L’alerte a été donnée depuis longtemps. Les abeilles sont menacées. Le bouleversement du climat, de la biodiversité et de notre environnement a rendu la vie dure aux abeilles qui meurent lentement sous nos yeux.
Un sage a dit: «Avec la disparition de la dernière abeille, ce sera le début de la disparition de l’humanité». Nous n’en sommes pas à ce stade. Les ruchers sont malades et les apiculteurs ne savent comment les sauver. On trouve encore du miel dans les supermarchés, mais attention, il est souvent trafiqué. Méfiez-vous du miel importé de Chine.
La littérature témoigne de ce malheur.
Après avoir écrit «La poule et son cumin» (éd. J.C. Lattès), un premier roman qui ne parle ni de poule ni de ses épices, mais de la lutte des classes dans un Maroc moderne, Zineb Mekouar a séjourné dans le village d’Inzerki, dans le Haut Atlas, et a veillé sur la santé des abeilles. De là, elle a imaginé une histoire, une fiction qui rend compte avec minutie de l’aventure d’une famille dont le travail est justement d’élever les abeilles, de récupérer leur miel et de le vendre.
Un miel pur, servant dans certains cas de véritable médicament. Quand un bébé tombe malade, la mère n’a qu’une idée en tête, l’emmener auprès du rucher dont le miel est un remède à l’efficacité certaine. L’enfant tète le doigt de sa mère et, petit à petit, s’apaise.
Inzerki est un village qui ne ressemble en rien aux autres lieux de la campagne du Sud marocain. Il est entièrement dédié aux abeilles depuis des siècles. C’est dans ce cadre, que le petit Anir vit avec Aïcha, sa mère, et Jeddi, son grand-père qui l’initie à l’élevage des abeilles.
Le garçon grandit au rythme de cette terre rouge et ocre des montagnes du Haut Atlas, en apprenant les règles et les légendes des familles de là-bas, surtout celles qui concernent l’art de l’apiculture. Avec son grand-père, il s’occupe des abeilles du plus ancien rucher collectif du monde, le Rucher du Saint. Ses journées sont aussi rythmées par l’impuissance à sauver sa mère, atteinte d’un mal inconnu, dont les crises régulières isolent et désolent le garçon: en effet, les villageois ont peur d’elle et évitent ainsi toute la famille. Ils la traitent de «possédée» depuis une nuit terrible qui a brisé la famille, une nuit dont Anir ne sait rien.
Le père, Omar, est parti à Agadir pour chercher du travail, essayer de gagner de l’argent et pouvoir trouver des médecins qui lui diraient de quel mal souffre sa femme. Mais la vie est dure dans une ville vouée au tourisme et où les gens de la campagne ont du mal à trouver une petite place. Omar est confronté d’un côté à la maladie des abeilles, et de l’autre à la maladie de sa femme. En outre, Agadir n’est pas le lieu idéal pour trouver des solutions à ses problèmes.
La sécheresse est aussi là, partout, assoiffant la terre. L’eau manque, le miel se fait rare et le bourdonnement des abeilles laisse peu à peu place au silence…
Cette fable écologique dresse un portrait émouvant, à travers le rucher d’Inzerki et la disparition progressive des abeilles, du savoir-faire ancestral qui s’efface peu à peu face à une modernité aveugle. En même temps, elle nous dit combien l’exode rural est un choc pour des familles qui n’arrivent pas à s’adapter à la vie citadine.
«Souviens-toi des abeilles» (éd. Gallimard) est le cri du grand-père qui assiste, impuissant, à la désertification de ses ruchers.
Une voix nous dit: «C’est tout petit, une abeille, tout petit, ça ne devrait pas mourir pour une histoire de terre qui s’assèche, ça ne devrait pas mourir, une abeille: c’est comme un enfant malade…»
Avec ce deuxième roman, Zineb Mekouar s’affirme comme une écrivaine dont l’intelligence a été d’aller au-delà des apparences et de nous alerter, à travers l’histoire simple et émouvante d’une famille pour qui la disparition des abeilles signifie un exode vers la ville, un départ inexorable sur un chemin fait d’embûches et de malheur.
L’écriture est très soignée, l’architecture du roman est limpide et l’histoire nous parle et nous rend complices d’une mort annoncée si nous ne faisons rien pour sauver la vie des abeilles.
Quelqu’un s’interrogeait l’autre jour, sur une station radio, «À quoi sert la littérature?» Souvent à rien. De temps en temps, quand elle est servie par une belle écriture, avec un sujet humain qui nous concerne, on se dit alors que «oui, un roman peut être utile, ne serait-ce que pour attirer l’attention des responsables sur un sujet dont on ne parle pas».
On devrait offrir «Souviens-toi des abeilles» au ministre de l’Agriculture et aussi à M. Akhannouch lui-même, concerné en tant qu’entrepreneur.
Le miel d’Inzerki est exceptionnel. Ne le laissons pas disparaître.