, et jusqu’à 30% de certains quartiers de La Haye, on voit l’ampleur du problème…